Maps to the stars

2014

Genre : Drame social
Thème : Hollywood

Cannes 2014 : Prix  d'interprétation féminine pour Julianne Moore Avec : Julianne Moore (Havana Segrand), Mia Wasikowska (Agatha Weiss), Robert Pattinson (Jerome Fontana), John Cusack (Stafford Weiss), Evan Bird (Benjie Weiss), Sarah Gadon (Clarice Taggart), Olivia Williams (Christina Weiss), Carrie Fisher (Carrie Fisher), Jayne Heitmeyer (Azita Wachtel), Dawn Greenhalgh (Genie), Clara Pasieka (Gretchen), Niamh Wilson (Sam), Amanda Brugel (Victoria), Emilia McCarthy (Kayla). 1h51.

Agatha débarque du bus encore toute pleine de sommeil. Elle est à Hollywood et a commandé une limousine avec chauffeur. Celui-ci est venu avec une luxueuse voiture certes mais pas une limousine et, soupçonneux, aimerait empocher immédiatement les 45 dollars minimum que coûte une course. Il se montre rassuré quand Agatha lui en propose 200. Le chauffeur s'appelle Jerome Fontana et comprend bien vite qu'Agatha n'est pas une habituée des lieux. Elle vient de Floride mais connaît néanmoins Carrie Fisher, l'agent de nombreuses stars, avec qui elle est devenue amie sur internet. Jerome conduit des voitures mais aspire à devenir acteur ou scénariste à Hollywood. C'est d'ailleurs au pied de la bannière Hollywood-land que Jerome a conduit Agatha. Elle est déçue. Elle pensait y trouver la maison d'enfance de la star Benjie Weiss dont elle prétend avoir été la Bad-baby-sitter

Benjie Weiss a 13 ans et est déjà star. Le rôle titre du Bad babysitteur lui a rapporté plusieurs millions de dollars et il se conduit dans la vie avec le même odieux mépris pour les autres que dans le film dans lequel il a joué. Il rend visite à l'hôpital à une jeune fille, Gretchen, presque enfant qui est, le croit-il, atteinte du sida et pourrait ainsi faire un excellent sujet de film. Benjie discute avec sa mère Christina de son prochain contrat avec le studio pour la suite de The Bad babysitteur. Le rôle pourrait lui échapper car il s'est beaucoup drogué. Le studio a étouffé l'affaire mais craint le scandale d'une nouvelle cure de désintoxication qui ruinerait l'image de la star-enfant. Heureusement, la mère de Benjie le coache avec efficacité et s'apprête à négocier son contrat au même niveau que le précédent. Négligeant l'aide de son père, Stafford Weiss, un psychothérapeute ayant construit sa fortune grâce à des livres de développement personnel, il exige la présence de Genie, son agent lors de la négociation avec le studio. Celle-ci tourne à l'avantage de Benjie. Mais les questions sur son état de santé psychique l'humilient plus que de raison, allant jusqu'à le faire vomir dans les toilettes.

Havana Segrand, célèbre vedette, est coachée par Stafford Weiss qui lui applique les principes de ses livres, prônant la transparence de l'être et l'invitant à faire sortir d'elle ses traumatismes. Il tente ainsi de faire revivre à Havana le viol qu'elle a subi enfant de la part de sa mère, la célèbre actrice Clarice Taggart, et de lui faire prononcer les mots qui lui permettront de reprendre mentalement l'ascendant sur sa mère décédée.

Havana Segrand est stressée. Elle sent que lui échappe le rôle qu'interpréta sa mère dans le remake de son film culte, Stolen waters, que va tourner le réalisateur Damien Javitz. Elle tient plus que tout à interpréter ce second rôle qui lui vaudra peut-être l'oscar. Elle s'en entretient auprès de son agent, Genie, à laquelle elle fait aussi part d'une préoccupation plus prosaïque : son assistante, en fait sa bonne à tout faire et même dans leur langage, "son esclave", la volait et elle a dû la renvoyer. Elle a besoin d'une autre esclave. Alors qu'elle va dans sa salle de bain, elle est assaillie par la vision de sa mère, telle qu'elle était dans Stolen waters, qui se moque d'elle. Benjie Weiss est lui aussi victime de l'apparition de Gretchen qui lui récite les vers du poème Liberté de Paul Eluard que récitait Clarice Taggart dans Stolen waters. Agatha chez elle prend aussi des comprimés tout en récitant le poème alors que la télévison diffuse des spots de pub pour le nouveau livre de Stafford Weiss.

