Sur la route de Madison

1995

Voir : photogrammes
Genre : Mélodrame
Thème : transmission

(The bridges of Madison County). D'après le roman de Robert James Waller. Avec : Clint Eastwood (Robert Kincaid), Meryl Streep (Francesca Johnson), Annie Corley (Carolyn Johnson) Victor Slezak (Michael Johnson), Jim Haynie (Richard Johnson), Michelle Benes (Lucy Redfield). 1h34.

Carolyn et Michael Johnson reviennent dans la maison de leur enfance à Winterset, comté de Madison, dans l'Iowa, pour régler la succession de leur mère, Francesca. Ils apprennent par le notaire que cette dernière souhaite être incinérée, ses cendres devant être jetées depuis le pont de Roseman, le pont couvert des environs, au lieu d'être enterrée auprès de son défunt mari. Carolyn et Michael, sont révoltés par cette idée. Carolyn découvre dans une lettre que sa mère a des choses à leur révéler. Michael demande alors à sa femme, Betty, de rejoindre son hôtel pour le laisser seul avec Carolyn. Une clé dans l'enveloppe leur permet d'ouvrir le coffre familial où ils prennent connaissance du journal intime de leur mère et apprennent ce qui s'est passé en 1965…

Richard le mari de Francesca, et leurs enfants, Carolyn et Michael, étaient partis pendant quatre jours à la fête de l'État pour y exposer un taureau de concours. Le dimanche soir, après avoir tout préparé, Francesca était donc demeurée seule.

Le lundi après-midi, Francesca avait rencontré Robert Kincaid, photographe au National Geographic, chargé d'effectuer un reportage sur les vieux ponts couverts de la région. Robert lui avait demandé la direction pour atteindre le pont Roseman. Francesca avait choisi de l'accompagner pour lui montrer le chemin.

Ils avaient commencé à parler. Robert s'était marié et avait divorcé. Francesca était née en Italie, à Bari. Elle s'était montrée émue qu'il connaisse la ville et s'y soit arrêté trois jours pour la connaitre un peu mieux, sans autre but. Robert avait fait des repérages pour les photos du lendemain et lui avait offert un bouquet de fleurs. Elle l'avait invité à prendre du thé glacé chez elle ; l'avait regardé changer de tenue dans le jardin, puis l'avait convié à dîner. Francesca lui avait avoué avoir été professeure et qu'elle avait renoncé à ce métier pour se consacrer à Richard et à leurs enfants. Francesca et Robert s'étaient promenés et une certaine intimité - ils citaient Yeats- avait commencé à les unir. Ils étaient revenus prendre un café et un brandy. Robert avait rassuré Francesca troublée : "Francesca nous ne faisons rien de mal, rien que vous ne puissiez raconter à vos enfants."

C'est était trop pour Michael qui avait interrompu la lecture du journal, persuadé que Robert avait saoulé sa mère pour coucher avec elle. Furieux, il ferme le journal. Carolyn lui fait part du naufrage de son mariage et ils lisent ensemble.

Robert et Francesca discutent toute la soirée alors que l'orage gronde. Robert explique son divorce. Il se sentait plus chez lui, n'importe où, que dans sa maison. Il est citoyen du monde ; un solitaire mais pas un moine. S'il n'a besoin de personne ; il a besoin de tout le monde. Il revendique de ne vivre que pour lui même et aime chacun de la même façon. Il regrette que la morale de la famille américaine ait hypnotisé tout le monde. Il lui demande si elle veut quitter son mari. Elle l'accuse de la croire trop simple. Alors qu'ils sont sur le point de s'embrasser, le téléphone sonne c'est Richard qui donne des nouvelles. Robert était alors reparti en ville, réfutant qu'elle soit simple, sans quelle puisse le raccompagner pour lui dire au revoir. Dehors, par la chaude nuit, Francesca avait ouvert sa robe pour que le vent la rafraichisse. Puis, rentrée dans sa chambre, elle se regarda set s'apprécia dans la glace. Elle écrivit un mot à Robert qu'elle alla, en pleine nuit, coller sur le pont de Roseman.... "Si vous souhaitez un autre diner, venez à l'heure où les phalènes s'envolent".

