La mule

2018

(The Mule). Avec : Clint Eastwood (Earl Stone), Bradley Cooper (Colin Bates), Laurence Fishburne (Son supérieur de la BEA), Michael Peña (Agent Treviño), Dianne Wiest (Mary), Andy Garcia (Laton), Ignacio Serricchio (Julio), Alison Eastwood (Iris). 1h56.

2005. Peoria, dans l’Illinois, à 250 kilomètres au sud de Chicago. Des champs de lys, splendides. Earl, 75 ans, sort de l'une des serres de sa pépinière un lys à la main et plaisante avec son employé mexicain, José, sur sa voiture délabrée, qui va le faire passer pour un migrant illégal. Earl s'en va participer à une convention d'horticulteurs pour le concours des plus beaux lys d’un jour (day lilies) qui offrent d’infinies possibilités d’hybridation. Earl ne manque pas de plaisanter avec d'autres participants sur leur âge et le sien, se montrant charmant avec les participantes, leur indiquant que le concours de beauté se situe à un autre étage et recevant lui-même le compliment de ressembler à James Stewart. Tout juste note-t-il un pépiniériste proposant des livraisons via des commandes sur internet. Lui-même fait sa publicité en distribuant gratuitement des pousses avec "un succès digne d'un vendeur de viagra", remarque-t-il avec ironie.

Earl gagne le concours du plus beau lys d'un jour et, en guise de discours, fait, à la grande satisfaction de tous, une plaisanterie sur le plus court chemin pour atteindre le bar.

Pendant ce temps, Iris, sa fille, se remarie. Elle ne peut pas croire que son père ne viendra pas assister à la cérémonie. Mary, sa mère, lui rappelle la triste réalité. Earl a toujours fait passer son travail avant tout. Il n'a été présent ni à son baptême, ni à sa confirmation, ni à sa remise de diplôme. Il ne viendra pas. Ginny sa fille de neuf ans s'apitoie sur le sort de sa maman qui n'aura personne pour la conduire  à l'autel.

Dans les salons de la convention, Earl festoie avec ses amis et offre une tournée à tous, même aux invités d'un mariage.

2017. La pépinière a perdu toute sa splendeur. Earl embarque ses affaires dans son pick-up marron. Il marmonne un " Internet, ça ruine tout", accusant ainsi les fleuristes spécialisés dans le commerce électronique. Il distribue une petite prime de licenciement à ses employés et se rend alors au brunch de fiançailles de Ginny, sa petite-fille. Il est heureux de voir qu'elle a conservé toutes les cartes postales qu'il lui a envoyées depuis ses neuf ans.

Mais lorsque Mary et Iris arrivent, elles refusent d'entrer si Earl ne part pas. Iris a fuit instinctivement et Mary n'est guère plus tendre. Ayant repéré le camion chargé d'affaires, elle soupçonne qu'il cherche seulement un toit et note qu'il n'a pas participé aux frais du futur mariage. Earl a beau dire qu'il travaillait autrefois 60 heures par semaine pour nourrir sa famille. Rien n'y fait ; Mary a beau jeu de lui dire qu'il le faisait pour sa propre gloire et sa dérisoire course aux médailles.

Abattu, Earl s'en va. Seul un invité mexicain, Rico, l'accompagne et compatit. Quand Earl lui apprend qu'en 60 ans de conduite, en ayant traversé 41 des 50 états américains, il n'a jamais eu de contravention, Rico lui dit qu'il connaît des types qui le paieront pour juste rouler prudemment d'une ville à l'autre. Il lui donne sa carte.

C'est ainsi que, peu de temps après, Earl se retrouve à la recherche un entrepôt de pneumatiques dans une banlieue déserte d'El Paso au Texas. Il entre dans un garage où il est accueilli par trois gangsters. L'un tient un fusil d’assaut alors que les autres proposent de découper sa voiture pour y fabriquer une cachette. Earl refuse tranquillement affirmant que le sac qu'il doit transporter est à ranger dans le coffre et qu'il n'a pas pour habitude de regarder dans le sac d'un autre. Il est alors prié d'acheminer le sac jusqu’à un hôtel de Chicago. Il devra laisser les clés sur le pick-up et revenir une heure après. L'argent qui lui est dû sera alors dans la boîte à gants. On lui donne un téléphone avec l'ordre d'envoyer un texto une fois arrivé et de répondre jour et nuit si on l'appelle.

