Les idiots

1998

Genre : Drame social

(Idioterne). Avec : Bodil Jørgensen (Karen), Jens Albinus (Stoffer), Anne Louise Hassing (Susanne), Troels Lyby (Henrik), Nikolaj Lie Kaas (Jeppe), Louise Mieritz (Josephine). 1h57.

Karen, assise dans un restaurant chic, observe une jeune femme, Susanne, qui essaie de faire manger proprement deux hommes, handicapés mentaux. L'un d'eux, Stoffer, se prend d'affection pour Karen. L'autre, Henrik, perturbe le repas. Agacé, le garçon leur demande de partir. Karen les accompagne. Dans le taxi, elle comprend que Stoffer et Henrik ont joué les idiots. Elle est involontairement impliquée dans le jeu de ce petit groupe dont le but est de découvrir leur nature profonde en révélant leur "idiot intérieur". En compagnie des autres membres, Ped, Miguel, Axel, Jeppe et Joséphine, elle visite une usine.

Karen s'installe chez eux, dans cette grande maison à la campagne, qui appartient à l'oncle de Stoffer. C'est au cœur de cette demeure, pourtant mise en vente, qu'ils passent leur temps à explorer les formes de l'idiotie. La communauté joue les débiles à la piscine, puis à Copenhague. Vulnérable, Karen se pose des questions. Elle s'interroge sur le bien-fondé de ces expériences, tout en reconnaissant être heureuse de vivre là. Un couple de bourgeois vient visiter les lieux, prêt à acheter. Avec la complicité d'enfants trisomiques d'une institution voisine, Stoffer les en dissuade.

Un jour, une partouze est organisée avec l'accord plus ou moins tacite des participants. Le lendemain, le père de Joséphine vient rechercher sa fille. Malgré l'hostilité des membres, elle est obligée de repartir. Pour ne pas lui avoir déclaré son amour à temps, Jeppe se jette sur le capot de la voiture, mais en sort indemne.

L'irascibilité et l'empreinte de Stoffer pèsent de plus en plus sur le groupe. Cette fois, il veut aller encore plus loin. Il faut que chacun d'eux soit capable de rentrer chez ses proches et de jouer les débiles, dans sa famille ou au travail. Axel s'en va. Henrik retrouve un comportement normal à l'extérieur. Le jeu touche à sa fin.

Accompagnée de Susanne, Karen rentre chez elle. Elle retrouve ses sœurs, sa mère et son grand-père. Karen a disparu la veille de l'enterrement de son petit garçon, âgé d'un an à peine. Anders, son mari, arrive. La famille prend le café. Karen fait l'idiote. Anders la gifle violemment. Son épouse accuse le coup. Elle prend la main de Susanne.

Filmé en application du Dogma 95 , le manifeste de Lars von Trier, à savoir : décors naturels, son d’origine, caméra à main, couleurs, 35mm, sans procédés optiques, pas de transposition spatio-temporelle, pas de film de genre, voire pas de nom d’auteur… Ce qui entraîne une facture documentaire avec les maladresses du pris sur le vif. Ici donc pas de structure narrative ostensiblement forte comme dans Breaking the Waves.

Le film est structurée par le trajet de Karen. Car tout prend sens à partir du malheur de Karen dont le visage ressemble à un masque tragique bien loin de celui, épanoui, de Suzanne. Ses interventions brèves structurent le film en le ponctuant selon une certaine logique. Elle essaye d’abord de téléphoner par deux fois chez elle. Puis elle résiste maladroitement à la fantaisie et à la gaieté du groupe comme si elle assumait encore la rigidité familiale ; l’épisode du caviar lui inspire cet énorme cliché : « il y a des gens qui meurent de faim ». Mais finalement c’est elle qui va le plus loin dans la transgression sociale. Après la mort de son enfant, Karen a pris conscience du vide de son existence et de l’étouffement familial dont rendent compte les images de l’appartement étriqué (contrastant avec les vastes espaces vides de la maison du groupe). Le comportement hostile de sa famille montre une incompréhension totale. « Tu n’as pas eu beaucoup de chagrin » lui lance son époux. Son geste insensé de mère renonçant à l’enterrement de son enfant (un sacrifice) va trouver sa légitimation dans la transgression commune des limites à laquelle s’efforcent les idiots amateurs.

Cette communauté en sympathie avec son malheur devient le seul repère affectif de Karen. Réciproquement, l’expérience des idiots trouve dans le tragique sa véritable raison d’être. « Libérer l’idiot qui est en nous », « être fier de son idiot » comme ils se le proposaient, paraît individualiste et dérisoire mais finalement comme dans Breaking the Waves la personalité profonde se dégage après la lutte contre l’establishment idéologique et passe par l’expérience de l’excès.