Dictionnaire critique de l'acteur

Ouvrage collectif

379 pages. 17 euros. Novembre 2012. Sous la direction de Vincent Amiel, Gérard-Denis Farcy, Sophie Lucet, Geneviève Sellier. Presses Universitaires de Rennes. Collection : Le Spectaculaire.

L'acteur occupe une place majeure dans l'imaginaire collectif et dans l'économie du théâtre et du cinéma. C'est pourquoi il y a sur les acteurs (ou les comédiens) une importante littérature grand public : entretiens, monographies, souvenirs des uns et des autres. En revanche, du côté de la littérature savante, le manque est criant. Les études théâtrales et cinématographiques ont beaucoup plus travaillé sur les metteurs en scène et réalisateurs que sur les acteurs. Des ouvrages spécialisés, des numéros de revue, des thèses ont été consacrés à Jean Renoir, Orson Welles, Gaston Baty, Antoine Vitez, mais ni à Pierre Brasseur, Gérard Philipe, Jeanne Moreau ou Michaël Lonsdale ; à Louis Jouvet et Georges Pitoëff metteurs en scène mais pas à Jouvet et Pitoëff comédiens.

Ce dictionnaire entend redonner toute leur place aux acteurs. Les considérer comme des créateurs et non de simples interprètes ou des instruments. L'acteur se trouve examiné ici sous toutes les coutures, dans ses composantes internes (la voix, le corps), dans ses interfaces (la direction d'acteur, l'interprétation) ; en tenant compte aussi de tout ce qui d'extérieur à lui-même l'affecte, l'informe (ou le déforme) : la profession, les institutions, la mémoire culturelle, la société avec ses valeurs, ses attentes, ses discours voire ses phantasmes. Les metteurs en scène (Craig, Meyerhold, Pialat), son traité dans leur rapport à l'acteur. Les notices Didascalies, Dialogue, Personnage ne traitent que de la manière dont l'acteur gère ces différentes questions.


La breveté des notices, souvent moins d'une page, invite à la réflexion. Moins que la recherche de l'exhaustivité sur un sujet c'est la problématique qui est mise en valeur. La problématique commune ou divergente au cinéma et au théâtre est souvent traitée au sein d'un seul article mais peut aussi s'envisager distinctement ce qui justifie alors deux notices juxtaposées où le sujet est envisagé du point du vue du cinéma puis du théâtre (acteur-auteur, action, cabotin, chorégraphie, comique, corps, dédoublement, direction d'acteur, enfant-acteur, foule, identification, metteur en scène, mise en abyme, nu , personnage, prix, rôle, second rôle, silence, spectateur, type, voix, vraisemblance). Il n'a pas jusqu'aux articles qui ne considèrent qu'un seul des arts qui ne fasse réfléchir à pourquoi il ne se trouve pas chez l'autre (Arts martiaux, Sex-appeal, Starlette...)

On pourra toujours pointer les manques. Pas de notice pour Politique des acteurs de Luc Moullet ; l'article sur André Antoine très documenté sur le théâtre ne traite qu'en une ligne informative son activité de cinéaste ; L'adresse au public qui ne concerne que le théâtre. Mais l'abondante bibliographie en annexe fournit de quoi aller plus loin sur ces sujets.

La multiplicité des rédacteurs permet d'échapper à l'uniformisation de l'étude par un seul savoir (la sémiologie, les gender studies, l'esthétique, l'analyse dramaturgique). Plus stimulant encore, la lecture d'un dictionnaire incite à fabriquer sa reflexion personnelle en combinant diférents articles. Les articles exhibitionnisme (David Vasse), persona (Jean-Pierre Ringaert) personnage (Gérad-Denis Farcy et Jean-Loup Bourget ) incite à classer les mises en scène sur un axe allant de l'effacement de l'acteur à l'affirmation de son exhibitionnisme. On parcourra ainsi le chemin allant d'André Antoine (Guy Freixe) à Jerzy Grotowski (Sophie Lucet), Antonin Artaud (Sophie Lucet), Carmelo Bene ou Romeo Castelucci en passant par les points centraux que représentent Bertold Brecht (Yannick Butel) ou Constantin Stanislavski (Serge Poliakoff).