Carrie lui présente Agatha et même les marques de brûlure qu'elle cache plus ou moins avec sa coupe de cheveux ne la font pas reculer pour l'engager. Après tout, sa mère est morte dans un incendie.

Lorsque Havana Segrand parle de sa nouvelle "acquisition" à Stafford Weiss, celui-ci s'inquiète. Il reconnait en Agatha, sa fille et sœur de Benjie. Plus inquiète encore, Christina, sa femme. Agatha détruisit leur maison par le feu il y a sept ans lorsqu'elle en avait treize et qu'elle terrorisait son petit frère avec le jeu du mariage où elle le forçait à l'épouser.

Agatha a pourtant bien changé. Elle tente de séduire Jérôme en lui proposant de coécrire et de jouer avec elle un scénario sur l'inceste entre frère et sœur. Il la rejette d'abord puis s'attache à elle. Havana apprend avec consternation que le rôle qu'elle convoite est donné à Azita Wachtel avec qui elle fait pourtant bonne figure lorsqu'elle la rencontre avec son petit garçon, Micah. De son côté, Benjie est victime d'hallucinations et voit Gretchen lui apparaitre après son décès.

Havana apprend bientôt que Micah, le petit garçon de Azita, est mort dans des circonstances tragiques et que sa mère renonce au rôle qui, dès lors, lui revient. Agatha rend visite à son frère et se réconcilie avec lui mais Stafford, en pleine promotion de son livre, vient lui ordonner de quitter Hollywood. Agatha tente alors de se réconcilier avec sa mère qui l'écoute avec tendresse. Agatha avait découvert que ses parents sont frère et sœur et c'était pour échapper aux apparitions qui l'assaillaient qu'elle avait mis feu à la maison dans laquelle son frère avait failli périr. Alors que la réconciliation entre la mère et la fille va se faire, Stafford débarque et jette sa fille à la porte. Christina, effondrée, constate que sa bague lui a été retirée par sa fille.

Benjie supporte mal la concurrence de la covedette, un enfant de quatre ans, qui joue avec lui. Victime d'hallucinations, il le tue en croyant qu'il s'agit de Gretchen.

Havana par bravade s'offre sexuellement à Jerome. Agatha les voit faire l'amour dans la voiture. Effondrée, elle laisse ses règles tacher le canapé de Havana qui l'insulte alors odieusement. De colère, elle le frappe à mort avec la statuette des golden globe gagnée par sa mère. Son frère, échappé de l'asile psychiatrique où il était mal gardé, vient la retrouver chez Havana. Agatha lui propose de dérober la bague de mariage de son père. Benjie trouve son père effondré après avoir eu l'hallucination de Christine en flamme près du barbecue. Il lui dérobe sans problème la bague. Les deux enfants vont se tuer d'une overdose de médicaments dans les ruines de leur maison d'enfance.

  Les "Maps to the stars" sont ces cartes distribuées aux touristes avec la fallacieuse promesse de leur faire rencontrer les stars en leur indiquant leur adresse. Leur est ainsi donné l'espoir qu'ils pourront partager la vie de célébrités en s'en rapprochant, ne serait-ce que le temps d'une photo ou d'un autographe. Le titre du film indique ainsi qu'il est moins une satire d'Hollywood que le lieu emblématique d'un idéal où toute barrière semble pouvoir être franchie. Cronenberg peut y explorer à loisir son thème favori : comment les névroses intérieures se déchainent pour affleurer à même la peau ou la conscience des personnages jusqu'à provoquer le drame dans le monde réel, le monde social jusque là si tranquille.

Hollywood, ville glaçante

Maps to the stars n'est qu'accessoirement un nouveau film sur les vices et névroses d'Hollywood. Certes, Havana est l'une de ces héroïnes prêtes à tout pour un rôle (triolisme avec l'acteur principal, harcèlement des agents) et ne s'embarrasse guère de morale (elle se cherche une domestique esclave et n'est pas émue bien longtemps de la mort du petit Micah ou par ce qui lui semble être le naïf amour entre Agatha et Jerome).