Pendant ce temps à Chicago, l'agent Colin Bates reçoit les ordres de son supérieur l'encourageant à casser la baraque (a big splash) s'il veut quitter cette ville pourrie pour une meilleure affectation. Bates rencontre l'agent Trevino qui sera son bras droit pour sa mission.

Première course. Earl conduit joyeusement en écoutant sa chanson favorite "Je t'aime aujourd'hui plus qu'hier mais bien moins que demain". Il arrive sans encombre dans l'Illinois.

Pendant ce temps à Chicago, Bates et Trevino planquent devant un café et repèrent Luis Rocha dont ils veulent faire leur indic.

Earl est arrivé à l'hôtel de destination. Il trouve l'argent promis, une grosse liasse de gros billets dans la boite à gants. Un sympathique trafiquant frappe à sa fenêtre et le félicite. Il lui remet ses coordonnées s'il veut faire une seconde course en cas de coup dur (rainy day). Earl jure que cela ne sera pas utile.

Bates et Trevino entrent dans la boutique d'épilation de Luis Rocha et le menacent de le livrer au cartel comme indic s'il refuse de l'être.

Lors du mariage de Ginny, celle-ci remercie Earl d'avoir acheté les fleurs et payé l'open bar. Heureux, Earl danse et voudrait engager la conversation avec Mary. Mais celle-ci est trop amère. Les dix ans qu'ils ont passés ensemble ont été gâchés par tout le temps qu'il a consacré à ses plantes.

De retour devant sa pépinière, Earl constate qu'elle fait l'objet d'une saisie immobilière. C'est ainsi que, conduisant un pick-up noir flambant neuf, il se retrouve dans le garage d'El Paso pour un second voyage. On lui remet un nouveau téléphone avec l'ordre de se rendre au même endroit que précédemment.

Deuxième course. Earl passe par les White sands et contemple le soleil couchant. Il s'arrête le jour suivant pour acheter des fruits et légumes et voit un attroupement près de motos Harley-Davidson. Au bruit, il signifie immédiatement "aux fistons" qu'il s'agit d'un problème de relais sur le moteur Shovelhead. Mais ce ne sont pas des fistons mais des gouines, fières de l'être, qui lui répondent. Earl s'en amuse et confirme son diagnostique en étant remercié d'un sympathique "Ok papy". Il arrive devant le même hôtel et récupère pareillement son argent.

Pendant ce temps, Luis Rocha, arrêté et menacé de prison avec tous les sévices qu'y subissent les homosexuels, accepte, contraint et forcé, d'être un indic pour Bates et Trevino

A Peoria, Earl paie en liquide sa dette auprès de sa banque pour arrêter la saisie de sa pépinière. Il se rend dans la salle des fêtes où se tiennent les réunions des anciens de la Corée mais découvre avec tristesse que le patron fait ses bagages. Un incendie a détruit la cuisine et les assurances ne rembourseront que trop tard. Le patron remarque le pick-up flambant neuf d'Earl et lui suggère, puisqu'il regrette les soirées polka et loto de l'amicale, de trouver les 25 000 dollars nécessaires à la réouverture. Earl se retrouve ainsi pour la troisième fois au garage d'El Paso.

Troisième course.Le capuchon du verrou du coffre est mal remis et Earl s'arrête sur le bord de la route pour examiner le coffre et le sac qu'il contient, découvrant des paquets de cocaïne pure. A peine a t-il refermé le sac que surgit un policier.  Earl lui parle des noix de pécan disposées autour du sac. Il s'inquiète toutefois lorsque le chien du policier demande à sortir de la voiture. Earl trouve fort heureusement un désinfectant qu'il applique sur ses mains et fait renifler au chien pour désorienter son odorat. Le policier repart. Non sans avoir noté qu'Earl ressemblait à James Stewart.

A Boston, Luis Rocha indique à Bates et Trevino, qui l'ont embarqué dans leur voiture banalisée, que c'est devant cet hôtel et d'autres du même type que les mules viennent déposer leur cargaison. Et c'est devant un autre qu'Earl rejoint sa voiture y découvrant cette fois avec une certaine excitation trois liasses de gros billets.

