Le massacre de Fort Apache

1948

Genre : Western

Avec : John Wayne (Capitaine Kirby York), Henry Fonda (Lieutenant-colonel Owen Thursday), Shirley Temple (Philadelphia Thursday), John Agar (lieutenant Michale Shannon O'Rourke) Ward Bond (Sergent major Michael Rourke) Victor McLaglen (sergent Festus Mulcahy). 2h08.

Le lieutenant-colonel Owen Thursday est envoyé de l'Est pour prendre le commandement de Fort Apache, dans le désert de l'Arizona. Pour lui, c'est l'occasion inespérée de retrouver son grade de général. Au fort, les vétérans, endurcis par leurs campagnes contre les Apaches, se ressentent de son évident mépris à leur égard et de son ignorance totale des tactiques de guerre indiennes.

Une idylle s'ébauche rapidement entre la fille du colonel et le lieutenant O'Rourke. Thursday n'aime guère ce lieutenant sorti du rang. Son goût d'une discipline stricte et rigide ne le fait guère aimer de ses hommes.

L'ambition du colonel voit enfin l'occasion qu'il attendait : Cochise, chef des Apaches, a quitté sa réserve et conduit sa tribu vers le territoire mexicain. Le pays tout entier suit cet événement. S'il le ramène dans sa réserve, la renommée du colonel sera établie. Il envoie le capitaine Kirby York et le sergent Beaufort parlementer avec Cochise.

Mais Thursday ne tient pas sa parole et attaque. Cochise, brillant stratège, anéantit ses troupes. Le capitaine York retourne à Fort Apache, mais en souvenir de ses camarades morts et pour l'honneur de l'armée, il “couvrira” l'erreur du colonel et lui attribuera une conduite héroïque.

Fort Apache inaugure ce que l'on appelle le "cycle de la cavalerie", qui se poursuivra avec She wore a yellow Ribbon puis Rio Grande, les trois films étant interprétés par John Wayne. John Ford déconstruit le mythe en montrant de manière exemplaire comment la légende naît d'une réalité peu reluisante. Fasciné par la cavalerie, le cinéaste réussit l'équilibre impeccable entre l'évocation méticuleuse des rituels propres à ce corps d'armée, la description de la vie quotidienne au fort, et la scénographie spectaculaire des séquences d'action, le tout au cœur de Monument Valley.

Une communauté organique

Ford oppose ici deux types de militaires. D'un coté le lieutenant-colonel Thusrday, qui souffre de n'être plus général, un homme autoritaire qui refuse d'écouter ses officiers mieux avisés que lui et méprise ses adversaires indiens qu'il considère comme des sauvages. De l'autre le capitaine York, officier vétéran des guerres indiennes, qui sait lire les signes et connaît parfaitement les tactiques des Apaches. C'est aussi un homme qui tient à faire respecter la parole donnée. Il représente la tradition militaire fordienne d'intelligence, de souplesse et de respect de l'ennemi.

Ford a toujours une attitude assez sceptique envers les officiers supérieurs. Il fait de l'expression " formation de West Point " une plaisanterie suggérant une attitude étroite, à cheval sur le règlement qui ne peut comprendre les situations complexes auxquelles les soldats ont à faire face au combat.

Le caractère irlandais de la cavalerie de Ford est un signe de l'égalitarisme qu'elle parvient à maintenir malgré la rigidité du système de castes militaires. Le traditionnel respect irlandais pour le foyer, la famille et la vie de clan se retrouve dans le fort avec une cohésion souvent absente des grandes villes américaines. Pour Ford, il ne doit pas y avoir de conflit entre le grade militaire et les valeurs humaines fondamentales de respect et de civilité. C'est ce conflit que crée Thursday en s'opposant en vain à l'amour naissant entre sa fille et le lieutenant O'Rourke : "la barrière entre votre classe et la mienne"..."on dirait qu'il y a des O'Rourke partout ici."

Dans les films de cavalerie, la fonction de l'humour visuel et verbal est de parodier l'intrigue principale, de dégonfler le sérieux pompeux des personnages et de donner dans ces séquences autant d'importance aux sans grade qu'aux chefs. Les sergents irlandais de Fort apache en particulier le falstaffien Mulcahy interprété par Victor McLaglen tournent en ridicule la forme des rituels militaires tout en donnant à l'armée sa véritable humanité, exprimée avec une sagesse et une émotion authentique.

