Tirez sur le pianiste

1960

Genre : film noir

D’après le roman de David Goodis. Avec : Charles Aznavour (Charlie Kohler/Edouard Saroyan), Marie Dubois (Lena), Nicole Berger (Theresa), Michèle Mercier (Clarisse), Jean-Jacques Aslanian (Richard Saroyan), Daniel Boulanger (Ernest), Albert Rémy (Chico Saroyan). 1h25.

Charlie Kohler joue du piano dans le bar-dancing populaire de Plyne. Son frère Chico, poursuivi par les gangsters Ernest et Momo, vient trouver refuge auprès de lui. Après avoir réglé la situation, Charlie regagne son domicile et retrouve son amie Clarisse, une jolie prostituée voisine de palier. Léna, la serveuse du bar, est intriguée par la timidité et le mutisme de Charlie.

Au cours d'une promenade, elle parvient à lui arracher quelques confidences... Avant de jouer chez Plyne, Charlie était un grand pianiste virtuose, connu sous le nom d'Édouard Saroyan. Un jour, sa femme Thérésa lui avoua qu'elle avait contribué à la fulgurante promotion de Saroyan en devenant la maîtresse de son imprésario. Elle s'était ensuite suicidée en se jetant par une fenêtre.

Léna veut aider Charlie, mais la jalousie de Plyne provoque une bagarre au cours de laquelle Charlie devient meurtrier malgré lui. Ernest et Momo ont enlevé Fido, le jeune frère de Charlie. Une fusillade éclate autour du chalet alpin où se sont réfugiés Léna et Charlie. Léna s'effondre dans la neige, touchée mortellement. Charlie se remettra au clavier du piano bastringue.

Le film se présente comme un parcours du noir vers le blanc, de la nuit des premières scènes vers la maison dans la neige ; comme une ascension des profondeurs de la cave, où se tapit Charlie après sa bataille avec Plyne, vers la luminosité éblouissante des montagnes.

Le film est, avant tout, un voyage vers le passé, un retour vers les origines, vers l'enfance de Charlie ; mais ce retour est aussi le retour du refoulé, retour de la violence de l'enfance à laquelle le héros avait cru pouvoir échapper en quittant jadis ses frères.

Construit autour d'un long flash-back qui occupe un tiers du film, le récit se joue sur la répétition d'un temps cyclique. A l'histoire de Charlie, Léna et Plyne répond, dans le passé, celle d'Edouard, Thérésa et Lars Schmeel. Dans les deux cas, le désir d'un autre homme vient détruire l'harmonie du couple. Dans les deux cas, la mort de la femme ponctue le dénouement du drame. Par sa construction narrative, le récit élude la possibilité d'une progression linéaire, d'une résolution qui ne soit pas une répétition.

Le film dans son ensemble manifeste une crainte fondamentale envers le féminin. A l'exception du passant rencontré par Chico, qui a réussi à surmonter son ambivalence et à trouver le bonheur dans le mariage (il évoque, au seuil du récit, un idéal irréalisable), le film présente une galerie d'hommes incapables de vivre harmonieusement leur rapport avec la femme. Les gangsters et les frères du pianiste ont des fixations libidinales infantiles. Lars Schmeel et Plyne convoitent des femmes qu'ils ne peuvent pas avoir. La menace représentée par le corps féminin, qui, par un retour classique de la fiction, se transforme en menace contre le corps de la femme, se manifeste dans un réseau d'images, les barreaux derrière lesquels se profile souvent sa silhouette. Lorsque Charlie montera pour la première fois chez Léna, la caméra offrira un gros plan des jambes de la jeune femme filmées à travers les rampes de l'escalier. Les allées et venues de Clarisse sur le palier qui mène à la chambre seront filmées selon le même dispositif. Lors de leur première promenade, Léna et Charlie, poursuivis par les gangsters, se réfugieront derrière la haute grille dont les barreaux jettent en premier plan leur ombre sur le couple et quand Léna viendra rejoindre le pianiste dans la maison sous la neige, il l'apercevra à travers les grilles de la fenêtre. Ces images qui représentent une des constantes de l'oeuvre de Truffaut, consacrent l'union du désir et de l'interdit.