Barbara

2017

Genre : Biopic

Cannes 2017 : un certain regard Avec : Jeanne Balibar (Barbara), Mathieu Amalric (Yves Zand), Vincent Peirani (Roland Romanelli), Aurore Clément (La mère), Grégoire Colin (Charley Marouani), Fanny Imber (Marie Chaix), Pierre Michon (Jacques Tournier). 1h37

Sur le générique coloré, on entend Barbara souhaiter chanter une chanson presque sans paroles. Son reflet sur le piano. C'est Brigitte, actrice internationale extravagante, qui arrive Gare du Nord et joue déjà sur un piano. Elle visite sa chambre d'hôtel. En voiture vers le lieu de tournage, son assistante lui donne le scénario de Barbara, rédigé par le réalisateur Yves Zand. Elle la prévient ne pas trop s'y fier : Yves a l'habitude de modifier les dialogues au dernier moment. "Comme ça nous serons deux" dit-elle. Elle demande à son chauffeur de s'arrêter; elle a envie de marcher à pied et de respirer l'air de Paris.

Dans l'appartement où le tournage va avoir lieu, Yves s'aide de post-it pour arranger les séquences qu'il devra tourner. Le clap de début de tournage est donné. Barbara fredonne une chanson, "Musique pour une absente", qui prend forme petit à petit. Elle s'aide d'un gros magnétophone à bande pour que, plus tard, son assistante retranscrive ses notes. Elle baisse le son de la télévision. C'est la soirée de l'éclipse, elle appelle un homme au téléphone pour savoir si elle va bientôt débuter ; il voudrait la rejoindre chez elle. Ell lui répond gentiment qu'il devra se contenter de dormir bien sagement chez lui. Bientôt un coup de sonnette se fait entendre. C'est sa mère qui, elle le sait, a besoin d'argent, car elle a perdu au jeu, de petites sommes néanmoins dorénavant. Barbara lui donne quelques billets, lui montre les villes de France où elle pourra la joindre dans sa future tournée et l'expédie rapidement : elle doit travailler.

Off, quelqu'un crie "coupez" : les décors du studio tombent. Il fait grand jour. Brigitte et celle qui interprète sa mère s'inquiètent de savoir si une deuxième prise est nécessaire. Mais non, le metteur en scène est très content de celle-ci leur dit-on. Brigitte pénètre dans la petite pièce à l'écart où Yves Zand contrôlait et visionnait le tournage sur son combo. Son visage est baigné de larmes. Oui, il est heureux de la prise.

Ils doivent maintenant répéter des chansons avec le violoncelliste et l'accordéoniste. Brigitte interprète de tout son corps "Le Père Noël et la petite fille" de Brassens qu'elle chanta avant d'oser interpréter ses propres textes. Selon les indications d'Yves, Brigitte se déplace près de la fenêtre puis rejoint sa mère sur le canapé avec qui elle a un échange affectueux.

Sur le mur de sa grande chambre d'hôtel, elle se  projette Je suis né à Venise que Maurice Béjart tourna pour la télévision et dans lequel elle tenait le rôle d'une chanteuse. Béjart insiste sur le fait qu'avant même ses chansons, il remarqua sa présence et sa manière de se tenir. Et Brigitte de tenter de retrouver elle-même les gestes précis que Barbara formait avec ses doigts lorsqu'elle chantait "Je ne sais pas dire".

Un soir, Yves vient chez Brigitte lui proposer un texte qu'aurait pu dire Jacques Brel pour convaincre Barbara de jouer avec lui dans son film Frantz (1972). Elle devait jouer Léonie, femme laide, incapable de vivre l’amour dont elle rêve. Brel emmena Barbara sur une grande plage de son enfance normande faire du char à voile.

En 1974, Barbara fit une tentative de suicide lorsqu'elle apprit la mort de Jacques Brel par le journal... à moins qu'elle prit alors trop de cachets pour dormir.

Barbara insiste auprès de son producteur, Charley Marouani,  pour ne pas passer par Tarbes dans la  tournée de chant qui va débuter. C'est le départ en tournée pour Chateaubriand, pour la filmer, Yves souhaitait une Mercedes beige et non la bleue telle qu'on la lui présente.  Mais cela fera au moins l'affaire pour les intérieurs. Il vient retrouver Brigitte son accordéoniste qui interprétaient "Göttingen" en attendant le départ.

