Hors Satan

2011

Cannes 2011  : Un certain regard. Avec : David Dewaele (Le gars), Alexandra Lematre (La fille), Valérie Mestdagh (La mère), Christophe Bon (Le garde), Aurore Broutin (La routarde), Sonia Barthélémy (La mère de la gamine), Juliette Bacquet (La gamine), Dominique Caffier (L'homme au chien). 1h50.

Deux tranches de pains offertes derrière une porte entrouverte. Un gars étrange s'en saisi. Il vit là en bord de Manche, sur la Côte d'Opale, près d'un hameau, de ses dunes et ses marais. Il marche au-devant du soleil et, lorsque c'est très beau, il s'arrête et prie.

Il croise une fille d'une vingtaine d'années, triste et hagarde. Ils marchent tous deux vers la plage où il fait un feu vivace. Elle n'en peut plus, dit-elle. Alors il la conduit près d'un château d'eau et se saisit d'une carabine qu'il cachait là. Le gars et la fille s'en vont près d'une ferme où un paysan travaille. Lorsqu'il sort, le gars l'abat de son fusil de chasse.

La fille rejoint bientôt sa maison, où elle retrouve sa mère discutant avec des gendarmes qui sont venu parce que son mari a été tué d'un coup de fusil. La fille soutient sa mère jusque dans la maison. La mère pleure et demande pardon à sa fille pour le mal que lui fait l'homme dont elle ne connait pas l'assassin.

Le gars et la fille se promènent dans la lande marécageuse près de la mer. Lorsque c'est très beau, ils s'arrêtent et prient. Un jeune agent du littoral vient s'en prendre au gars en lui ordonnant de quitter les lieux. Plus tard, la fille s'en revient avec le garde et se met en soutien-gorge devant lui tout en le chassant lorsque 'il s'approche d'elle. Bien lui en prend car le gars les surveillait avec une carabine. Le gars tire avec sa carabine sur un oiseau dans le ciel... et blesse mortellement une biche. Lorsqu'il veut l'achever à coups de pierre, la fille se met en colère et s'enfuit.

Le lendemain lorsqu'il vient la voir, il peut entrer chez elle car la mère est partie à Boulogne. Le gars prend son petit déjeuner et s'en va marcher. Lorsque la fille le rejoint, elle voudrait un baiser. Il le lui refuse, voulant être tranquille.

Alors que le gars marche près du hameau, une voisine accourt : sa fille est dans un état cataleptique et attend du gars qu'il l'en sorte. L'enquête de police semble ne pas avancer beaucoup. La fille donne chaque jour deux tranches de pain au gars et, chaque semaine, lui lave son linge.

Un matin, la lande est en feu ce qui désespère le gars et la fille. Ils marchent jusqu'à un marais salant avec une bordure en pierre séparant deux bacs d'eau dormante. Le gars dit à la fille qu'elle sauvera la lande du feu si elle parvient à aller jusqu'au bout de la bordure de pierre sans tomber à l'eau. La fille se met en colère de ce qu'il exige d'elle. Elle parvient pourtant à vaincre sa peur et son vertige. Ayant traversé les bacs d'eau, elle constate que le ciel s'est dégagé de toute fumée d'incendie.

La fille marche dans la lande. Le garde du littoral vient à sa rencontre et lui vole un baiser. La fille s'en plaint au gars. Plus tard, celui-ci fracasse à coups de bâton le crâne du garde. Il se lave les mains de son sang mais le garde n'est pas mort et les pompiers viennent le secourir. La fille a peur d'un voisin qui a un gros chien agressif.

Un matin que le gars se repose, la voisine s'en vient le trouver car sa fille est au plus mal. Cette fois, le gars plaque ses lèvres celle de la gamine qui ne peut que gémir fortement. La fille retient la mère d'intervenir. La gamine se calme. La voisine remercie le gars comme sil était un sorcier qui avait guéri sa fille.

Les gendarmes viennent arrêter le gars puis le relâchent. Il se promène sur la lande et rencontre une jeune routarde. Celle-ci lui offre à déjeuner et son corps. Le gars la fait jouir jusqu'à l'épilepsie. La routarde plonge dans l'eau d'une rivière pour prendre la mesure de ce qui lui est arrivé.

La fille constate des griffures sur le corps du gars. Il ment sur leur origine. Lorsqu'elle vient le rejoindre sur la plage, elle le voit endormi. S'en retournant chez elle, elle entend un bruit dans les fourrés. Elle s'avance vers leur masse indistincte.