La mardi matin, Robert avait trouvé le mot de Francesca. Il l'avait appelée pour lui donner rendez-vous près d'un autre pont qu'il devait photographier. Elle avait filé pour Des Moines s'acheter une robe. Il avait déjeuné à Winterset et constaté l'ostracisme dont était victime Lucy Redfield, la femme adultère de la ville ; la voyant pleurer dans sa voiture, il avait proposé à Francesca de ne pas l'exposer au scandale. Mais Francesca voulait venir et se moquait du reste. Ils s'étaient retrouvés, il l'avait prise en photos. Rentrés chez elle, il avait pris sa douche ce qui avait beaucoup troublé Francesca lorsqu'elle avait pris son bain un peu plus tard. Elle était descendue dans sa robe achetée l'après-midi. Robert l'avait trouvée sensationnelle ; ils allaient s'embrasser lorsque le téléphone sonna.  C'était Marge, une amie importune. Pendant qu'elle parle, leurs mains s'effleurèrent et après la communication, ils embrassèrent en dansant sur I'll Close My Eyes.

Carolyn lit le passage comme quoi Robert déclarait qui n'allait pas s'excuser de ce qui allait arriver. Michael, gêné et excédé, s'en va alors, prétextant avoir besoin de prendre l'air et laissant sa sœur finir seule la narration de la nuit amoureuse de leur mère.

Après l'amour, Francesca demanda à Robert de l'emmener ailleurs ; Là ou il est allé, quelque part de l'autre côté du monde. Ils partagent le souvenir du petit restaurant de Bari qu'elle connait bien et dans lequel il s'est aussi assis. Ils prirent un bain aux chandelles et firent l'amour.

Le mercredi, ils décidèrent de le passer loin de Winterset, loin du comté de Madison, des gens trop familiers et des souvenirs trop douloureux. Dans un parc, il avait fait des photos d'elle. Admirant ses photos prises en Inde, elle l'encouragea à s'assumer comme artiste. Elle lui donna une croix gravée à son nom qu'elle reçue à sept ans lors d'une visite à Assise. Ils étaient allés écouter du jazz dans un bar, the Blue note, en dehors de l'état où personne ne pouvaient les reconnaître et avaient dansé tard. "Je ne sais pas si j'arriverai à faire ça : essayer de condenser toute une vie entre maintenant et vendredi" avait déclaré Robert. Ils rentrèrent faire l'amour.

Michael revient auprès de Carolyn dans la nuit, un peu saoul, mais prêt désormais à écouter la suite. Il a découvert qui est Lucy Delanay, anciennement Redfield qui a épousé son ancien amant, ce dont il se réjouit pour eux. C'est avec une bouteille de whisky, à la lumière des phares qu'ils terminent la lecture du journal de leur mère. Accrochés aux valeurs de fidélité transmises par leurs parents, ils se demandent si cela vaut la peine de rester confinés dans une triste vie.

Le jeudi matin, Francesca, qui n'avait pu dormir, s'opposa brièvement à Robert. Elle lui reprocha son indépendance qui la condamnait à n'être qu'un souvenir parmi d'autres, elle qui va rester cloitrée chez elle tandis qu'il parcourra le monde. Il lui fit remarquer que c'est elle qui n'était pas libre : "Je ne veux pas avoir besoin de toi, parce que je ne peux pas t'avoir. Si j'ai fait quoi que ce soit qui puisse te faire croire que ce qui vient de se passer entre nous n'a rien de nouveau pour moi, et n'est qu'une habitude comme une autre, alors je te fais mes excuses. Puis il lui dit "Quand je pense à pourquoi je fais des photos, la seule raison qui me vient à l'idée c'est que ça devait être pour faire mon chemin jusqu'ici. Il semble que tout ce que j'ai fait dans ma vie jusqu'ici, c'est pour faire mon chemin jusqu'a toi". Ils s'embrassèrent alors mais une voisine importune vint rendre visite à Francesca et s'y installa tout l'après-midi.

