Paris, Texas

1984

Genre : Road movie
Thème : la famille

Avec : Harry Dean Stanton (Travis), Nastassja Kinski (Jane), Dean Stockwell (Walt), Aurore Clément (Anne), Hunter Carson (Hunter), Socorro Valdez (Carmelita), Bernhard Wicki (Docteur Ulmer). 2h30.

Un homme en costume de ville marche dans le désert. Parvenu à une pompe à essence, il s'effondre peu après. Muet, on le fouille. Dans ses poches, un numéro de téléphone, celui de son frère que l'on prévient.

Surpris d'obtenir de ses nouvelles après quatre années d'absence, Walt vient rechercher Travis. Sur le chemin du retour, qui sépare ce désert proche de la frontière mexicaine de Los Angeles, il essaie de communiquer avec lui, de comprendre son silence. Mais Travis demeure muet, comme choqué mentalement. Pourtant il prononce quand même un mot, Paris, ville du Texas où, continue-t-il, son père et sa mère l'ont conçu.

Installé chez Walt et son épouse, Anne, qui ont recueilli Hunter, son fils qui ne se souvient plus guère de ses parents, Travis réapprend à vivre. Il redécouvre son enfant, et ils finissent l'un et l'autre par s'accepter; il cherche à savoir le pourquoi de cette rupture avec Jane, son ex-femme, qu'il n'a pas su aimer. Ensemble, Hunter et Travis partent à la recherche de cette mère qui dépose tous les cinq mois de l'argent pour son fils sur le compte bancaire d'une banque de Houston.

Ils la retrouvent. Jane travaille aujourd'hui dans un peep-show. De part et d'autre d'une vitre infranchissable, d'une glace sans tain, l'homme et la femme tentent de renouer un difficile dialogue. Travis, comme définitivement ressuscité, avoue son entière responsabilité dans leur échec. Par amour envers elle et son fils, il rend l'enfant à sa mère et repart vers la solitude.

L'un des fondements du plaisir intense procuré dès les premiers plans du film tient au sentiment de retour aux origines du cinéma. De l'exploration de l'espace par le regard de la caméra naissent conjointement un personnage et une fiction, l'une des plus archétypale qui soient, celle de la recherche d'une identité à travers la filiation et la (re)constitution d'une famille.

L'autre raison provient de la musique de Ry Cooper qui appartient à cette musique américaine, née "du mariage du blues, du rock, et de la country music" et qui "tend de plus en plus à remplacer la sensibilité/sensualité que les films (américains) ont abandonnée" comme l'écrivait le critique Wenders en 1970 dans Filmkritik. Travis nous apparaît comme surgit de nulle part, se dirigeant vers nulle part. A la fin du film, il s'enfoncera dans la nuit, vers une destination inconnue. Impossible de ne pas songer à l'archétype du héros de western. C'est de l'espace que naît le film. La référence au western est donc naturelle et incontournable comme il était logique et évident que la fascination de Wenders pour le cinéma américain le mène ainsi à se replacer ainsi dans les conditions de surgissement du mythe cinématographique.

Mais l'entreprise ne saurait être ce simple retour à l'état primitif du cinéma. Le titre même du film renvoie métaphoriquement au rapport Europe-USA. D'autant que sa justification anecdotique renvoie au père de Travis (dont la femme était originaire de Paris...Texas). A la fascination des européens pour le Nouveau Monde répond celle des Américains pour le vieux continent, enraciné dans le passé. Par là se rencontrent les deux axes du film : l'espace et la filiation (Travis a acheté un terrain à Paris-Texas, là où il fut conçu, d'après ce que lui a raconté le père : origine aussi de la fiction du film) Le trajet de Travis répond à l'évolution du cinéma américain (passant d'ailleurs du mutisme initial à la parole) d'un espace ouvert et illimité à un espace fermé, délimité par des vitres, des cloisons, des portes, de l'aventure à l'introspection, des déserts aux cabines de peep-show et à l'appartement qui l'isolera finalement Jane et Hunter réunis. Ce que "Paris-Texas" nous fait découvrir, c'est le rôle même du cinéma, cette possibilité de percevoir la réalité brute, hors de toute catégorie, de tout système qui en effacerait l'altérité absolue. Travis, comme tous les héros de Wenders, ne perçoit pas le monde comme un système cohérent dans lequel il est impliqué, mais comme une succession de moments, d'images, de spectacles dont il devient le spectateur privilégié et qu'il se met alors à découvrir en dehors de sa présence. D'où l'opacité des êtres wendersiens, irréductiblement extérieurs les uns aux autres qui ne peuvent se connaître que par la médiation : jeux d'imitation, puis talkie-walkie, puis magnétophone dans les relations du père et du fils, mais aussi tout un arsenal dans les relations avec Jane, dont le peep-show constitue le sommet. Seuls les reflets de Jane et de Travis peuvent se fondre sur la glace sans tain, mais eux ne peuvent se parler que par téléphone ou en se tournant le dos. Le seul amour que peut donner Travis consiste à rapprocher la mère et le fils. Il s'efface devant l'impossibilité d'une relation avec Jane. Sur le plan métaphorique le père justicier issu du mythe du western ne peut que disparaître : la constitution de ce nouvel espace, de cette autre famille se paie de la perte du héros, de sa dissolution dans l'espace et l'absence de lumière.