 

Notes de lecture:

André Antoine inaugure le 30 mars 1887 le théâtre libre. En 1906-1914, il dirige l'Odéon puis réalise une dizaine de films. Le théâtre libre l'est du mercantilisme et des conventions mensongères répertorie de l'école naturaliste prônée par Zola, Tolstoï, Ibsen. L'acteur ne devra en aucun cas se montrer sous le personnage mais au contraire avoir l'humilité de disparaitre. A la scène tout devra être effectué comme dans la vie : on devra y boire y manger, rire avec naturel. Les acteurs ne devront prêter aucune attention aux spectateurs comme s'il y avait un quatrième mur et n'hésiteront pas à jouer de dos s'il le faut. Ainsi les spectateurs auront l'impression d'assister à un véritable documentaire théâtral, à une tranche de vie comme le souhaitait Zola. Les personnages porteront de simples vêtements trouvés chez le fripier et évolueront dans des décors réalisé à partir de vrais meubles empruntés chez les voisins et dans le cadre le plus réaliste possible. Antoine veillera par exemple à ce que tout le décor du Canard sauvage d'Ibsen soit en vrai pin de Norvège (Guy Freixe).


Constantin Stanislavski
. La théorie de Stanislavski, appelé système, s'enracine dans sa pratique d'acteur comme amateur puis fondateur de la Société d'art et de littérature et du théâtre d'art de Moscou de 1898, à partir des rôles qu'il joue (Othello, Astrov, Salieri…) mais aussi des spectacles qu'il met en scène (Tchekhov, Gorki, Maeterlinck, Tourgueniev…). Informelle à l'origine, faite de ses observations sur lui même dans le but de constituer un "livre de chevet de l'artiste dramatique", sa théorie est au croisement de l'art de l'acteur et de la mise en scène dont il est l'un des inventeurs par sa maitrise de l'atmosphère et de l'ensemble. Réaliste, Stanislavski croit en la force organique de la nature. La vie éprouvé par l'acteur entrouvre les oubliettes du subconscient dont le coté anarchique est provoqué par des moyens conscients : circonstances proposées, imagination, attention scénique. Le système repose ainsi sur la création due à l'opposition entre la vie éprouvée et la représentation. L'acteur de la représentation se trouve du coté de la tradition française avec Coquelin alors que l'acteur de la vie (Salvini) doit éprouver à chaque occurrence la vie du rôle (Serge Poliakoff).

Jerzy Grotowski : "Il y a une seule qualité que ni le film ni la télévision ne réussiront jamais à rendre comme au théâtre : le lien direct qui se noue entre les êtres vivants " dit-il dans L'acteur dépouillé, paru dans la revue Tatr en 1965. L'essence du théâtre c'est le contact vivant qui se noue entre acteurs et spectateurs, face à face organique et puissant. Le metteur en scène travaille donc avec les acteurs mais aussi avec les spectateurs, le cérémonial théâtral naissant " à l'intersection des deux ensembles ". De cette recherche initiale nait la conception du théâtre pauvre, théorisé dans l'ouvrage éponyme de Grotowski. Dès lors le maître délaisse peu à peu la mise en scène pour travailler davantage avec l'acteur, non pas en tant qu'interprète mais en tant qu'homme. Le théâtre peut avoir une autre utilité que lui-même, il est un véhicule permettant l'exploration scientifique des comportements humains ; il se détache de facto du spectacle. Au cours de représentations où de rares spectateurs sont conviés à investir l'espace scénique -Kordian (1962), Docteur Faustus (1963), Apocalypsi cum Figuris (1968)- l'acteur offre publiquement son corps dans un geste de sincérité proche de l'amour, don total...(Sophie Lucet)

Personnage : Pour Frédérique Nietzsche (La naissance de la tragédie), l'acteur vraiment doué se "métamorphose " en un personnage qu'il rend presque tangible. La conception de Diderot (Le paradoxe du comédien), reprise par Brecht : la tête froide du comédien imite un fantôme imaginaire et fait preuve à chaque instant d'une capacité de détachement à l'égard du personnage qu'il joue. La distance parait presque nulle ou presque dans le documentaire où il est difficile de séparer le personnage de l'acteur. Certains personnages l'emportent sur leurs interprètes, Zorro, superman, Charlot, le personnage tend à faire retour à la persona, au masque ou à la marionnette.

Persona : étymologiquement chez les latins persona est le nom donné au masque. Puis ce terme a désigné le rôle attribué à un masque. Le personnage désigne la part fictive ou feinte de l'acteur, le rôle qu'il endosse. L'acteur peut ensuite interpréter son personnage et donner une lecture particulière au texte. Il peut aussi sous-jouer le personnage. L'acteur prête ses gestes, ses bras, ses jambes, sa silhouette à un metteur en scène. Ainsi Marlène Dietrich n'interprétait pas un personnage à proprement parler avec Joseph von Sternberg. Elle jouait une succession de scènes en fonction des indications du réalisateur. De la même manière les "modèles" de Bresson se contentaient-ils d'accomplir des actions, sans conscience du mouvement général auquel ils participent.