Alexandre Nevski

1938

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Thème : Moyen-âge

(Aleksandr Nevskiy). Avec : Nicolaï Tcherkassov (Alekandre Nevski), Nicolaï Okhlopkov (Vassili Buslaï), Alexandre Abrikossov (Gavrilo Oleksitch), Pavel Pashkov (Mikula), Leonid Iudov (Savka), Varvara Massalitinova (la mère de Buslai), Vasili Novikov (Pavsha, Gouverneur de Pskov), Nikolai Arsky (Domash Tverdislavich, boyar de Novgorod), Vladimir Yershov (Von Balk, le grand maître), Sergei Blinnikov (Tverdilo, le traitre de Pskov) Ivan Lagutin (Anani, un prêtre), Lev Fenin (L'archevêque), Naum Rogozhin (le moine à la cagoule noire). 1h52.

"La Russie au XIIIe siècle. Les chevaliers teutoniques et livoniens étaient en marche contre la Russie. La Russie attirait les conquérants par ses immenses étendues et richesses. L'envahisseur allemand s'attendait à une victoire facile. La Russie se relevait à peine d'une attaque sanglante des Mongols. Le pays portait encore les traces de cette lutte cruelle". Des squelettes jonchent les champs de bataille.

Le lac de Plechtcheevo. Un chœur de pêcheurs et de charpentiers chante la récente victoire sur les Suédois. Une troupe de Tartares qui enrôle des hommes de force approche et s'apprête à soumettre les pêcheurs. Le prince Alexandre pose ses filets et s'interpose. Le chef des Tartares reconnait en lui celui qui a conduit à la victoire sur les Suédois sur la rivière Neva et que l'on surnomme depuis Alexandre Nevsky. Il lui propose, au lieu de pêcher et de construire des bateaux pour le négoce, de l'accompagner en Mongolie où il deviendra un grand chef de guerre. "Mieux vaut mourir que quitter la terre natale" lui répond Nevsky. Le chef tartare enjoint à ses hommes de baisser les armes et il repart avec sa troupe de prisonniers russes. Un vieil homme constate que les Tartares sont un peuple difficile à battre, Nevsky lui réplique que s'il le laisse partir avec son tribut de prisonniers c'est qu'il a un ennemi plus urgent à combattre : l'Allemand. Seulement âpres il se retournera contre els tartares. Sans Novgorod nous ne battrons pas l'Allemand, dit-il avant de repartir vers ses filets de pêche

A Novgorod-La-Grande, Vassili Buslaï, l'imberbe, et Gavrilo Oleksitch, le barbu, se disputent les faveurs de la jolie Olga qui demande du temps pour choisir. Mais c'est bientôt le branlebas de combat. Pskov vient de tomber sous les coups des hordes teutonnes, lesquelles sèment sur leur passage la désolation et la ruine et marchent sur Novgorod. Les plus riches bourgeois poussent les Russes à échanger leur liberté pour de l'argent. Là où tu couches là est ta patrie, La patrie c'est là où est le profit. Une partie du peuple appelle Alexandre. La ville choisit Domache. Celui-ci refuse en conseillant un chef à la renommée plus terrible et plus grande: ce sera Alexandre Iaroslavitch

Pskov, le grand-maître Teuton a soumis la ville. Un traitre vient lui signaler que Novgorod veut se battre sous les ordres d'Alexandre. Le grand maitre nomme Hubertus prince de Pskov et Ditlieb prince de Novgorod. Le prêtre déclare qu'il n'y a qu'un seul Dieu et qu'un seul chef sur terre, le souverain romain. Le père de Vassilissa refuse de se soumettre. Les prisonniers sont passés par l'épée et les jeunes enfants brulés vifs devant les yeux de leur mère. Le père de Vassili ordonne d'aller à Péréiaslavl

