Petite Solange

2021

Avec : Jade Springer (Solange), Léa Drucker (Aurélia), Philippe Katerine (Antoine), Grégoire Montana-Haroche (Romain), Chloé Astor (Gina), Marthe Léon (Lili), Léo Ferreira (Arthur), Benjamin Esdraffo (Le professeur de sciences). 1h25.

Nantes. Collège Ernest Renan. Dans le cours de français, Solange, 13 ans, est désignée pour lire un poème à haute voix. Elle se lève, se rassoit, mutique, inquiétant sa professeure.

Quelques mois plus tôt. Tout semble aller pour le mieux dans la famille de Solange et de son frère, Romain: leurs parents, Aurélia et Antoine, entourés de leurs amis, fêtent leurs 20 ans de mariage. Solange est pleine de vie et de curiosité : elle aime les cours de physique où l'on montre que la lumière, dotée d'une vitesse est  onde et corpuscule ; de biologie avec le vol des oiseaux ; d'éducation morale et civique où elle exprime son admiration pour Greta Thunberg ; d'Italien et de français. Elle a une amie fidèle, Lili, admiratrice comme elle de Greta Thunberg. Elle s'éprend même du romantique Arthur. Sentimentale et adorant ses parents, elle ne comprend pas leurs disputes alors que Romain n'a que trop bien compris et part suivre ses études en Espagne.

Solange voit son père se rapprocher de Gina qui travaille pour lui dans son magasin d'instruments de musique.

Solange récite le poème de Verlaine en classe. La professeure avertit sa mère qu'elle a pleuré. Mais Solange croit encore que tout va s'arranger puisque des vacances en Sicile en famille sont prévues pour l'été. Alors qu'elle prépare la table pour le retour des parents, l'agence immobilière appelle pour dire que des clients sont intéressés par l'achat de la maison en septembre. Solange découvre que son frère est au courant du divorce à venir. Elle prétend aller chercher le pain mais erre longuement dans la nuit avant de descendre les quelques marches vers l'Erdre.

Plusieurs semaines après, Solange sort de l'hôpital où la psychiatre lui rappelle le conte de Grimm où l'oiseau revient chez lui après avoir beaucoup voyagé. Solange affronte sa maison emplie de cartons de déménagement et fête vaillamment ses quatorze ans avec sa famille qui ne se sera plus celle de son enfance.

Pour suivre son personnage de l'intérieur, Axelle Ropert n'utilise pas les moyens du réalisme par lesquels on embarque dans la tète du personnage, avec la camera à l'épaule fixée derrière elle quitte à faire apparaitre le monde instable ou flou (Rosetta, ou L'évènement). Axelle Ropert, à la cinéphilie revendiquée, place une affiche de L'incompris dans le cours d'Italien pour bien indiquer qu'elle procède autrement, avec les moyens du mélodrame : cadrages serrés sur les visages vus de face, musique ou poème déployés, objets signifiants (téléphone à la maitresse, rond de serviette de Romain retiré car absent, trottinettes roses, pull porté par Gina..). Autant de coups sourds qui sont portés à Solange qui finira par s'écrouler en dépit de son énergie joyeuse et aimante. La bougie des quatorze ans l'embarquera ensuite vers l'âge adulte, celle des compromis avec le temps.

Mélodrame de l'enfance

Subtilement, la scène initiale, qui ouvre vers le flash-back qui constitue la première partie du film, ne sera pas reprise telle quelle. Le film s’ouvre en effet par une courte scène où Solange doit lire un poème de Verlaine. Mal à l'aise, elle se lève puis se rassoit, si bien que la professeure lui demande ce qui se passe. Sur l'écran s'affiche ensuite : "quelques mois plus tôt". Ceux-ci écoulés, Solange dans la même scène se lève et lit cette fois : Je suis venu, calme orphelin d'une voix blanche hachée, ignorant le jeu de miroir qu'un de ses camarades fait jouer sur son front. Puis dans l'ellipse qui précède l'appel téléphonique de la professeure à Aurélia, la maman, on apprend la crise de larmes de Solange. Axelle Ropert surprend ainsi son spectateur deux fois sans montrer la crise de larmes, ce qui la fait d'autant mieux ressentir comme inévitable, attendue mais désormais inexorablement accomplie.

L'autre ellipse suit la tentative de suicide dans l'Erdre de Solange pour la reprendre le jour de la sortie de l'hôpital. L’écharpe était déjà tombée une fois à terre, lors du retour du frère, symbole du lien fragile qui la rattachait encore à la famille. Quand elle flotte sur l’eau, elle évoque à la fois le destin d'Ophélie mais aussi la chute dans la rivière d'Andrea dans l’incompris. Le destin de Solange est moins tragique, plus semblable à celui d'Antoine Doinel à la fin des 400 coups, autre référence avouée de la cinéaste. Les visages figés dans une image arrêtée à la fin des deux films marquent la sortie définitive de l'enfance.

Mondes des adultes, monde de l'enfance

Lors de la fête des vingt ans de mariage, Antoine exprime le fait que ses enfants sont dorénavant un monde à part entière, angoissé pour Romain, joyeux pour Solange. Mais il reviendra plus tard sur cette affirmation demandant à Solange de bien distinguer le monde des enfants et celui des adultes. Celui des enfants est fait de signes et de joies renouvelés dans l'espace temps d'un éternel présent. Celui des adulte prend ne compte une dimension plus grande du temps et de l’espace fait de déchirures et de compromis avec l'entropie qui dégrade les émotions et les corps.

Parfois les adultes se tiennent à l'écart de la dégradation du temps. Ce sont notamment les moments de cours au collège où les professeurs maitrisent leur matière qu'ils semblent pouvoir toujours distiller aux élèves. Grands moments intemporels aussi L'Île de Versailles à Nantes avec son jardin zen, ses cerisiers et ses pins. Lors du retour d'Espagne de Romain, la famille filmée de loin et presque au ralenti y apparait dans toute sa gloire. Pourtant auparavant, Romain y avait décelé les signes d'une rupture à venir et préfèré fuir à l'étranger, condamnant sa sœur à "rentrer à la maison" qu'il pressent menacée. Le frère ainé sait voir les signes du présent qui anticipent le futur. Ce n'est pas le cas de Solange pour qui ils sont ressentis, plus que compris, et oubliés tant ils font mal (rond de serviette de Romain retiré car absent,  pull porté par Gina puis on père lui tenant les mains et pour finir la porte de l'agence immobilière fermée pour crier son désaccord. Au final, Solange devra renoncer aux trottinettes roses mais entendre sa mère lui dire que la bougie des 14 ans n'est que la première d'une longue suite vers l'âge adulte. D'ailleurs Solange l'a bien compris, exigeant ce retour dans ce qui fut sa maison et qu'elle sait quitter à jamais comme s'est enfui l'amour entre ses parents.

Jean-Luc Lacuve, le 5 février 2022

Source : dossier de presse