Francesca avait ensuite retrouvé Robert, attendant dans la chambre : "Pars avec moi" lui avait demandé Robert. Francesca avait commencé à faire ses valises. Ils avaient diné aux chandelles mais Francesca ne pouvait se résoudre à laisser Richard aux prises avec les commérages que provoquerait son départ. Elle craint que, même à des kilomètres, elle ne puisse oublier l'exemple qu'elle donnerait à ses enfants pour construire un foyer. "Je me mettrai à t'en vouloir pour tout le mal que j'aurai fait". Robert avait insisté : "Nous ne serons plus jamais deux personnes distinctes et tu sais combien de personnes cherchent ça toute leur vie sans jamais le trouver et combien ne savent même pas que ça existe". Il l'exhorta à ne pas renoncer. Robert insista encore "Ne nous perd pas, ne nous perd pas", espérant qu'elle changerait d'avis durant les quelques jours qui lui restait à passer dans le comté de Madison. Robert était alors parti. Impulsivement, elle avait poursuivi la voiture qui s'éloignait dans la nuit.

Le vendredi, Richard était revenu et Francesca avait retrouvé sa vie de détails. Pendant deux jours, elle s'absorba dans les taches ménagères. Puis elle partit faire des courses en ville avec Richard dans leur camionnette. Sous une pluie battante, Francesca avait revu Robert. Elle avait eu un moment l'intention d'ouvrir la portière et de le rejoindre, mais s'y était finalement refusée.

Le soir à table, dans le silence, Francesca réalisa que "l'amour ne répond pas à nos espérances, son mystère est pur et absolu". S'interrogeant si quelqu'un d'autre aurait pu en voir la beauté, elle s'était rapprochée de Lucy Redfield.

Au petit matin, Michael et Carolyn terminent leur lecture. Francesca disait qu'en étant avec Lucy, elle pouvait penser à Robert même si elle ne s'en ouvrit à son amie que des années plus tard. Richard était mort lui rendant grâce de l'avoir accompagné jusqu'au bout en dépit de ses rêves qu'il n'avait pu réaliser. Francesca avait vainement cherché à revoir Robert. Il n'avait laissé ses coordonnées à personne. Pour son anniversaire, Francesca refaisait chaque année le pèlerinage sur les lieux de leur amour. Puis elle avait reçu un paquet contenant les affaires de Robert, mort lui aussi. Il contenait notamment un album de photographies enfin publié : Souvenir de quatre jours, une enveloppe contenant, ensemble, son bracelet métallique et la croix qu'elle lui avait offerte.

Michael et Carolyn ont terminé leur lecture et trinquent du brandy qu'avait servi Robert pour Francesca. Carolyn garde en tête les derniers mots de sa mère : "Il n'y a pas un jour depuis où je ne pensais à lui. Quand il disait que nous n'étions plus deux personnes distinctes, il avait raison. Nous étions liés l'un à l'autre comme personne ne l'avait jamais été. Si ce n'avait été pour lui, je ne crois pas que j'aurais tenu à la ferme toutes ces années". Francesca terminait en souhaitant que ses enfants comprennent sa requête funéraire : elle a donné sa vie à sa famille et veut donner à Robert ce qui reste d'elle.

Michael rejoint Betty et leurs deux enfants dans la chambre d'hôtel de Winterset. Betty, soupçonneuse de son absence pendant la nuit, veut lui demander des comptes mais reste interloquée quand Michael lui demande s'il la rend heureuse ; ce qu'il souhaite par dessus-tout. Carolyn, qui a revêtu la robe de Francesca achetée pour Robert, demande à Steve, son mari, de la laisser prendre le temps de réfléchir à leur couple.

Carolyn et Michael, sa femme et ses deux enfants, vont jeter les cendres de Francesca depuis le pont Roseman. Là, Lucy leur remet l'album de photos de Robert. La voix de leur mère les accompagne : "Faites tout ce que vous pouvez pour être heureux dans cette vie ; il y a tant de beauté. Portez-vous bien mes enfants". Ses cendres rejoignent la terre du pont Roseman.

"L'amour ne répond pas à nos espérances, son mystère est pur et absolu" c'est ce que découvre Francesca le vendredi soir dans le silence du diner familial après quatre jours vécus intensément avec Robert, un photographe effectuant un reportage sur les vieux ponts par la revue National Geographic. Le cinéma de Clint Eastwood investit son regard, sa voix pour cristalliser ses souvenirs, les laisser intacts et garder à jamais leur pouvoir. Ils permettent à Francesca de vivre après le départ de Robert mais ils sont aussi capables de transformer la vie de ses enfants. Carolyn et Michael vont revivre en une journée les quatre jours de leur mère. Elle veut qu'ils apprennent cette vérité plus haute de l'amour qui, s'ils l'avaient connue avant, les auraient faits différents.