Péréiaslavl. Alexandre entend les demandes de ses jeunes serviteurs qui voudraient se battre pour Novgorod mais il sait la tâche difficile. Une délégation de la ville conduite par Domache et Gavrilo Oleksitch.. Isborsk et Pskov sont tombées, les guerriers ne suffisent pas. Ce sont les paysans qu'il faut lever. Il promet qu'au printemps les ennemis seront vaincus et déjà des campagnes, les paysans sortent de terre et affluent

Novgorod. Alexandre fait une entrée triomphale et les riches qui protestent encore sont contraints au silence. Alexandre dresse un panorama de la situation : Les Mongols sont sur la Volga alors que les Allemands avancent de l'Ouest. Novgorod va se battre pour la Russie, pour Kiev, Vladimir, Riazan. Le peuple est enthousiaste, chacun promet mille lances, boucliers, haches et leur vie même.

Chez les chevaliers teutoniques c'est la messe. Le traitre leur apprend qu'une avant-garde d'Alexandre s'est engagée dans une forêt. Ils l'attaquent en force. Le traitre revient vers Alexandre pour lui apprendre que Domasch Tverdislavitch est tué et Buslaï capturé. Mais personne ne croit cette dernière information; Buslaï n'a jamais été capturé.

Le lac de Tchoud. En venant à son secours, Alexandre voit Oleksitch glisser sur la glace fragile. Il décide que là, à la pierre du corbeau, il pourra attendre l'armée teutonique qui fera s'effondrer la glace. Puis il rejoint le bord du lac, côté allemand que veulent fuir Bouslaï et Oleksitch mais il décide que c'est là en terre étrangère qu'aura lieu le combat. Ne serait-ce qu'en hommage à Domache tué. Oleksitch conduira l'aile gauche, Alexandre sera à sa droite, Mikoula prépare une embuche avec les paysans. L'Allemand attaquera en tête de cochon. L'avant garde subira l'assaut à la pierre du corbeau dont Buslaï prendra la tête. Une histoire racontée par un de ses soldats donne à Alexandre l'idée de prendre l'ennemi en tenaille, en l'attirant sur le lac gelé de Tchoudski et en se rabattant sur ses flancs au moment propice.

Le 5 avril 1242, la victoire est longue à se dessiner. Plus agiles avec leurs légères côtes de mailles, les Russes doivent faire face à une armée se retranchant derrière ses boucliers et ses lances. Finalement, c'est Alexandre qui défie à cheval le grand maître de l'ordre teutonique en combat singulier et le met à terre. Le chef ennemi vaincu, Alexandre proclame la victoire et ses troupes enfoncent les lignes ennemies démoralisées. Les prêtres sont bastonnés ainsi que les fuyards qui cherchent à se cacher ou se déguiser. Le gros de l'armée teutonne se rassemble à la nuit tombée à l'extrémité du lac pour affronter les Russes dans un dernier combat mais la glace cède et les engloutit jusqu'au dernier.

Alexandre Nevsky peut rengainer son épée; l'ennemi est vaincu et des centaines de corps gisent sur le sol. A la nuit tombée, les femmes viennent chercher leurs frères ou maris. Buslaï, évanouit se réjouit d'être vivant mais s'inquiète de Gavrilo qui n'a plus aucune forces. Olga retrouve les deux valeureux combattants et, avec Buslaï, soutient Gavrilo dont on ne sait s'il survivra.

Dans Pskov libérée c'est le retour triomphal des guerriers. Honneur est rendu aux glorieuses victimes : Domash, Savka et Mikula et la foule hurle contre les prisonniers et les traitres. Alexandre Nevsky rend alors la justice: il libère les soldats ennemis qui n'ont fait qu'obéir aux ordres, il emprisonne les chevaliers qui ne seront rendus que contre une rançon. En revanche, il laisse libre le peuple de faire ce qu'il veut des deux traitres... qui sont immédiatement lynchés. Olga vient demander l'aide d'Alexandre pour designer qui de Buslaï ou de Gavrilo fut le plus courageux et deviendra son mari. La mère de Buslaï prétend que c'est son fils mais celui-ci préfère dire que ce fut Vassilissa la plus courageuse puis Gavrilo et enfin lui. Nevsky accorde donc la main d'Olga à Gavrilo qui, sur sa civière, ouvre enfin l'œil. La mère de Buslaï est honteuse et en veut à son fils de ne pas faire la noce mais Buslaï lui désigne Vassilissa qui deviendra son épouse

Alexandre donne le signal de la liesse populaire, châtie les traîtres et lance un avertissement solennel à ceux qui songeraient désormais à envahir la terre russe : "Qui viendra avec l'épée chez nous, périra par l'épée".