A Peoria, c'est la grande soirée de réouverture de l'amicale des anciens. Avec sa Polka "Un jour à dire merci et à rire", la chanteuse sur scène entraîne tout le monde dans ses remerciements envers Earl dont la générosité  a permis la réouverture. Le patron, tout aussi chaleureux, suggère même à Earl de rénover la vieille patinoire.

Cinquième course : tout se passe sans encombre.

Mexico. Dans sa luxueuse propriété, Leton, le patron du cartel s'entraîne au ball-trap. Il ordonne à Julio d'accompagner et de surveiller Earl, surnommé Tata (pépé). cette fois la cargaison sera d'importance 110 kilos pour une valeur de 2,7M$.  Julio rechigne devant cette mission peu valorisante mais refuse que le menaçant Gustavo soit préféré. Il sera accompagné d'un autre trafiquant, Sal.

Ainsi, lorsque Earl se présente au garage d'El Paso, Julio, revolver à la main, lui indique les nouvelles règles du jeu : ni arrêts non prévus, ni routes en dehors de l'itinéraire. "J'ai fait la guerre, tu ne me fais pas peur", réplique Earl se moquant de Julio en petite caricature du führer. Julio intimide aussi les trafiquants du garage alors que l'un d'eux indique à Earl l'adresse de livraison sur son téléphone, 771 Joy drive. Pendant qu'ils parlent et que de nombreux sacs sont chargés dans le coffre, Julio cache un micro dans le pick-up d'Earl.

Huitième course. Earl a mis la radio "On coule, fait pas le malin ; la vie sera magnifique". Cela exaspère Julio et Sal mais plus encore lorsque Earl s'arrête pour changer la roue de la voiture d'un couple d'afro-américains en panne. L'exaspération de Julio atteint son comble au motel le soir, lorsque Earl fait venir deux prostituées dans la chambre où il s'est installé pour la nuit. Sal propose même de le buter. Au matin néanmoins, ils arrivent dans l'Illinois. Mais, au dernier moment, Earl ne suit pas la routé prévue et se retrouve devant un garage où on ne l'attend pas. Néanmoins la course est un succès et la drogue récupérée par un Julio plus menaçant que jamais. C'est exaspéré et sous la pluie qu'il se plaint au téléphone à Leton de l'imprévisibilité de Earl. Leton confortablement installé dans sa piscine défend Earl.

Dans leur voiture banalisée, Bates et Trevino reçoivent de  Rocha un carnet  sur lequel figurent les noms de code des mules et les lieux et dates des livraisons. Tata en a effectué deux grosses en avril et mai pour 220 kilos.

Neuvième course : chanson "Pendez-moi, pendez-moi, femme ne pleure pas pour moi". Earl s'est arrêté dans un snack pour déguster le meilleur sandwich au porc. Julio et Sal se sentent bizarrement regardés : "Deux haricots rouges dans un champ de maïs" leur dit Earl s'amusant des regards racistes des Texans. Earl affirme que l'important est de jouir de la vie. Julio lui réplique néanmoins : "Tu as peut-être trop joui et, maintenant, tu travailles pour nous". Alors qu'ils vont repartir, Julio se fait menaçant pour éviter de nouveaux arrêts imprévus. Il est alors pris à partie par un policier raciste. Earl le tire de ce mauvais pas en prétendant qu'il a engagé Sal et Julio pour l'aider à déménager. Il offre au policier des seaux de pop corn prétextant un diabète. Le policier encombré et ridicule, s'en va les bras chargés, oubliant son contrôle d'identité.

A Boston, Bates sait que la livraison est prévue pour  21 heures soit dans 5 heures par un pick-up noir. Il y a aura 100 kilos, soit bien plus que leur prise maximale de 5 kilos par mois.

Earl écoute "On m'a refilé Maria". Julio s'inquiète de voir arrêter des pick-up noirs par la police. Mais les 228 kilos sont livrés. Leton est content et demande à rencontrer Earl.

A Mexico, dans la riche propriété avec piscine de Leton, se côtoient musique, alcool et jolies femmes. Leton confie l'une d'elles à Earl pour la nuit. Une deuxième prostituée vient se joindre à eux dans la chambre. "Appeler mon cardiologue" s'amuse Earl. Il sort de la chambre au milieu de la nuit pour donner à Julio le conseil d'arrêter le trafic de drogue et de "trouver un truc que tu aimes faire et t'y consacrer". Mais Julio refuse, expliquant qu'il est quelqu'un grâce à Leton.