Son corps est retrouvé sans vie par les gendarmes. Sa mère vient la reconnaitre. Le gars est interrogé. Il est bientôt chez la mère. Il profite qu'une voisine la fait sortir marcher un peu pour pénétrer dans la maison. Il s'empare du corps de la fille qu'il enveloppe dans son linceul pour la porter près des marais. Il la pose face contre l'eau.

Alors qu'il dort, le gars est réveillé par le chien du voisin. Celui-ci le conduit à son maitre qui est arrêté par les gendarmes pour le meurtre de la fille.

Dans les marais, la fille hoquette et se retourne dans un grand cri. Elle est vivante et vient annoncer la bonne nouvelle à sa mère alors que le gars s'en va conduisant le chien qui est désormais le sien.

 

analyseLa splendeur des paysages oppose d'abord la masse des ciels nuageux à celle de la terre, découpée entre sable et verdure. Puis terre et eau sont réunies par les brumes et le son du vent. Dumont, envouté, magnifie ces paysages par le Scope. Ne restait plus pour les mettre en scène qu'à trouver une fable qui s'y adapte.

La proximité des paysages fit sans doute revenir Ordet de Dreyer tout autant que le désir des marches à pied fit revenir Sous le soleil de Satan de Pialat avec, pour conséquence, la mise en image des miracles, communs aux deux films. L'humanité des personnages n'est pas traitée au-delà de leur fragile silhouette minérale. Les miracles s'accumulent pour redonner à la pureté des sentiments et à la violence sexuelle une renaissance qu'avait corrompue la triste banalité sans âme qu'est parfois l'existence.

Ordet de Dreyer
Sous le soleil de Satan de  Maurice Pialat
Des réminiscences cinéphiles qui proviennent d'abord des paysages : Dreyer et Pialat


Une fable moyenâgeuse …

L'image finale du gars abandonnant le village pour poursuivre sa route avec son chien évoque le départ des sorciers ayant purgés de leur mal les villages maudits. Vagabond venu de nulle part, le gars a ici chassé le mal du village de dégénérés et l'a mis hors Satan.

Les gestes des doigts du gars, dès sa rencontre avec la fille ou lorsqu'il prie, indiquent une dimension spiritualiste tout comme son inscription immobile sur le fond de pierre de château d'eau ou d'immensité du paysage. le gars est un élément de la pure nature hors du monde des humains. Le premier miracle accompli reste incertain. Le défi qu'il a lancé à la fille a-t-il sauvé la lande ? Le second, le sauvetage de la gamine cataleptique, évoque celui de l'enfant dans Sous le soleil de Satan.

Même enfant cataleptique, même remerciements de la mère. Si Dumont s'en souvient, il reste en deçà de la performance de Pialat en transformant l'élévation de l'enfant en simple plaquage des lèvres sur celles de la gamine.

Le troisième miracle est la transformation de la routarde par l'expérience sexuelle : corps offert sans façon sur la terre, elle devient une nymphe de la rivière. La routarde est sauvée de la copulation bestiale par une jouissance épileptique qui en fait une nymphe des eaux .

Le quatrième miracle, la resurection de la fille prolonge celui de Sous le soleil de Satan et s'inspire fortement de l'Ordet de Dreyer.

… sans prise sur le présent.

Malgré sa puissance d'évocation, cette belle légende reste enfermée en elle-même. La succession des quatre miracles gâche un peu la surprise de celui qui est censé en être l'aboutissement, la résurrection de la fille. Plus grave sans doute, ce miracle n'est mis en scène pour personne, personne n'y assiste. Et que vaut cette réconciliation avec la mère qui a assumé le viol de sa fille par son beau-père ?

A force de refuser le travail du sens pour celui de la sensation, Dumont finit par faire preuve d'une désinvolture à la morale (tuer le père et laisser la fille dans son village est-ce vraiment la seule solution ?) et au social. Le village semble peuplé d'arriérés et de dégénérés : le beau-père, le voisin et d'une certaine façon la mère complice. Seul le garde littoral et surtout les beaux gendarmes semblent échapper au jeu de massacre.

A moins que cette désinvolture ne soit assumée comme une façon de faire participer le spectateur, pour lui laisser la charge du sens. Pas sûr pourtant que ce soit la meilleure part. On se demandera ainsi sans doute bien vainement pourquoi la griffure sur le visage du gars qui apparait juste après qu'il ait tué la biche disparait le lendemain sans explication.

Jean-Luc Lacuve le 26/10/2011.

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