Pour Jérôme Bimbenet, dont nous reprenons ici le texte, Alexandre Nevski est une biographie filmée à des fins de propagande et une allégorie en forme d'avertissement à l'Allemagne nazi . Premier film parlant d'Eisenstein dorénavant contraint d'abandonner une forme de montage jugée trop intellectuelle, c'est aussi un film d'une somptueuse beauté plastique qui en fait un grand film de chevalerie.

Une biographie filmée

Alexandre Iaroslavitch est né en 1220 et mort en 1263. Prince de Novgorod (1236-1253) et grand prince de Vladimir (1252-1263), sa famille descend de l'aventurier viking suédois Rurik qui s'installa avec ses troupes à Novgorod en 860 et jeta les fondations d'un futur état russe.

Au début du XIIIème siècle, les Mongols de Gengis Khan avaient conquis toute la steppe eurasienne depuis la Chine jusqu'aux portes de l'Europe et avaient soumis les principautés russes. Suédois et Lituaniens tentent de coloniser les plaines du Nord mais ils doivent affronter les Chevaliers teutoniques et les Chevaliers porte-glaive, présents depuis 1237. Ces ordres monastiques armés participent à la grande croisade expansionniste menée par le christianisme dont le but est de soumettre les peuples du Nord et de l'Est aux rites latin et romain (les Chrétiens d'Orient s'étaient séparés de Rome lors du grand Schisme de 1054). Derrière l'aspect religieux, une autre ambition apparaît. Celle de la poussée vers l'Est des peuples germaniques (drang nach ostern) afin de coloniser les terres fertiles des plaines du Nord et de soumettre les slaves au servage. La poussée vers l'Est sera une constante de la politique expansionniste germanique, dont l'acmé sera atteinte par Hitler lui-même lors de l'invasion de l'URSS en 1941.

Les principautés russes doivent lutter sur plusieurs fronts. Alexandre remporte la bataille de la Neva contre les Suédois en 1240 et y récupère le nom de Nevski (de la Neva). Mais le danger des Teutoniques s'accroît. C'est l'archevêque de Novgorod en personne qui appelle Alexandre pour affronter les chevaliers. Après avoir négocié une trêve avec la Horde d'Or pour porter ses troupes sur le front nord, Alexandre se porte au devant des Teutoniques à qui il inflige une sévère défaite le 5 avril 1242 à la bataille des Peïpous aussi nommée la bataille des Glaces car elle s'est déroulée sur les eaux gelées du lac Tchoudski. L'effondrement de la glace sous le poids des chevaliers teutoniques est peut-être un mythe russe forgé a posteriori. Pour Eisenstein, il a aussi le mérite plastique de faire disparaitre totalement le danger des teutoniques. Cette victoire scelle l'union des principautés mais pas l'indépendance de la Russie. C'est Ivan IV le terrible qui émancipera le pays de la tutelle de la Horde d'Or

Une allégorie en forme d'avertissement à l'Allemagne et en faveur du despotisme de Staline

Le film est tourné en 1938. En septembre a lieu la conférence de Munich à laquelle les Soviétiques ne sont pas conviés et qui permet le dépeçage consenti de la Tchécoslovaquie. Le problème de l'URSS tenait en trois points. A l'intérieur, les purges avaient décapité les cadres politiques et militaires. A l'extérieur, la menace allemande se faisant d'autant plus pressante (malgré les tentatives de rapprochement des années précédentes) que l'accord de non-agression signé le 6 décembre 1938 à Paris par Georges Bonnet et Ribbentrop fut interprété à Moscou comme donnant plus ou moins carte blanche à Hitler pour intervenir à l'Est. A l'extérieur toujours, mais cette fois sur le front asiatique, la menace d'encerclement s'était précisée depuis novembre 1936 avec le pacte anti-Kominterm signé par le Japon et l'Allemagne. L'URSS s'était donc rapprochée de la Chine de Tchang Kai-check. Or le Japon attaque la Chine à l'été 1938.