York est un fervent adversaire de la ligne officielle. Pourtant jamais il ne désobéit à un ordre. Il est le rebelle obéissant. Malgré toutes les preuves du contraire, le capitaine continue de faire confiance au système auquel il appartient. Il met en doute mais ne défie pas.

Quand York prend congé des journalistes pour mener ses troupes dans une autre campagne, il prend dans ses bras le petit-fils de Thursday, appelant le bambin, "le meilleur homme du régiment". Michael Thursday York O'Rourke est l'incarnation vivante de la mémoire de la tradition et de l'avenir comme les enfants à qui l'on donne le nom des personnages dans Trois sublimes canailles ou Le fils du désert. L'enfant est gardé par les deux femmes traduisant, comme toujours chez Ford, leur influence civilisatrice sur la communauté.

Il est difficile de ne pas être ému par la fin du film qui voit le capitaine York évoquer ses camarades disparus alors même que ceux-ci apparaissent en surimpression.

Face aux indiens

Face à eux, Cochise et ses guerriers ne sont pas simplement comme dans La Chevauchée fantastique ou Sur la piste des Mohawks, des ennemis irréductibles s'opposant à la marche des pionniers mais, au contraire, des hommes dignes et valeureux, susceptibles de négocier la paix mais régulièrement trahis par les agents indiens (Silas Meacham) ou par des officiers arrogants et racistes (le colonel Thursday).

Ceux qui ont accusé John Ford d'avoir eu jusqu'aux Cheyennes la même vision réductrice de la nation indienne auraient dû, sans attendre La prisonnière du désert, voir à quel point Fort Apache est à ce titre un film novateur -La flèche brisée de Delmer Daves et La porte du diable d'Anthony Mann l'étant encore plus quelques mois plus tard.

La mort de Thursday et de ses hommes, balayés par les Apaches, a toujours incité, non sans raison, à comparer Thursday à Custer dont l'expédition imprudente en territoire Sioux en 1876 eut pour résultat le massacre de son bataillon de la 7ème de Cavalerie à Little Big Horn mais dont la mort héroïque aux côtés de ses hommes a contribué à faire un héros de légende.

Une fin qui reste à interpréter

La fin de Fort apache annonce par ailleurs celle de L'homme qui tua Liberty Valance avec une acceptation de l'image falsifiée de l'héroïsme de l'Ouest : recevant les journalistes, le capitaine York exalte la mémoire de Thursday.

Il n'est pourtant pas certain, comme le dit Lourcelles, que, face aux journalistes, il ne fasse pas la moindre réserve sur l'opération militaire du colonel qu'il avait lui-même jugé à l'époque suicidaire. Face aux journalistes qui écorchent les noms autres que Thursday et confondent Geronimo et Cochise, York couvre l'erreur de Thursday mais n'en pense pas moins.

Joseph McBride remarque que quand York prend congé des journalistes pour mener ses troupes dans une autre campagne, il se coiffe alors du même type de calot très ancien qu'affectionnait Thursday et ne porte plus le chapeau mou que Thursday voyait comme l'expression d'un individualisme fantaisiste. Un geste de soumission tragique de York à la gloriole de Thursday et, à travers ce rebelle obéissant, une soumission à la cavalerie elle-même. Montrant la troupe quittant le fort, Ford reprend exactement les mêmes cadrages qu'il avait utilisés pour montrer Thursday conduisant ses hommes au massacre ; et la bande sonore reprend le même thème annonciateur du désastre : The Girl I left behind me.

Pour Joseph McBride, qui reprend les propos du cinéaste Jean-Marie Straub, le geste de York est la preuve que "Ford est le plus brechtien des cinéastes parce qu'il fait réfléchir les gens en faisant collaborer le public au film ".

Les extérieurs sont tournés à Monument Valley mais ceux impliquant le fort lui-même et le poste de traite de l'agent renégat Apache sont filmés au Corriganville Movie Ranch, ancien ranch de cinéma de Simi Hills (parc régional dans la Simi Valley en Californie du Sud).

Test du DVD

Editeur : Editions Montparnasse. Septembre 2012. Nouveau master restauré, version originale, sous-titres français.

L'un des six DVD de la treizieme vague des Classiques de la RKO.