Naissance d'une complicité

Francesca et Robert avaient tout pour se rencontrer. Ils partagent le même humour, le même goût de la musique, le même goût pour la poésie et pour une sensualité douce.

Leur rencontre est placée sous le signe de l'humour : "Êtes-vous censé être dans l'Iowa ?" demande Francesca qui, avec la réponse affirmative de Robert, remarque "Alors vous n'êtes pas si perdu que ça !". En guise de réponse à son cadeau des fleurs coupées, elle lui déclare qu'elles sont vénéneuses, les lui faisant immédiatement lâcher par terre avant qu'ils en rient ensemble ; moment d'intimité partagé, souligné par quelques notes de piano.

Ils aiment tous les deux la station 140 qui passe du blues que recherche Robert le lundi. Ils s'embrassent le mardi en dansant sur I'll Close My Eyes, dansent longuement au Blue note le mercredi et leur diner aux chandelles du jeudi est rythmé par de It Was Almost Like A Song. Ces quatre jours sont ainsi aussi une parenthèse musicale. Chez elle, le dimanche après-midi, Francesca n'avait pu écouter Norma à la radio car sa fille, Carolyn, avait changé pour une station autre. Pareillement, le lundi des courses, Richard changera la station de radio 140 pour des informations locales.

Le lundi soir, Robert avait cité les derniers vers de La chanson du voyageur Aengus : " les pommes argentées de la lune et les pommes dorées du soleil" de William Butler Yeats sans savoir que Francesca les connaissait pour comprendre le sens bien plus intense que le seul final :

Or, bien que vieilli de voyages, Par basses terres et hautes terres, Je trouverai où elle se cache, J’aurai ses lèvres, prendrai ses mains, Et j’irai le long des longues herbes mures, Cueillant jusqu’au bout du temps et des temps, Les pommes d’argent de la lune, Les pommes dorées du soleil.

Du coup, Francesca avait repris le début du poème pour l'inviter le lendemain après son travail, "à l'heure où les phalènes s'envolent" :

Je me rendis au bois de noisetiers, Poussé par un feu dans mon cœur, Je coupai et pelai une baguette de noisetier, Y suspendis une baie à un fil de pêcheur ; Et, à l'heure où les phalènes s'envolent Et, comme elles, les étoiles filantes batifolent, Je plongeai la baie dans un torrent Et pris une petite truite d'argent.

Robert, en exergue de Souvenirs de quatre jours, reprend les vers mélancoliques du Childe Harold's Pilgrimage de Lord Byron :

Il y a le plaisir des bois sans chemin, il y a le ravissement sur un rivage solitaire, il y a une société où personne ne s’immisce, près de la mer profonde où sa musique rugit.  Je n'en aime pas moins l'homme, mais plus la nature. De nos rencontres dont je me souviens, de tout ce que je peux être ou avoir été auparavant, se mêler à l'Univers et ressentir, je ne peux tout te dire mais te l'exprimer un peu tout de même.

Probablement, Robert a gardé comme boussole la phrase qu'il énonçait : "Les vieux rêves étaient de bons rêves. Ils n'ont rien donnés mais je suis content de les avoir eu". Mais tout n'est pas que rêve dans leur histoire. La sensualité douce de leurs deux nuits d'amour prend le relais des premiers désirs de Francesca, regardant Robert à travers les planches du pont, puis faisant sa toilette dans le jardin ou l'entendant prendre sa douche.

Pointes de présent.

Sans avoir jamais à forcer le trait ou à hausser le ton, Clint Eastwood se peint en photographe, homme du regard qui refuse en toute modestie le statut d'artiste. Il laisse jouer à plein le texte de Robert James Waller, publié en 1992, et resté trois ans sur la liste des best-sellers. Eastwood magnifie tous ces moments au présent par des moyens très simples, quelques notes de musiques et de splendides fondus-enchaînés, faisant apparaitre un soleil du matin sur le texte de l'invitation pour l'heure des phalènes ou faisant disparaitre les lueurs de bougies d'un diner aux chandelles pour faire apparaitre un feu de cheminée.

