Les pleins pouvoirs

1997

Genre : Film noir

(Absolute power). Avec : Clint Eastwood (Luther Whitney), Gene Hackman (Alan Richmond, le président des États-Unis), Ed Harris (Seth Frank), Laura Linney (Kate Whitney), Scott Glenn (Bill Burton), Dennis Haysbert (Tim Collin), Judy Davis (Gloria Russell), E.G. Marshall (Walter Sullivan), Melora Hardin (Christy Sullivan), Kenneth Welsh (Sandy Lord). 2h01.

Perfectionniste et solitaire, Luther Whitney pratique en virtuose l'art du cambriolage. Alors qu'il est en train d'opérer dans la luxueuse villa de Walter Sullivan, un influent philanthrope de Washington, il est surpris par un couple éméché : la maîtresse des lieux, Christy Sullivan, et Alan Richmond, le président des États-Unis en personne ! Dissimulé dans la chambre-forte, masqué par un miroir sans tain, Luther, spectateur malgré lui, observe, pétrifié, la scène galante qui dégénère bientôt : Richmond devient violent et Christy ne se laisse pas faire, allant jusqu'à le blesser avec un coupe-papier. Les gardes du corps de Richmond, Burton et Cullin, font alors irruption et abattent la jeune femme. Gloria Russell, la secrétaire particulière du président, présente elle aussi, décide de tout maquiller en... crime de cambrioleur. Mais Luther récupère le butin et le coupe-papier portant les empreintes digitales de Richmond et maculé de son sang.

Fin limier chargé de l'enquête, Seth Frank doute fortement des apparences du crime. Il soupçonne vite Luther du vol, mais pas du meurtre : Luther n'a jamais tué, ce qui lui vaut l'estime du policier. Lors d'une conférence de presse, Richmond, qui doit son élection à Sullivan, l'assure hypocritement de sa compassion. Écœuré, Luther, qui projetait de quitter le pays, y renonce et décide de confondre les véritables assassins.

Or Luther a une fille, Kate, qui a toujours cru qu'il l'avait négligée, et qui est devenue procureur. En visitant avec Seth la maison de son père, Kate découvre qu'il a toujours veillé sur elle de loin. Burton propose à Seth la coopération des services secrets, ce qui lui permet de le mettre sur écoutes, et ainsi d'élaborer un traquenard lorsque Luther se rend à un rendez-vous avec Kate fixé par Seth. Alors que Cullin et McCarty, un tueur engagé par Sullivan, le mettent en joue, Luther échappe miraculeusement à l'attentat et disparaît.

Sur ordre du président, Cullin précipite Kate et sa voiture du haut d'une falaise. Il s'introduit ensuite dans l'hôpital où elle a été transportée ; mais Luther le tue avant qu'il ait pu agir. Puis il révèle toute l'affaire à Sullivan et lui remet même le coupe-papier. Pris de scrupules, Burton se tire une balle dans la tête. Seth arrête Gloria. Et on apprend que le président s'est "suicidé" alors que son vieil ami Sullivan lui rendait une visite inopinée. Quant à Luther, il sait que désormais Seth veillera sur Kate.

Les pleins pouvoir développe une nouvelle fois le thème de la transmission présent dans Un monde parfait et Sur la route de Madison avec la réflexion sur l'art abordée dans ce dernier film où le personnage restait photographe puis dans Minuit dans le jardin du bien et du mal où Jim Williams se passionnait pour la rénovation des tableaux.

Une sale histoire

Le film appartient à la tradition hollywoodienne des thrillers politico-policiers d'Alan Pakula ou de Sydney Pollack : un cambrioleur, Luther Whitney, est le témoin fortuit d'un meurtre dans lequel est impliqué le président des Etats-Unis et devient la cible numéro un des services secrets. Le syndrome Kennedy est au cœur de la longue séquence où on tente d'éliminer Luther, venu retrouver sa fille dans un café du centre-ville. Tout le quartier est cerné par les policiers mais il est attendu à son rendez-vous par deux tueurs à gages, reprenant l'une des thèses de l'assassinat de Kennedy.

La scène de crime du président Richardson avec le contrechamp sur Luther presque totalement dans le noir caché derrière le miroir, la séquence du bal où Gloria, la conseillère du président réalise qu'elle a été dupée par Luther et de départ de Sullivan sous la pluie pour "suicider" le président sont particulièrement noires.

L'ange de l'histoire

Eastwood semble prendre ses distances avec la violence du monde contemporain et endosse de nouveau le rôle du fantôme revenu du passé pour veiller sur ce qui peut être préservé. Comme dans Impitoyable et Sur la route de Madison, Eastwood est une fois de plus un fantôme, un revenant. Luther, le justicier, est un anachronisme, un être décalé appartenant au passé. Cette relation entre le passé et le présent fait naturellement écho au dialogue entre les vivants et les morts qui s'instaurait dans Sur la route de Madison à travers la correspondance et le journal intime que Meryl Streep laissait en héritage à ses deux enfants. Dans Les pleins pouvoirs, le lien entre le passé et le présent, entre la vie et la mort, se fait de façon directe dans les rapports que Luther tisse de nouveau avec sa fille Kate. Les photos prises au téléobjectif des principales étapes de sa vie auxquelles elle n'avait jamais soupçonné que son père ait pu participer sont l'occasion de voir que ces liens n'ont jamais été rompus. Celui qu'elle croyait absent veillait toujours sur elle. Cette séquence bouleversante s'inscrit dans le droit fil des séquences de L'aventure de Madame Muir où le fantôme de Rex Harisson veille sur Gene Thierney une fois que celle-ci a renoncé à sa vie terrestre avec le même humour lorsque Luther s'en prend plus prosaïquement au contenu du frigo de sa fille.

Ce rôle d'ange de l'histoire individuelle collective est préparé par le pré-générique au Walter art museum de Baltimore. Luther copie Saint François recevant les stigmates du Greco en se concentrant sur les mains et les yeux. "Vous êtes un manuel", lui dit alors une jeune femme en regardant ses dessins. Elle prend soin de lui conseiller de ne pas se décourager sur ce quoi Eastwood répond que ce n'est pas son genre. La caméra les délaisse alors pour cadrer Paysage avec l'enlèvement d'Hélène de Maerten van Heemskerck sur lequel vient s'inscrire le titre du film et le générique. Eastwood semble ainsi choisir d'assumer ce rôle de saint de l'histoire dans un monde devenu un puzzle dans lequel il est difficile de trouver son chemin et soumis à la violence. Dans la scène finale de la chambre d'hôpital où Luther veille sur sa fille, il reprend ses dessins preuve de la constance d'Eastwood à dépeindre le monde en s'y incluant comme moraliste.

Jean-Luc Lacuve le 18/12/2012

Bibliographie : Nicolas Saada, Les Cahiers du cinéma n°513 - mai 1997

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