Drunk

2020

Genre : Drame social

(Druk). Avec : Mads Mikkelsen (Martin), Thomas Bo Larsen (Tommy), Lars Ranthe (Peter), Susse Wold (la proviseure), Maria Bonnevie (Trine), Magnus Millang (Nikolaj), Helene Reingaard Neumann  (Amalie). 1h55.

Martin la cinquantaine, est professeur d’histoire dans un lycée et donne ses cours sans conviction.  Si bien que les élèves,  stressés par le bac de fin d'année dont les résultats orienteront leur vie professionnelle future, font intervenir les parents pour une confrontation hautement humiliante où, devant sa proviseure, Martin promet de faire mieux. Le soir, chez lui, il croise sa femme, Trine, infirmière de nuit, qui ne le voit presque plus, pas plus que ses deux enfants qu'il informe se rendre à l’anniversaire d’un ami.

Son ami, Nikolaj, lui-même professeur de musique, l'a en effet invité dans un grand restaurant avec deux autres amis du même lycée qu’eux, Tommy, professeur de sport et Peter, professeur de psychologie. Martin, déprimé, refuse de boire alors que défile devant lui grands crus et caviar. Puis, finalement, Martin accepte et se sent mieux. Les quatre amis, déjà passablement ivres, finissent la soirée chez Nikolaj qui leur fait part de la surprenante théorie d’un psychologue norvégien selon laquelle l’homme aurait, dès la naissance un déficit d’alcool dans le sang. Pour retrouver une meilleure énergie, il  suffirait de maintenir 0,5 grammes d'alcool dans le sang en permanence. En professeurs consciencieux, ils décident de se lancer dans une étude pour vérifier la validité de cette théorie.

Martin réussit tout d’un coup à passionner ses élèves, tout pareil pour Nikolaj qui parvient à faire chanter correctement l’hymne suédois. Peter parvient à relativiser l’exclusion de l’équipe de foot d'un gamin binoclard que ses camarades ignoraient. Même la vie personnelle de Martin s'en trouve changée. Il incite sa femme à leur réserver une sortie familiale en canoë et, la nuit, ils font l'amour comme ils ne l'avaient plus fait depuis longtemps....

Drunk se présente comme un film iconoclaste qui met en avant l'anticonformisme, le sens de la fête et de l'envie de vivre. Il ne défend pourtant que les valeurs les plus classiques (savoir bien enseigner et aimer femmes et enfants) où l'alcool, malgré l'infantilisme des réactions qu'il déclenche, apporte un gain social. D'où un film vain, roublard, racoleur et réactionnaire, à mille lieues du Husbands (John Cassavetes, 1970) dont il prétend s'inspirer.

Etude de la liberté ou méthode de réussite sociale

Dans Husbands, trois amis Gus (John Cassavetes), Archie (Peter Falk) et Harry (Ben Gazzara), suite au décès prématuré d'un ami proche, testaient les limites de la liberté qui leur restait à vivre. Le ton était plus proche de la comédie que du drame; les gamineries d'adultes attardés et désenchantés étant souvent alors une tentative de tester une vie qui serait délestée du poids du mariage et de la paternité et vécue dans la seule sphère, plus légère et plus irresponsable, de l'amitié. Aucun discours sur les désirs ou frustrations des personnages n'était tenu et c'était toujours dans l'action que la psychologie se révélait; lorsque les personnages allaient jusqu'au bout de leur fatigue et de leurs propos dans la recherche désespérée de relations amoureuses ou sexuelles passagères. Au final, Harry était contraint au divorce, Archie cabossait davantage son couple alors que Gus était accueilli avec émotion et soulagement par sa famille.

Vinterberg reprend ce schéma en faisant mourir le quatrième ami un peu plus loin dans la narration et en donnant au charismatique Mads Mikkelsen un rôle proche de celui de John Cassavetes. Mais là où le réalisateur américain confrontait ses personnages à des enjeux réels de liberté, au risque de la fatigue des corps et des discours dans des relations insatisfaisantes avec des femmes elles mêmes se cherchant, le réalisateur danois tente de faire gagner quelque chose à ses personnages : une respectabilité qu'ils ont perdu avec leurs élèves, leurs femmes ou leurs enfants. Cette volonté racoleuse d'un gain à ramasser grâce à l'alcool est non seulement fumeuse mais assez laidement filmée dans des tourbillons censés rendre l'alcool libérateurs, à coups de musique tonitruante.

Théorie fumeuse

L’alcool résoudrait les difficultés d'enseigner en se rapprochant par le jeu et le sens de la fête de ses élèves ; l’alcool donnerait l’énergie de sortir de la routine conjugale et familiale en proposant à femme et enfants une sortie en canoë ; l’alcool serait un moyen de faire tomber le stress et, dans des circonstances exceptionnelles, de réussir un examen ; l'alcool renforcerait l’amitié masculine et permettrait de vérifier la force du lien conjugal. Ce n'est vraiment que si l'on dépasse les bornes ; avoir presque en continu deux grammes d’alcool par litre, que l'on court vers la mort.

Assez curieusement pourtant l'alcool ne résout rien. Enseigner l’histoire en montrant que la réalité n’est jamais celle que l’on perçoit au premier abord est peut être un exercice salutaire. Mais l’importance des hommes d'état dans l’histoire (Roosevelt, Churchill ou Hitler) se mesure-t-elle à l’aune de leur psychologie de surface ou profonde ?

Comme le film n’a rien résolu, il ne sait pas comment finir et en rajoute sur le sens de la fête partagé par les élèves et les professeurs dans l’alcool qu’ils devront donc continuer à ingurgiter, avec la bénédiction des épouses.

Jean-Luc Lacuve, le 17/10/2020