Fellini Satyricon

1969

Genre : Peplum

(Satyricon). Avec : Martin Potter (Encolpio), Hiram Keller (Ascilto), Max Born (Gitone), Salvo Randone (Eumolpo), Mario Romagnoli (Trimalcione). 2h18.

Dans l'Italie de l'Antiquité, deux jeunes étudiants à demi vagabonds, Encolpe et Ascylte, vont d'aventures en aventures, guidés par leur instinct de jouissance.

Pour commencer, ils se disputent les faveurs d'un adolescent vaguement pervers, Giton, qu'Ascylte a vendu à une troupe théâtrale animée par le vulgaire Vernacchio.

Encolpe, éconduit et humilié, va trouver son ami le vieux poète Eumolpe qui l'entraîne à un monumental festin qu'offre Trimalcion, un nouveau riche orgueilleux et cruel. Ambiance sinistre dominée par une sensualité assez triviale.

Encolpe, Ascylte et Giton se retrouvent dans les cales d'un navire, prisonniers d'un notable de la cour impériale, Lychas, à qui il prend la fantaisie d'épouser Encolpe. Après que ces étranges épousailles homosexuelles soient célébrées, Lychas, suite au meurtre de César, est capturé et décapité par un groupuscule de mercenaires.

Les deux compagnons, rescapés de cette escarmouche navale, pénètrent dans une luxueuse villa dont les propriétaires, un couple de patriciens proscrit viennent de se donner serainement la mort. Dans la maison déserte, les jeunes gens découvrent une petite esclave noire en compagnie de laquelle ils passent une nuit de plaisir.

Dans une grotte bizarrement décorée de fresques géantes, un enfant souffreteux et hermaphrodite repose sur une couche. Il est censé accomplir des guérisons miraculeuses. Des pèlerins éclopés apportent leurs offrandes dans l'espoir d'un prodige. Ascylte, Encolpe et un nouveau complice s'emparent de l'enfant afin de l'exploiter à leur tour. La pauvre créature meurt de soif en plein désert.

Encolpe rencontre un colosse déguisé en Minotaure qui le défie en combat singulier. Une foule en liesse assiste à la confrontation... qui se révèle être un jeu organisé par le vieux poète Eumolpe. Vaincu, Encolpe est soumis à une autre épreuve : satisfaire le désir d'une femme gourmande. Impuissant avec Ariane, Encolpe ne retrouve son pouvoir sexuel qu'auprès d'une magicienne noire.

Tandis que Ascylte est assassiné et que les héritiers d'Eumolpe, mort très riche, sont contraint de dévorer son cadavre, Encolpe part pour l'Afrique. Bien plus tard sans doute, les fresques d’une maison en ruine rappelleront ses aventures.

Scène clé : Dans la demeure des patriciens décédés, Encolpe poursuit une jeune esclave tout en étant intrigué (deux contre-champs sur les visages des patriciens suicidés) par les fresques racontant la vie de ces patriciens. Un peu plus tard, Encolpe s’asperge dans la pièce d’eau et découvre , par une ouverture du toit, le ciel étoilé. Ce plan rappelle celui de la fin de "La Strada", où prenant conscience du mal qu’il a fait à Gelsomina (Giulietta Masina), Zampano (Anthony Quinn) pleure enfin. Dans cette seconde partie de la séquence encore, l’accession à la spiritualité est effleuré. Mais Encolpe, fidèle à la philosophie épicurienne énoncée un peu plus tôt, préfère cueillir le bonheur présent. Ces fresques et la nature grandiose frappent Encolpe pour la première fois. Auparavant, il avait été indifférent à la fresque peinte durant le banquet de Trimalcion. Mais, dans cette scène clé, il ne sait pas quoi faire de cette révélation. Ce n’est qu’en Afrique qu’il prendra le temps de faire peindre sa vie et d’échapper ainsi, provisoirement peut-être, au néant.

Message essentiel : La création d’oeuvres d’art est un moyen, provisoire peut-être, d’échapper à la mort. Les fresques sont en effet fragiles (ce motif sera reprit dans "Fellini-Roma"). Comme d’habitude, Fellini condamne les crimes de ses deux vittelloni que sont Encolpe et Ascylte mais compatit à leur souffrance. Pour la première fois cependant, dans ce monde d’avant l’imprégnation christique, la grâce ne peut venir d’un ange mais de la création artistique.