Dans ces quatre jours, seuls deux appels téléphoniques et la visite importune d'uen voisine viennent contrecarrer un temps leur rencontre mais rien ne vient fournir une diversion à leur amour. Tout se joue entre eux dans les répétitions et variations de leurs amours. Ainsi, Francesca observe l'arrivée en voiture de Robert de loin le lundi matin puis, le vendredi au retour du mari et des enfants, elle porte le même regard sur la route devant la maison, espérant la voiture de Robert qui ne vient pas

La précision des gestes fait qu'ils reviennent immédiatement en mémoire. Si le lundi, Robert se penche pour trouver dans la boite à gants les cigarettes et lui effleure le genou, Francesca s'en souviendra la semaine suivante, en voiture sous la pluie, quand Robert, dans sa voiture devant elle, se penche pour prendre son bijou en forme de croix pour l'accrocher au rétroviseur comme un appel à le rejoindre.

Faire tenir toute une vie en l'espace de quatre jours

1965, C'est l'année de l'assassinat de Malcolm X et du soulèvement du ghetto noir de Watts. Dans l'Iowa, cependant, on vit presque comme au siècle précédent ainsi que l'indique le premier plan du film sur la boite aux lettres vieillie mais restée la même 25 ans plus tard.

Cet immobilisme est celui subi par Francesca qui, transplantée de Bari à Winterset dans l'Iowa, n'y a pas trouvé la réalisation de ses rêves et a même du arrêter de travailler. Mais, comme elle le dit à Robert le jeudi soir, elle est prisonnière de la vie qu'elle s'est bâtie : "Nous sommes les choix que nous avons faits. Une femme, en faisant des enfants, son amour commence mais, d'une autre façon, il se termine. On bâtit une vie de détails et on s'arrête, on se calme on laisse aux enfants le soin de bâtir leur vie et, quand ils s'en vont, ils emportent votre vie de détails avec eux. On se demande alors ce qui peut vous faire avancer mais on l'a oublié parce que personne ne vous l'a demandé depuis longtemps, ni vous d'ailleurs". Francesca voulait désormais garder cet amour pour elle, pour le reste de sa vie.

Robert est tout l'inverse de ce confinement. Sa liberté c'est de descendre du train à Bari parce que c'était ravissant. C'est le premier élément qui touche Francesca ; comme un évenement pleinement singulier, une intense pointe de présent; pointe de present bouleversante mais dramatique cette fois lorsqu'elle reste dans la voiture à voir les feux arrière rouge clignoter et Robert s'éloigner sous la pluie.

Transmission

Comme tous les grands films d'Eastwood, Sur la route de Madison est un film de revenants qui surgissent d'un passé oublié. Un fils et une fille, purs produits de l'Amérique reagano-bushienne, découvrent un bloc de temps à l'état pur enfoui par leur mère et ressuscité à sa mort.

Francesca sait que sa révélation pourra être mal reçue : "C'est facile pour une maman d'aimer ses enfants c'est une chose qui vous vient naturellement. Je ne sais pas si c'est aussi simple pour les enfants. Vous êtes tellement occupés à nous en vouloir de vois avoir mal élevés". Et Michael en veut à sa mère de l'avoir trompé autant que son père en lui inculquant des valeurs auxquelles elle ne croyait pas, celle d'un foyer qui se doit d'être exemplaire à tout prix.

"Si elle souffrait tellement pourquoi n'est elle pas partie" se demande t-il. Pourtant bien qu'incompatibles, les deux réalités ont leur valeur et celle de l'amour peut transcender l'autre "Ce que Robert et moi avions ne pouvait continuer si nous étions restés ensemble et ce que Richard et moi partagions disparaitrait si nous nous séparions. Mais comme j'aurais aimé partager ceci ; comme nos vies auraient changé si je l'avais fait". Ainsi c'est bien cette transmission de la valeur supérieure de l'amour que transmet maintenant Francesca à ses enfants ; une vérité qui ne détruit pas l'ancienne mais l'éclaire. Ainsi quand Michael et Carolyn ont terminé leur lecture ils trinquent du brandy qu'avait servi Robert pour Francesca. "Si ce n'avait été pour lui, je ne crois pas que j'aurais tenu à la ferme toutes ces années."  Michael s'investira dès lors davantage dans son couple, se montrant moins odieux qu'il ne l'était en arrivant alors que Carolyn, revêtue de la robe de sa mère, divorcera sans doute sans colère.

Jean-Luc Lacuve, le 18 avril 2020.

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