Les fantastiques années 20

1939

(The Roaring Twenties). Avec : James Cagney (Eddie Bartlett), Priscilla Lane (Jean Sherman), Humphrey Bogart (George Hally), Gladys George (Panama Smith), Jeffrey Lynn (Lloyd Hart), Frank McHugh (Danny Green), Paul Kelly (Nick Brown), Elizabeth Risdon (Mrs. Sherman), Edward Keane (Pete Henderson), Joseph Sawyer (Sergent Jones). 1h46

Trois soldats qui ont fait la guerre ensemble en France sont démobilisés à la fin de la Première Guerre mondiale et regagnent les États-Unis. Lloyd Hart retourne à son cabinet d'avocat ; George Hally, ancien propriétaire d'un " beuglant " devient bootlegger (la Prohibition bat son plein) et Eddie Bartlett devient chauffeur de taxi. Eddie est arrêté pour avoir livré de l'alcool à Panama Smith. Celle-ci paie la caution demandée.

Bientôt Eddie créé une compagnie de taxis dont les affaires sont très prospères. Jean Sherman, marraine de guerre d'Eddie, devient chanteuse dans le cabaret de Panama Smith. Lloyd, devenu l'avocat d'Eddie, s'éprend de Jean. Entretemps, George Hally est devenu le lieutenant de Nick Brown, un autre bootlegger. George et Eddie s'associent, mais Eddie met fin à cette association lorsque George tue un garde.

Les bénéfices augmentant avec la prohibition, la guerre des gangs s'intensifie. Eddie, amoureux de Jean, apprend qu'elle va épouser Lloyd. Par dépit, Eddie joue à la bourse. Il est complètement ruiné par le krach de 1929. Il vend à George sa compagnie de taxis et devient le chauffeur de George. Lorsque Jean lui apprend que la vie de Lloyd est menacée (il va inculper George), Eddie se rend chez George et le tue. Il est abattu à son tour et meurt dans les bras de Jean.

Dès le milieu des année 30, l'Amérique ne croit plus au succès des gangsters et en fait des héros de tragédie. Les fantastiques années 20 inaugure ainsi la seconde phase du film de gangster, figure déchue du rêve américain. Un ancien soldat, James Cagney, fait de la contrebande d'alcool. Au faîte de sa réussite il est détruit par le crack boursier. Le dernier plan, un long travelling arrière, accentue le caractère tragique du personnage, il meurt sur le porche d'une église, soutenu par son amie dans la posture de La piéta.

Les fantastiques années 20

Dans une Amérique en proie à la crise et à la prohibition (1919-1933), le gangster apparaît au début des années 30 comme une alternative possible à la vie terne et miséreuse de nombreux spectateurs. Certes, les metteurs en scène prennent en général grand soin de les décrire comme des psychopathes : ainsi E.G. Robinson dans Little Cesar (Mervyn LeRoy, 1931) où James Cagney qui écrase un demi pamplemousse sur le visage de sa compagne dans L'ennemi public (William Wellman, 1931) et vire dans la folie totale dans L'enfer est à lui (Raoul Walsh, 1949) ou encore Paul Muni dans Scarface (Howard Hawks, 1932) décri comme incestueux, immature et irresponsable.

Pourtant, le déchaînement de la violence, dans une société rongée par le crise, est bien le souhait rentré d'une grande part de la population. En 1931, cinquante films de gangsters vont trouver leur public.

Les victimes d'une société hypocrite

En 1939, Eddie est d’abord une victime. Dès premières images de guerre à sa mort avec cette pietà sur les marches de l’église. C’est d’abord, dans les tranchées, avec George et Lloyd avec lesquels il fraternise mais qui porte en eux les développements futurs ; témoin cette scène dans laquelle Lloyd refuse de tirer sur un ennemi trop jeune (comme il refusera plus tard d’être complice de crimes), alors qu’avec une délectation visible, George (Bogart lui-même, en passe de triompher dans les films noirs) n’hésite pas : il sera le tueur et le traître sans états d’âme. Les rôles sont ainsi distribués, et ne varieront pas.

Eddy est victime d’une guerre prétendument pour la démocratie, victime ensuite d’une société qui ne veut plus voir ses soldats revenants et les condamne au chômage, victime enfin d’une prohibition absurde qui conduit les hommes à la clandestinité. Ce qui est mis en accusationpar Walsh c'est l’hypocrisie généralisée, la corruption et la violence qu’elles entraînent " Nous sommes finis", dit Panama réduite à chanter dans un bouge. Seul Lloyd l’honnête s’en tire, mais pour cela il faut qu’Eddie se sacrifie en une rédemption tardive.

Jean-Luc Lacuve, le 3 novembre 2019