Fellini a expliqué que, gravement malade, il avait retrouvé l'inspiration grâce à ce récit de Pétrone, lu pendant sa jeunesse. "Satyricon" est le premier roman picaresque européen. Ecrit sous Néron, vers le milieu du premier siècle, seulement deux fragments des livres XV et XVI nous sont parvenus; le festin chez Trimalcion occupe plus de la moitiés des vers. Fellini indique que l’aspect lacunaire de l'oeuvre l’avait fasciné car elle permettait d’imaginer les épisodes manquants.C’est ce délire d’imagination qui fait la force du film. Plus que jamais, l’intrigue et le suspens ; l’aspect linéaire, contrapuntique, sont traités avec désinvolture pour se concentrer sur l’aspect vertical, harmonique de la mise en scène. Mais le cinéma n’a pas la possibilité de la musique de superposer les images. Fellini profite donc des trous du récit pour surcharger les séquences de plans qui expriment sa vision de l’époque ; Le vaisseau de Lycas, la baleine (premier rappel de "La dolce vita") que l’on y pêche, l’hermaphrodite dans sa baignoire, l’immense balançoire du jardin des délices sont autant de symboles, totalement inventés, de la dégénérescence de la Rome antique.

Fellini a indiqué aussi qu’au fur et à mesure que l’oeuvre se construisait il sentait des correspondance avec la société contemporaine. Il ne faudrait toutefois pas voir dans le Satirycon qu'une allégorie moralisatrice sur l'effondrement de la culture et des moeurs de l’Europe. Le Satyricon serait alors l'équivalent du tableau pompier (ou éclectique ) de Thomas Couture; "Les romains de la décadence" (1847), exposé au musée d'Orsay, qui commente ces vers de Juvénal :" Plus cruel que la guerre, le vice s'est abattu sur Rome et venge l'univers vaincu". C'est probablement ce qu'exprime Télérama dans l'avis suivant: "Dans cet univers livré à la dépravation, l'amour et l'art ne sont plus que des apparences. Seuls la mort et le suicide apparaissent dans toute leur inéluctable rigueur" .

Certes le suicide des patriciens possède une réelle beauté et est imaginé par Fellini pour faire écho à la mort élégante de Pétrone, l’auteur du Satyricon, telle qu’elle est raconté par Tacite dans "Les Annales". Mais Fellini est loin de faire l’apologie du suicide. Ce n’est pour lui une attitude rigide, adoptée par ceux qui sont restés trop attachés aux valeurs du passé (froide détermination de l’intellectuel, interprété par Alain Cuny qui, dans "La dolce vita", tue ses deux enfants avant de se suicider). Cette mort est donc loin d’être la solution proposé par Fellini. Juste après ce suicide, il donne une autre piste: l’art permet d’échapper à la mort.

Fellini est probablement persuadé que l'époque contemporaine a balayé les anciennes pratiques mais peut-être pas les ancienne valeurs...ou non-valeurs. Hier comme aujourd'hui, ses héros sont aveugles à la grâce. La correspondance avec la société contemporaine le frappe probablement plus prosaïquement dans son métier de cinéaste.

En 1969, Le cinéma classique des grands studios américain semble condamné. En 1962, Minnelli a tourné Quinze jours ailleurs qui retrace le tournage d'un film qui se déplace de Hollywood à Cinecitta. En 1969 Hitchcock tourne L'étau dans un cadre européen avec des acteurs français avant de se déplacer à Londres tourner Frenzy. John Ford a tourné son dernier film Frontière chinoise, en 1966, et Hawks le sien, Rio Lobo, en 1970. Ce sont les européens qui sauvent le genre : Sergio Léone: Il était une fois dans l'ouest, 1969. La relève est incarnée, hors studios, par Peckinpah, La horde sauvage, 1969 et Cassavetes : Husbands, 1970. Mais les deux grands mouvement d’après guerre européens, La nouvelle vague et le Néoréalisme, sont eux aussi à bout de souffle. A l'analyse de l'actualité ("La chinoise" pour Godard en 1967, "Rocco et ses frères" pour Visconti en 1960 et "Accatone" pour Pasolini en 1961), les européens semblent vouloir se ressourcer dans l'action militante pure (le groupe Dsiga Vertov pour Godard) et surtout la reconstitution en costume ("Le guépard" ,1966, ou "Les damnés", 1969 pour Visconti).

Fellini trouve dans les valeurs esthétiques de la Rome de la décadence (la surcharge, le foisonnement) des solutions nouvelles qu'il applique avec générosité à toutes les formes d'art. Satyricon multiplie en effet les références aux autres arts : récit (Le corps du mari prenant la place du pendu pour sauver l’amant) ; peinture (les multiples fresques), théâtre (les scènes cruelles du théâtre de Vernaccio) et jeux du cirque (le faux Minotaure).

Loin d'être une oeuvre malade, le Satyricon est bien plutôt une oeuvre de renaissance, première d'une série de films où le cinéaste se veut totalement novateur ("Fellini-Roma", "Amarcord", "Le Casanova de Fellini'). Elle lui assurera une réputation au moins égale à celle de cinéaste néoréaliste. Le Satyricon a immédiatement séduit un large public.

Jean-Luc Lacuve, le 03/03/2003