Ce jour là

2003

Avec : Bernard Giraudeau (Emil Pointpoirot), Elsa Zylberstein (Livia), Jean-Luc Bideau (Raufer), Christian Vadim (Ritter), Michel Piccoli (Harald), Jean-François Balmer (Treffle), Laurent Malet (Roland), Rufus (Hubus), Féodor Atkine (Warff), Jacques Denis (Le patron du café), Edith Scob (Leone), Hélène Surgère (Bernadette). 1h45.

Juste après le dernier plan du générique, deux surimpressions indiquent " un film helvète de Raoul Ruiz" puis "La Suisse dans un proche avenir. Dimanche 27 décembre".

Au pied d'un arbre, assise sur un banc au bord d'une route, une jeune fille écrit dans son journal intime. Un passant en vélo, troublé, fait une chute sur le bas-côté. La jeune fille rit et explique que demain sera le plus beau jour de sa vie. Les runes en ont décidé ainsi que les tarots chinois et divers sortilèges incas. Soudain sortent de la forêt, sept hommes à vélo. Ce sont les fous de San Michele explique l'inconnu à la jeune femme. Il lui fait aussi remarquer que les runes ont dit le jour le plus important de sa vie. Ce qui ne veut pas dire le plus beau. Livia acquisse et l'entraine derrière un arbre et lui offre sa cuisse à baiser. Le jeune homme va s'exécuter quand une voiture s'arrête et rappelle Livia. C'est Treffle, le majordome du grand domaine qu'elle habite qui vient la rechercher pour assister au repas dominical.

Sont réunis là Leone, la nouvelle épouse de Harald, le père de Luc, Roland et Livia. Sont également là Hubus, le frère d'Harald et Bernadette, sa compagne. Le père est comme d'habitue absent pour ses affaires. C'est par téléphone interposé que tous lui souhaitent bon anniversaire. Ensuite chacun s'en va, laissant l'extravagante Livia sous la protection de Treffle.

Lundi 28 décembre. Ce sont les grandes manœuvres en Suisse. Les camions militaires tournent en boucle autour de la petite ville et els écoliers vont à l'école. Une fusion prochaine de la société Salsox avec eu autre compagnie Suisse aura des répercussions mondiales. A l'hôpital San Michele, l'inquiétant Warff libère Emil Pointpoirot, psychopathe patenté en lui indiquant que c'est la volonté de Dieu. Emil s'arrête d'abord chez le pharmacien pour acheter un testeur de sucre dans le sang car il est diabétique puis se rend chez Livia dont il a l'adresse écrite sur un papier.

Le commissaire Raufer et son adjoint, l'inspecteur Ritter, discutent de ce qu'il convient de faire face à l'évasion du dangereux psychopathe Emil Pointpoirot. Ritter a une idée : ne rien faire. Pendant ce temps, Harald a réuni dans son bureau, Luc Roland et Hubus. Par téléphone, il ordonne à Treffle de quitter Livia et de se rendre chez sa mère, très mal, car on aurait assassiné son chien.

Livia a fait entrer Emil. Il est  très inquiet de son taux de cholestérol. S'il dépasse 150, cela  va faire bouillonner sa tête. ll est surpris que Livia le prenne pour un ange car il a fait une chute.

Dans le bureau de Harald, tous espèrent que maintenant "la chose est faite". Pour plus de sureté, Harald envoie Luc le vérifier. Emil poursuit Livia à travers la maison. Livia le frappe d'un coup de marteau ce qui l'assomme. Alors qu'elle se penche pour connaître son état, surgit Luc. Effrayée et sans le reconnaitre, Livia lui plante le marteau dans le crâne. Elle erre dans le jardin où elle aperçoit le passant à vélo de la veille à la grille. Elle le fait entrer et va se donner à lui lorsqu'Emil surgit et le frappe de plusieurs coups de couteaux. Hubus et Bernadette arrivent alors en voiture et surprennent Emil transportant le corps du cycliste. Hubus s'écroule, victime d'une crise cardiaque. Emil poursuit Bernadette qui s'enfuit du jardin... avant d'être renversée par une fourgonnette. dont Emil assassine les deux conducteurs.