Apres l'échec de l'arrestation du pick-up noir, l'équipe de Bates est sous pression de la demande de résultats du QG de Arlington. Ils tentent une opération de nuit. C'est un nouvel échec.

Earl est venu assister à la remise de diplôme de Genny à la  "Glam Cosmetology". Il arbore un bracelet en or dont Mary s'amuse tout en comprenant qu'il a financé les études de Genny. Elle est néanmoins surprise de sa présence : "je tache de rattraper le temps perdu et j'ai toujours attaché de l'importance aux diplômes." Mary rit mais est aussi prise d'une douleur soudaine.

A Mexico, Leton ne s'est pas méfié : un homme de main de Gustavo l'abat alors qu'il s'amuse au ball-trap. Lorsque Julio vient, il prétend que Leton était trop laxiste. Il décide d'être intransigeant avec Tata. ils décident de l'impressionner et l'emmènent au fond d'un bois pour lui offrir un nouveau téléphone, pris dans un coffre où repose un cadavre.

Pour sa nouvelle course, Earl a perdu sa désinvolture même s'il veut bien avouer qu'il y a pire. A Boston, on connaît cette fois le trajet exact de la mule. "Alors allons-y" a déclaré le chef. Un hélico surveille tous les pick-up noirs, délaissant l'un d'eux avec deux jeunes à bord mais arrêtant un conducteur seul mort de trouille.

Douzième course : "Me voila encore sur la route" chante Earl, ignorant que la police est à ses trousses. Bates est prévenu par Luis Rocha que la mule sera au Motel "Honest Abe" le soir. Effectivement à l'hôtel, Earl voit le soir un mec baraqué à la machine à glaçons. Earl lui conseille inutilement de poser son téléphone et de se servir de ses deux mains. Bates et Trevino, en planque, listent les suspects possibles dans chacune des chambres. Ils voient l'homme à la machine au glaçon armé et décident de l'arrêter. Bates passe alors devant la porte ouverte d'Earl qui l'affuble d'un "Vous autres, accros au téléphone". L'homme baraqué au revolver est arrêté en possession de 15 grammes de cocaïne. Earl les voit le fouiller vainement pour trouver davantage.

Le matin, Earl entre dans le bar adjacent au motel avec son thermos à café et assied à coté de Bates. Celui-ci profère un "Oh merde" qu'Earl interprète immédiatement comme l'oubli d'un anniversaire. Il poursuit la conversation avec Bates lui disant que la famille c'est plus important; lui-même est brouillé avec sa fille qui ne lui parle plus depuis 12,5 ans. "Vous qui avez vécu, vous pouvez parler sans filtre" acquiesce Bates.

A peine reparti, cette fois sous la pluie, Earl est appelé au téléphone par Genny qui le supplie de venir au chevet de Mary, mourante. Comme Earl refuse prétextant son travail, elle se fâche. Earl arrive alors immédiatement. Mary est surprise  : "Qu'est-ce que tu veux, tu n'es pas sur le testament ?". Mais elle regrette immédiatement cette pointe d'ironie. Elle déplore néanmoins que le Earl, si facétieux et délicieux à l'extérieur, ne fut jamais là pour elle, toujours pressé de retourner voir ses amis. Earl reconnaît avoir été une nullité à la maison. "Je suis si contente que tu sois là" l'apaise Mary. Iris les regarde dans l'entrebâillement de la porte.

Le cartel est furieux qu'il ne réponde pas et décide de buter Tata. A l'hôtel, Bates attend en vain. L'écoute des trafiquants lui apprend qu'ils sont furieux et veulent tuer Tata.

Earl donne à manger à Mary qui l'interroge sur sa soudaine richesse. Il tente quelques explications pour la faire rire ; chasseur de primes, gigolo... ou transportant 350 kilos de drogue. Et Mary rit bien des trois. Earl part se recueillir devant les plans de lys d'un jour que Mary cultivait en pensant à lui. "Tu fleuris sur le tard", lui reconnait Iris.

