Dossier secret (Mr Arkadin)

1955

(Condidential report). Avec : Orson Welles (Gregory Arkadin et la voix du narrateur), Paola Mori (Raina Arkadin), Robert Arden (Guy van Stratten), Akim Tamiroff (Jakob Zouk), Michael Redgrave (Burgomil Treibitsch), Patricia Medina (Mily), Suzanne Flon (La barone Nagel), Katina Paxinou (Sophie), Frédéric O'Brady (Oscar), Grégoire Aslan (Bracco), Jack Watling (Le marquis de Rutleigh), Mischa Auer (Le Professeur), Peter van Eyck (Thaddeus), Michael Redgrave (Burgomil Trebitsch). 1h39.

DVD

Van Stratten arrive chez Jakob Zouk à Munich et lui raconte ce qui est arrivé lors de ces dernières semaines. Il espère s'en faire un allier pour l'aider à contrer Arkadin.

Aventurier de piètre envergure, Van Stratten s'était vu proposer un étrange marché par un moribond, Bracco, assassiné dans le port de Naples : faire chanter Gregory Arkadin, un puissant homme d'affaires, en prétendant connaître son passé.

Van Stratten parvient à approcher Arkadin par l'intermédiaire de sa fille Raina. Le financier prend l'aventurier à son service et lui confie une mission : retrouver les traces de son passé car il se prétend amnésique.

L'enquête de Van Stratten le conduit de Madrid à Zurich, de Paris à New York, d'Amsterdam à Mexico. Il rencontre une faune pittoresque et cosmopolite : un dompteur de puces, l'antiquaire Trebitsch, une ancienne espionne, la baronne Nagel, une organisatrice de traite des blanches, Sophie. A Munich se trouve le dernier maillon de la chaîne, Jacob Zouk.

Mais Van Stratten n'a été que le jouet de son employeur. Car Arkadin a profité de ses recherches pour supprimer un à un, de par le monde, les témoins gênants de son honteux passé. Sa fille ne doit jamais savoir qu'il fut jadis un odieux trafiquant.

Van Stratten n'a plus qu'un espoir chercher refuge auprès de Raina s'il ne veut pas être la dernière victime. Il parvient au dernier moment à joindre la jeune fille. De désespoir, Arkadin se suicide en sautant de son avion en vol, sans parachute...

Analyse de Jean-Paul Berthomé sur le DVD ci-dessous :

Lorsqu'il commence le film, Orson Welles à l'intention de refaire une sorte de Citizen Kane qui lui permettra de revenir tourner aux Etats-Unis. Il n'obtient pourtant ni le financement, ni les acteurs ni le chef opérateur qui lui permettrait de faire un nouveau chef-d'oeuvre. Il rognera ainsi progressivement sur ses ambitions pour, au final, autour d'un personnage proche de Harry Lime, le profiteur de guerre que Welles interprétait cinq ans plus tôt dans Le Troisième Homme de Carol Reed, produire une série de vignettes grotesques sur la structure de Citizen Kane ... dans lequel on aurait supprimé les retours au présent de l'enquêteur journaliste.

Le film est à la rencontre du goût de Welles pour les genres du polar, de l'aventure, de l'espionnage et son goût pour le grotesque. Le trio est trop simple avec Welles en statue du commandeur et ses deux personnages transparents que sont van Stratten et Raina. C'est pourquoi, à côté d'eux, il dresse une ahurissante galerie de portraits : Oscar en drogué, Mischa Auer en dresseur de puces, Redgrave en brocanteur juif d'Amsterdam et Katina Paxinou avec son général de mari. Et puis bien-sûr aussi Akim Tamirof qui sera Sancho Panza et apparaitra dans La soif du mal, et Le procès.

Un film accouché dans la douleur

Le scénario a été écrit sous le titre Mascarade, jeu de masques, et a été tourné sous le titre M. Arkadin. C'est ce titre que l'on voit sur les ardoises de clap, les photos de tournage et dans les rushs en 54. Mais quand le film sort pour la première fois en salles, plusieurs années après dans une version qui n'est plus tout à fait celle de Welles, le producteur et surtout le distributeur américain Warner décident de changer le titre, qu'ils ne trouvaient pas assez commercial. Il sort en 1956 sous le titre Confidential report.

La première version du scénario de 1952 intitulé Mascarade, jeu de masques, vient directement d'une émission de radio enregistrée à Paris en 1951 et diffusée par la BBC en 1952. Suite à l'énorme succès du Troisième homme de Carol Reed et de son personnage de Harry Lime, Welles se voit proposer par la BBC une série d'émissions d'une demi-heure d'enquêtes avec Lime comme personnage principal. Dans l'une d'elles, Lime est recruté par un magnat de l'armement, qui s'appelle Arkadian. Celui-ci ne l'a engagé pour retrouver les traces de son passé que pour être en mesure de les effacer en tuant tous les témoins. Dans cette émission de radio, il y avait déjà Suzanne Flon interprète de la baronne Nagel et, dans le rôle d'Arkadian, Frédéric O'Brady qui apparaîtra dans le film. Robert Arden, le détective du film, jouait régulièrement les journalistes et les méchants dans cette série radiophonique. Après guerre, il y a des profiteurs de guerre qui ont fait fortune dans le trafic d'armes dont le model est Basil Zaharof, ou le romain Michele Oliane que Welles a connu.