La Mercédès parcourt les routes. Barbara tricote, Brigitte papote ; qui est l'une qui est l'autre ? A Chateaubriand, dans une maison de la culture impressionnante et cérébrale, Barbara s'emporte contre le piano qu'elle trouve trop fantaisiste sur la scène. C'était celui choisi par Sylvie Vartan lors de sa récente tournée. Finalement revêtu d'un drap noir, Barbara s'en accommode. Elle discute de son enfance avec l'accordeur. C'est là, tout près, que, petite fille juive, elle échappa de justesse à un bombardement qui détruisit presque entièrement un train. Elle s'énerve car le chauffeur dépose sa valise près de son costume de scène. Pour elle, ce costume est sacré, rien ne doit le toucher, risquer de le salir. Elle cherche avidement des médicaments pour se calmer alors qu'elle s'énerve devant son assistante, la trouvant mal fagotée. Puis elle se calme et lui propose de faire des courses avec elle pour l'habiller mieux. Le producteur Charley Marouani vient la rejoindre pour lui dire qu'elle dépense beaucoup trop et que le fisc lui réclame un énorme arriéré. Il lui prend son chéquier ; lui laisse la Mercédès mais ne lui donnera plus que 500 F par jour pour lui éviter de trop dépenser, de trop donner avec sa générosité débordante.

Le spectacle a lieu. Yves filme Brigitte chantant "Amours monstrueuses". Totalement investi dans son rapport à la chanteuse, il voudrait avoir été là quand elle chantait. Ne distinguant plus réalité et situation du film, il se déplace et prend la place d'un spectateur sur un siège en face de Brigitte. Plus tard, il visionne les rushes du spectacle de février 1969 à l’Olympia où, à la fin de la dernière représentation, à la stupeur générale, Barbara annonce qu’elle arrête le tour de chant... du moins ceux à dates fixes qu'elle faisait dans toute la France

Barbara dans la séquence suivante des autographes est harcelée par Yves qui est venu faire la queue comme un vrai fan. Elle sort prendre l'air. Elle remarque un jeune machiniste avec lequel elle part en camion. Il s'endort dans paysage de nuit illuminé de torches incandescentes. Elle prend le volant sur plusieurs kilomètres jusqu'à un restaurant routier. Là, encore dans son costume de scène, elle joue Nantes au piano alors que le machiniste dessine son visage sur un coin de nappe de table. Plus tard, ils dorment ensemble avant qu'elle ne lui demande de quitter la chambre. Ses vêtements sont déjà sur le palier.

Barbara s'installe à Précy-sur-Marne, à 30 km à l'est de Paris, dans une ancienne ferme villageoise. Dans le jardin enserré par les bâtiments de la ferme, elle découvre le plaisir de jardiner.

Barbara s'investit dans la collecte de fonds pour le traitement du sida. Elle rend visite aux malades dans les hôpitaux et dans les prisons. Elle met des corbeilles de préservatifs à la disposition des personnes venues l’écouter. Yves se fâche avec les transporteurs de piano lorsqu'il tourne la scène devant la prison de Fresnes.

Yves tourne la rencontre avec Jacques Tournier venu voir Barbara pour lui consacrer un portrait dans la série "Poètes d'aujourd'hui". Barbara, qui se voit comme une saltimbanque, refuse cet hommage trop lourd. Jacques Tournier lui-même assiste à ce tournage se souvenant jusqu'au moindre détail du décor tel un tableau mal placé.

Barbara ouvre sa maison  à de jeunes musiciens qu'elle écoute chanter. Malade, elle trie ses photos.  Elle déchire certaines (avec Serge Reggiani)  et en conserve d'autres (avec Gérard Depardieu). Elle écrit ses mémoires, échangeant avec son éditeur avec un fax. Mais toujours dit-elle, elle veut repartir de l'avant.

Amalric filme non pas un biopic, mais le tournage d'un biopic. Le film dans le film avec sa structure hachée, pas toujours chronologique, permet de dynamiter la la forme convenue du biopic. Il permet de rester toujours au présent de la vie de Barbara tout comme de celui de la comédienne qui l'interprète, Brigitte. Grâce à son entremise, le grand travail de documentation rassemblé pour le film se transforme, avec grâce et émotion, en situations de fiction.

Un biopic toujours au présent

Biopic et film dans le film, Barbara n'est jamais écrasé par les formes bien balisées de ces genres. Bien au contraire, la forme fragmentée du film dans le film explose la forme lourde et indigeste du biopic. Le spectateur se trouve ainsi confronté aux mille éclats d'une vie, vécue au premier degré, où l'instant est vécu pour lui-même et non enrobé dans une suite attendue d'actions et réactions.