Bates négocie quelques jours de plus pour rester sur sa mission d'interception de Tata. De son côté, Earl consulte  son téléphone sur lequel sont enregistrés 53 appels manqués et 98 textos. Mary agonise "Tu as été l'amour et la souffrance de ma vie. Mais la seule chose qui compte, c'est que tu sois là". Il chantent ensemble une dernière fois : "Je t'aime plus qu'hier mais bien moins que demain". Earl assiste aux funérailles de Mary. Au sortir de la cérémonie, Iris, réconciliée, l'invite pour Thanksgiving; ce qu'il promet de ne rater sous aucun prétexte

De retour sur la route, Earl est vite repéré par les membres du cartel. Dès qu'il s'arrête, ils le menacent d'une arme. Earl accepte son châtiment mais les trafiquants semblent amadoués par la photo des funérailles et le laissent repartir après avoir téléphoné à Gustavo. Ce coup de fil permet à Bates de le localiser et de fondre sur lui au GPS. Earl voit l'hélicoptère au-dessus de lui et l'autoroute barrée. Il se laisse arrêter sans résistance. Bates exprime sa surprise en découvrant qui il est mais compatit sincérement quand Earl s'estime satisfait d'avoir pu passer du temps lors des derniers moments de sa femme et de s'être réconcilié avec sa fille. Bates lui dit se souvenir de leur conversation et soulagé que ses douze ans de brouille soient terminés.

Au procès, l'avocate de Earl insiste sur les services rendus, son vieil âge et le choc dû à l'agonie de sa femme. Mais Earl décide de plaider coupable ce qui entraîne son incarcération immédiate.  Il dit à Iris qu'il pouvait tout acheter sauf le temps. "Au moins on saura où te trouver" répond gentiment celle-ci. Le pas de Earl se traîne au tribunal mais se fait plus décidé dans la prison où, comme il l'a toujours fait, il cultive ses lys d'un jour. Un panoramique ascendant s'élève au-dessus de la grille pour révéler la liberté intérieure toujours intacte d'Earl.

Inspiré du personnage de Leo Sharp, condamné à trois ans de prison pour avoir été arrêté en possession de 104 kg de cocaïne à l’âge de 87 ans, La mule est peut-être un biopic mais c'est avant tout un portrait métaphorique d'Eastwood lui-même. Portrait métaphorique car moins celui de l'homme engagé aux côtés des républicains (hélas !) que celui du cinéaste travaillant avec la grâce désinvolte de la vieillesse, son thème de toujours, que Gilles Deleuze résume par une image : des pointes de présent sur les nappes de passé.

Si le film peut apparaître comme un divertissement léger, il fait néanmoins échos à des séquences d'autres films importants (Un monde parfait, Les pleins pouvoirs, Gran Torino, Sur la route de Madison). Mais il n'est plus ici question de les déployer dans de grandes machines fictionnels ; juste de faire surgir des plans avec la grâce aigüe de l'humour ou d'une chanson ; comme le bilan d'une vie passée à faire le cinéma qu'on aime quitte à lui avoir sacrifié une bonne part de sa lucidité sur la vie elle-même.

Nappes de passé, pointes de présent

Les nappes de passé , ce sont tous les clichés de l'Amérique : le rôle de la famille, la masculinité triomphante, le racisme toujours latent, la malbouffe, la violence et la drogue. Earl ne les oublie pas et regrette parfois que les choses ne soient pas aussi simples qu'avant mais avec humour et une obstination que rien n'arrête, il affirme sa liberté et la jouissance qu'elle procure.

La masculinité triomphante de l'Amérique, ce sont les motards sur leurs grosses machines. Mais, aujourd'hui, Earl est confronté à leur conduite par des lesbiennes. Une fois la surprise passée, il accepte cette différence. Il constate, amusé, que sa technique reste un plaisir à transmettre. Il peut dialoguer avec elles puisqu'il trouve le même plaisir à signifier sa connaissance, celle d'une panne du relais.

Même capacité à dialoguer avec le couple d'afro-américains en panne sur la route, à partir d'une constatation que leurs différences de départ peuvent s'effacer dans le dialogue et l'entraide. Les nappes du racisme font partie de l'Amérique mais ne sont plus pour Earl qu'un sujet de plaisanterie sans importance qui s'efface devant fraternité dont il fait preuve.