C'est ensuite au tour de Roland d'être tué par Emil. Du coup, Harald s'emporte contre Raufer et Ritter qui ont décidé de ne rien faire. Harald doit convenir avec Leone qu'il avait fait un mauvais choix en laissant la marque Salsox à son ancienne épouse qui, décédée a désigné Livia pour hériter de son immense fortune. Leone se rend chez Livia et se fait tuer à son tour. Dans le bureau de Harald, Warff lui fait signer les papiers où, contre le remboursement de ses dettes, il accepte de laisser l'héritage de sa fille à l'Etat suisse. Tous deux se rendent ensuite chez Livia pour vérifier qu'elle est morte. Celle-ci lui montre les morts attablés; Au moment d'abattre Livia, Harald retourne l'arme contre lui. Warff va tuer Livia mais en est empêché par Treffle. Ce sont les policiers, Raufer et Ritter qui vont se charger de le faire disparaitre. Treffle console Livia qui a compris que son père voulait la tuer. Elle est à la tête dune immense fortune et peut acheter la Suisse et d'autre pays et surtout l'hôpital San Michele où Emil est détenu.

Ruiz, abandonnant ses considérations philosophico-surréalistes souvent complexes, retrouve l'énergie, l'humour, et l'inquiétante étrangeté qu'il sut autrefois si bien insuffler au sein de scénario de série B. Comédie burlesque, Ce jour-là passe aussi au travers de deux écueils du genre : accumuler les gags sans travailler un sujet et être incapable de produire du liant romanesque.

Le sujet est exposé dans les tous premiers plans du film. Des camions militaires passent en un cortège bruyant alors que, gracieusement, une feuille d'arbre tombe sur le journal qu'écrit Livia. Celle-ci, attentive aux deux minuscules trous de celle-là, note : "la feuille n'est plus toute jeune mais elle me regarde avec sympathie". Tout le film travaillera sur ce second degré de notations en opposant le monde capitaliste froid et meurtrier aux agissements poétiques et loufoques de Emil et Livia.

Les gags du film préservent toujours un premier degré de burlesque et un sens plus profond, plus inquiétant liés à l'appât du gain. Ainsi de l'épopée du "Sal sox". On ne comprend d'abord pas très bien cette rage qui saisit l'inspecteur de police lorsque au restaurant, on lui refuse le "Sal sox", prétendument interdit par le notable du coin. Devant son insistance toutes les petites bouteilles frappées de la marque "Sal sox" réapparaissent sur les tables des clients. On ne comprendra que plus tard, lorsqu'arrivera le notable pour déjeuner que celui-ci ne supporte plus cette marque de sauce car il l'avait offert en guise de cadeau de rupture à sa femme sans en soupçonner le potentiel commercial. Et les clients de reprendre en chœur toutes les vertus de cette sauce qui en font un de ces fameux "alicament", aliment et médicament" que les puissantes sociétés suisses de ces deux secteurs économiques veulent nous convaincre d'acheter. De même le meurtre de Roland perpétré par Emil est une course poursuite burlesque qui ferait presque oublier qu'un frère est venu tuer sa sœur pour préserver son héritage. Même les téléphones portables, accessoires de la modernité omniprésents comme les voitures, sont recyclés pour deux gags d'une grande beauté plastique : Treffle enjoignant sa mère à rentrer à la maison alors que celle-ci lui fait au revoir du bras en haut du champ, puis, tous les téléphones portables des morts, soigneusement rangés par Emil, se mettant çà sonner pour entonner une musique sur laquelle dansent Emil et Livia. Gag à répétition le kit pour diabétique que trimballe Emil : ce ne sont que morts que les sangs des assassins sont enfin normaux.

En contrepoint de ce monde brutal, la démarche placide des policiers suisses : le décalage étant probablement la seule manière de s'opposer au complot d'état.

Le travail de Ruiz sur le film de genre et son goût pour les acteurs typés rappellent quelques-uns uns des films de Mocky ou de Chabrol où, au sein du jeu de massacre, la fable poétique procure les moments d'émotion. On citera ainsi ici l'Ave Maria de Gounod, les réflexions enfantines d'Emil "Là j'y suis pour rien", la robe décorée des taches de sang et la référence à Blanche-neige avec les nains sortant de la forêt et la pomme dans le sac du tueur. Mais l'attention constante de Ruiz au cadrage, les subtils mouvements d'appareils font aussi penser à Godard. Le plan de l'avion passant au-dessus d'un arbre et interrompant un dialogue où l'on parle du père de Livia pour retrouver celui-ci, tel le diable de l'histoire, fait ainsi penser au plan de l'arrivée de l'ange dans Je vous salue Marie.

Jean-Luc Lacuve 10/06/2003

Retour