Welles a quitté les Etats-Unis en 48-49 après l'échec commercial de Macbeth. Il vient de passer cinq ans à interpréter des personnages pour les films des autres. Il a réussi en quatre ans à produire et filmer Othello pour lequel il obtient la palme d'or à Cannes. Il désire monter son entreprise de production qui lui laisserait le temps de tourner. Il s'adresse à Louis Dolivet, probable agent du Kominterm en France, qui créé Filmorsa, société de nationalité marocaine et de financement suisse.

En 1954, une partie de l'argent vient d'Espagne avec comme contrainte de tourner une partie dans les studios de Madrid. Le carnaval de Venise devient une fête à la Goya à Ségovie. Une partie du bal masqué est tourné dans les décors de Haute-couture et l'autre à l'hôtel Hilton où Welles a organisé une fête pour filmer des figurants. Welles abandonne le studio bien avant le temps imparti pour tourner en Espagne et sur la côte d'azur. Il tourne trois fois la scène où Raina prend Van Stratten en stop...avec trois voitures différentes dans trois endroits différents.

L'alcazar de Ségovie devient le château d'Arkadin. Le tournage s'arrête au printemps faute d'argent. Welles attend. Il voudrait Marlene Dietrich pour le personnage de Sophie et Ingrid Bergman pour celui de la baronne Nagel. Sous la pression du producteur, il tourne avec des comédiennes espagnoles ce qui donnera la version espagnole du film.

En été, on essaie de monter le film. En septembre octobre, Welles reprend les scènes avec les acteurs qu'il peut : O'Brady pour Oscar dans sa cabine et non Michel Simon. Il prend Katina Paxinou, une tragédienne grecque. Fin 54, Dolivet prend en charge la fin du film avec le monteur de Welles. Ils proposent une première version à Londres qui ne tient que quelques jours. Le film est ramené à Paris pour montage.

Un film avec un unique flash-back et sans profondeur de champ

Le film commence par la fin. Van Stratten arrive chez Jakob Zouk à Munich et lui raconte ce qui est arrivé lors de ces dernières semaines. Il espère s'en faire un allier pour l'aider à contrer Arkadin. Welles avait tourné plusieurs retours au présent pour rythmer l'histoire comme avec le journaliste enquêteur dans Citizen Kane. Les distributeurs trouvent que c'est trop compliqué et que le public va s'y perdre. La version qui sort en 56, l'officielle, validée par Welles n'aura pas ces retours en arrière successifs. Il existe portant une copie retrouvée aux Etats-Unis qui comporte ces retours en arrière. Cette copie alternative en 16 mm s'appelle la version Corinthe du nom de son distributeur.

Le plan mystérieux du corps en maillot de bain sur la plage est aussi placé différemment dans la version Corinthe. Il faut que l'on comprenne qu'il s'agit de celui de Mily, exécutée par Arkadin après la soirée sur le yacht. Si c'est au début, ça explique que Van Stratten est allé voir Zouk car les assassinats se rapprochent de lui.

Arkadin est moins un personnage qu'une icône avec sa stature, sa casquette, sa pelisse et son incroyable barbe. Dans Citizen Kane, son humanité était palpable dans la fragilité inscrite dans la massivité de Welles. Arkadin c'est la statue du commandeur avec un enquêteur falot et anonyme comme dans Citizen Kane.

La sagesse de son chef opérateur, l'académique Jean Bourgoin, l'empêche de jouer sur la profondeur de champ. Il compense avec les cadrages. Des contre-plongées très voyantes deviennent un procèdé comme l'est la fête, où l'individuel se fonde dans le collectif. Le bal masqué, c'est le lieu où l'on se démasque. Ce sera là l'occasion de raconter l'apologue du scorpion et de la grenouille et celui du cimetière dans lequel les tombes n'indiquent que trois années de vie, celles marquées par les années de vraies amitiés.

Reste un mystère : pourquoi Welles ne donne-t-il pas de mère à Reina ne serait-ce qu'une Emily fantoche comme dans Citizen Kane. Est-ce le thème de la filiation qui le travaille ?

Le film connaît un petit succès en Europe mais insuffisant pour que Warner décide de le montrer aux Etats-Unis. Welles en est très déçu et décide de rentrer à Hollywood tourner La soif du mal.

Analyse de Jean-Paul Berthomé sur le DVD ci-dessous.

Test du DVD

Editeur : Opening, septembre 2008. Langue : anglais. Sous-titres: français. Son : mono. Format : 1,37.

Suppléments Orson Welles et le dossier Arkadin (47mn, 2008) Entretien avec Jean-Paul Berthomé, historien du cinéma et auteur de Orson Welles au travail (Cahiers du cinéma, 2006). Galerie photo Rushes inédits : 4' minutes de rushes de la séquence du film dans l’église.