A l'inverse, ce qui empêche l'échange dérive de la technologie du portable. Earl vient d'une époque où l'on est moins stressé. Il s'acharne ainsi à propos de la nouvelle génération, accro au téléphone : "C’est le problème de votre génération. Vous ne pouvez pas ouvrir une boîte de conserve sans chercher la solution sur Internet"; ou plus tard "Cela fonctionnerait beaucoup mieux si vous ôtiez ce putain de téléphone de votre main"; "Je ne sais pas ce que c'est avec vous et votre génération. Est-ce que vous ne vivez pas en dehors de ce putain de téléphone?"

Earl fait aussi le constat de la violence policière : à la violence verbale du policier raciste, il oppose son humour et son culot et le renvoie, inoffensif, les bras chargé de pop-corn. Et Eastwood constate mi-amusé mi-consterné les frayeurs des citoyens devant la multiplication des bavures policières. L’homme arrêté répète sans cesse "ce sont les cinq minutes les plus dangereuses de ma vie".

Lorsque Earl revient vers sa femme mourante, il constate trop tard que d'autres moments forts lui ont échappé. Il vit avec force ses derniers moments avec son ex-femme et procède à une autocritique: il s'est enfermé dans son personnage public et a dédaigné sa famille, source de joies fortes et durables. Néanmoins, c'est toujours la volonté de bien faire les choses qui le guident et non pas une soumission à un ordre moral. Tout est sans doute une question d'équilibre.

Présence de la mise en scène

Avec un tel sujet, Eastwood aurait pu faire un film sur les douze courses de Earl montrant la fatigue du vieil homme à conduire ; la tension qui pèse sur lui pour contrevenir à la morale sociale (qui en fait un trafiquant de drogue) et à la morale privée (qui lance à sa poursuite les fantômes du passé). Avec cette tension exacerbée par la peur de se savoir à la merci de la police et du cartel des trafiquants, Eastwood aurait pu réaliser une sorte d'Affranchis à la Scorsese. Mais le film refuse la structure d'une grosse machine fictionnelle et accumule les surprises et l'humour tout à la fois dans la structure du film et dans l'enchaînement des plans.

Le film est structuré par seulement sept des douze courses de Earl et encore ! La première et la cinquième ne font l'objet que de trois plans, de jour, de nuit, et l'arrivée devant le panneau "Bienvenue en Illinois". La seconde course consacre de longs plans contemplatifs aux White sansds et fait la part belle à l'humour avec la confusion sur le genre des motardes.

La troisième course avec le policier au chien et deux dernières (les 8e et 12e) entretiennent seules un vrai suspens. Ce sont ainsi bien davantage les pointes d'humour qui ponctuent le film, celles sur une Amérique moins gendrée et moins raciste qu'auparavant, celle du policier chargé de popcorn, celle sur l'appel au cardiologue dans la chambre où Leton lui a offert deux prostituées. Mêmes ponctuations heureuses avec les chansons : "Je t'aime aujourd'hui plus qu'hier mais bien moins que demain"; "Un jour à dire merci et à rire", "On coule, fait pas le malin ; la vie sera magnifique" ou "On m'a refilé Maria".

Les derniers instants avec Mary ont les accents mélodramatiques de Sur la route de Madison, les cartes postales conservées par Ginny évoquent Les pleins pouvoirs où la fille venait visiter l'appartement du père et constaté que caché, il avait été présent aux grandes étapes de sa vie. Le road-movie aux étapes imprévues rappelle Un monde parfait où Kevin Costner apprenait à l'enfant à faire ce dont il a toujours eu envie mais que la morale de ses parents réprouvait.

Ces réminiscences affleurent à peine sous la discrétion du montage. Ainsi la rapidité des enchaînements avec notamment quelques beaux fondu-enchaînés : sur la transition entre la belle pépinière au retour du congrès en 2005 et à l'abandon en 2017, ou le départ de voiture et son retour immédiat pour y trouver l'argent ou encore les pas traînants du tribunal et ceux de nouveau plein d'allant (pour 87 ans !) dans le jardin de la prison.

Deux plans aussi figurent la pensée de Earl. Le remords de Earl se manifeste par un regard sur le mariage dans les salons de la convention horticole. Même raccourci émotionnel lorsque Earl, appelé au téléphone par Ginny, raccroche en ayant refusé de venir assister Mary. Puis, dans le plan suivant, il est devant la porte de Mary. Condensation maximale enfin avec le lys au début et le lys à la fin exprimant la liberté au-delà des contraintes.

Jean-Luc Lacuve, le 9 février 2019

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