Chaque moment documentaire, chaque chanson est ainsi prise dans une situation de fiction grâce à Brigitte qui essaie de chanter comme Barbara, de se tenir comme Barbara, d'apprendre à tricoter comme elle, de chanter en allemand ou de s'énerver pour un rien avant de se réconcilier. Ainsi, au lieu de Jeanne Balibar toujours dans l'imitation forcement approximative de Barbara, on a Jeanne jouant Brigitte qui essaie d'imiter Barbara. On est ainsi loin de la performance. On n'en voudrait pas même à Brigitte de n'être pas toujours juste, si justement Jeanne Balibar n'était pas toujours parfaite, totalement émouvante, déjouant les jeux de miroir faciles.

Le miroitement des instants

Mathieu Amalric s'est inspiré de deux œuvres, le livre de Jacques Tournier publié en 1968, Barbara ou les parenthèses et le documentaire de Gérard Vergez, Barbara ou ma plus belle histoire d'amour, réalisé durant la tournée de 1972, où l’on voit Barbara en voiture en train de tricoter, de divaguer ou de roucouler.

Mais c'est la vérité des situations saugrenues qui est privilégiée, la pointe du vrai contre l'enrobage du vraisemblable. Les scènes saugrenues et libres s'accumulent : accordéoniste trop grand, poulet cornichon ou le metteur en scène nécrophile, tombé amoureux d'une morte. Il voudrait avoir été là à chacun des ses concerts.

De même, les rencontres de Barbara avec des personnages célèbres sont mises en scène dans une situation de fiction. C'est Yves qui débarque la nuit chez Brigitte pour évoquer Jacques Brel qui sera alors suivi d'un extrait de Franz et un acteur sosie sur une plage. Il suffira d'un tournage pour évoquer Jacques Tournier qui publia un livre dans la collection 'Chansons d’aujourd’hui' chez Seghers en 1968. Il est joué par deux acteurs jeunes pour le film dans le film et plus âgé pour assister à ce tournage. Pour Depardieu, il suffira d'une photographie. Pour la virée en camion, il suffit dune imitation de Jimmy Hendrix par le machiniste pour évoquer la liaison avec François Wertheimer qui lui fit découvrir le musicien américain.

Tout est pourtant évoqué, la guerre qui a vu Barbara seule survivante d'un train bombardé. La terrible nuit de Tarbes où en 1940, alors qu'elle a dix ans et demi, son père abuse d'elle pour la première fois. Mais il suffit d'une discussion avec un accordeur de piano ou d'un refus auprès du producteur d'une étape de la tournée à Tarbes pour évoquer ces drames puis de laisser entendre les chansons. Celles-ci échappent à toute lourdeur. Nantes, évocation la plus directe du père est choisie de préférence à L'aigle noir et survient dans un contexte amoureux entrepris sur la chanson des Amours incestueuses. Amalric, pas plus que Barbara, n'en appelle à la condamnation par une morale classique mais bien davantage à la transformation possible du malheur. Une réconciliation avec le père dans un restaurant routier la nuit dans un improbable costume de scène en attendant de rejoindre son jeune amant.

Jean-Luc Lacuve le 09/09/2017

Tracklist

Chansons d'origine interprétées par Barbara :
"Musique pour une absente"
"Je ne sais pas dire"
"A mourir pour mourir"
"Une petite cantate"
"Ma plus belle histoire d'amour"
"Attendez que ma joie revienne"
"Il suffit de passer le pont" (écrite par Georges Brassens)
"Du bout des lèvres"
"Parle plus bas"
"L'Avventura"
"Amours incestueuses"
"Dis quand reviendras-tu ?
"Promenade" (avec Jacques Brel)
"L'aigle noir"
"Sans bagages"

"Perlimpinpin" par Lou Casa

Chansons reprises par Jeanne Balibar :
"Norma - Casta Diva"
"Le Temps du Lilas"
"Les Amis de Monsieur"
"D'elle à lui"
"Le Père Noël et la petite fille" (écrite par Georges Brassens)
"Même si tu revenais"
"Göttingen"
"L'Avventura"
"Nantes"
"Le Bois de Saint Amand"
"Chapeau bas"

Autres musiques additionnelles :
"L'astrée" - François Couperin
"Humoresque" - Dvorak
"Lohengrin" - Richard Wagner