L'année 1938 est donc celle de tous les dangers pour le régime stalinien. Il faut reprendre l'offensive et reforger l'unité nationale autour du chef qui peut seul mener le pays à la victoire. C'est dans ce contexte que Staline passe commande à Eisenstein d'un grand film patriotique prompt à soulever les foules en allant puiser dans le passé mythique de la nation...

Le film est d'abord une allégorie en forme d'avertissement à l'Allemagne nazie, Les Chevaliers teutoniques de 1242 sont bien évidemment les Allemands du troisième Reich. Plusieurs indices transparaissent dans le film créer le parallèle : ainsi l'aigle allemand est-il reconnaissable sur les bannières de l'armé teutonique, une croix gammée stylisée orne la tiare de l'évêque, le chevalier Ditlieb salue le grand maître avec la main tendue proche du salut nazi. Les Tatars que l'on voit au début du film sont les Japonais. La Russie d'Alexandre est, elle aussi, menacée d'encerclement et doit lutter sur deux fronts. Alexandre Nevski personnifie Staline. Il lui faut unir les principautés et soulever le peuple, lutter contre la bourgeoisie et prendre le commandement des armées où il doit restaurer la discipline. Le message est clair et Eisenstein appelle à accepter le despotisme de Staline

Du film de propagande au film de Chevalerie

La manipulation de l'histoire apparait certes réduite comparée aux précédents films d'Eisenstein. Le film insiste sur le lien organique entre Alexandre, le peuple et la terre. Or ce n'est pas le peuple qui est venu chercher Alexandre mais l'archevêque de Novgorod.

Alexandre Nevski est filmé en contre-plongée, face au ciel le plus souvent, dominant la masse paysanne prête au combat. Le pouvoir est ici total : l'unité face à la masse. Lorsqu'il est filmé chez lui recevant les émissaires qui tentent de le convaincre d'aller au combat, les contre-plongées s'affinent au fur et à mesure de la prise de conscience d'Alexandre. Il est enfin détaché face au toit de sa datcha mesurant la responsabilité qui est désormais la sienne.

Le film est manichéen : le chef a toutes les qualités. Il est juste et magnanime, au contraire du maître teuton. Alors que ce dernier jette les enfants au feu après la prise de Pskov, Alexandre ne condamne que le traître après sa victoire.

L'union du peuple russe doit être totale. Une des scènes clés du film est celle où les paysans "sortent" littéralement de la terre pour se rallier à Alexandre. Les Russes forment le sel de la terre. Ils y sont intimement liés. Le lien organique est essentiel pour comprendre l'âme russe et la résistance héroïque qui sera menée contre les Allemands (comme à Leningrad) quelques années plus tard.

Le film sort en URSS le 1er décembre 1938. La signature du Pacte germano-soviétique le 23 août 1939 provoque la suspension de son exploitation. Mais avec le déclenchement de l’opération Barbarossa le 22 juin 1941, le film réapparait pour galvaniser l’élan patriotique contre l’attaque germanique.

Aujourd'hui, le film surprend par l'abandon du montage d'attractions, cher à Eisenstein, et que le pouvoir de Staline lui interdit, le jugeant trop intellectuel.  Eisenstein mise donc beaucoup sur la beauté plastique des plans. Alexandre Nevski devient un film de chevalerie épique qui dépayse par rapport aux futures productions hollywoodiennes, d'Ivanhoé (Richard Thorpe, 1952) ou Quentin Durward (Richard Thorpe, 1955).


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