Cette description de star névrosée est aussi redoublée par celle de Benjie, devenu aussi odieux que les rôles qu'il interprète et grandi avant l'âge jusqu'à devenir monstrueux (les séquences entre enfants-stars sont particulièrement cyniques et désespérées).

Trois films sont également en tournage : le remake de Stolen waters, la suite de The bad babysitter et Blue matrix une série de SF fauchée. Aucun d'eux ne peut être considéré comme un grand film. Damien Javitz n'est pas P. T. Anderson remarque Geni. Ils donnent une image assez peu glorieuse du cinéma des studios.

Toutefois, plus que l'ambition et les jalousies, c'est de l'obscénité, qui abolit toute frontière, dont seront victimes ceux qu'un premier dérèglement a traumatisé. En dépit de leur bonne volonté initiale, l'inceste qui a déréglé les vies des Weiss et de Havana, va ainsi devenir incontrôlable et détruire leur vie, tel le feu indomptable de l'affiche : nulle liberté possible à Hollywood.

Hollywood, ville obscène

Tout traumatisme peut sans doute être abordé avec le recul que permet la scène de spectacle, ou l'écran de cinéma. Mettre à distance ce traumatisme afin de pouvoir s'en emparer, évaluer, discuter, éventuellement en être lavé probablement est ce là l'un des rôles, thérapeutique, de l'art. Il est alors cathartique et réparateur. Quand la frontière disparaît entre la scène et celui qui l'observe, le traumatisme violemment jeté en pâture devient ob-scène, littéralement privé de scène. Les "Maps to the stars", sont déjà cet espoir obscène de partager la vie d'artistes en s'en rapprochant, ne serait-ce que le temps d'une photo ou d'un autographe, sans limite.

Ce n'est pas le cas d'Agatha qui demande à être conduite à une adresse dont elle sait qu'elle doit maintenant la voir d'une façon toute différente que dans le passé. Le tee-shirt bad-babysitter qu'elle porte dans la séquence initiale n'a rien d'inquiétant. Il est simplement le signe qu'elle s'intéresse à ce que devient son frère. Son désir de réconciliation est sincère mais elle veut faire surgir la vérité au travers du scénario qu'elle prépare. Le danger la guette aussi dans l'absence de barrière qu'elle croit pouvoir mettre entre vie privée et vie publique et consistant à vouloir soigner ses blessures personnelles en en faisant un film comme Havana.

Celle-ci affiche son inceste comme guéri avec une fausse candeur à la télévision alors qu'elle a toujours besoin d'une thérapie et que la motive plus que tout le rôle qui lui permettra de jouer sa mère.

L'obscénité est aussi présente lors de l'échange de confessions amoureuses dans les toilettes comme si toute barrière pouvait être abolie entre la star et son "esclave" et qui suscitera un désir malsain chez Havana. Obscénité encore avec la maison des Weiss, donnée comme transparente, offerte à tous les regards alors qu'elle cache le tabou des tabous, celui de l'inceste. Enfin ultimes frontières abolies, celle entre réalité et fantasme et hélas entre devenir des enfants et celui des parents.

Le refoulé fait surface

Clarisse apparait à sa fille dans une baignoire, Benjie voit Gretchen et Micah venir le harceler dans la piscine familiale, Christina pleure nue dans sa baignoire, Stafford a la vision de sa femme s'immolant par le feu au bord de la piscine. Les apparitions, les prémonitions ou le passé surgissent dans la conscience comme elles surgissent à la surface de l'eau. Toujours menaçante, l'eau était aussi évoquée dans le titre du film de Clarisse, Stolen waters. Elle est ce qui relève de l'inconscient, de l'incontrôlé. Ainsi les règles d'Agatha sur le canapé blanc d'Havana qui vont déclencher le drame.

Le feu est associé au désir conscient de destruction. En maquillant sa peau et en la couvrant de tissus, Agatha pensait pouvoir éviter de voir ressurgir le traumatisme. En jetant ses comprimés dans l'eau des toilettes elle renonce aux soins et ses marques de brûlure se font dès lors de plus en plus visibles.

Le feu remonte en Agatha. Le poème d'Eluard, lu comme un exorcisme, ne fonctionnera pas en ce lieu. Nulle liberté à Hollywood car nul ailleurs où la faire régner puisque toute barrière a été abolie.

Jean-Luc Lacuve le 24/05/2014.