La guerre est finie

1966

Voir : photogrammes du film

Avec : Yves Montand (Diego), Ingrid Thulin (Marianne), Geneviève Bujold (Nadine), Dominique Rozan (Jude), Françoise Bertin (Carmen), Michel Piccoli (inspecteur des douanes). 2h01.

dvd chez Mk2

Diégo, qui se fait parfois appeler Carlos, Domingo, voire René Sallanches lorsque celui-ci lui prête son passeport pour passer la frontière d'Espagne, est un cadre permanent du Parti Communiste Espagnol en exil à Paris depuis l'accession du Général Franco au pouvoir. Sa dernière mission clandestine outre Pyrénées a été périlleuse et il en revient sceptique sur les perspectives de la lutte anti-franquiste.

Il craint aussi que son camarade Juan, qui doit à son tour partir en Espagne, ne se fasse arrêter dès son arrivée à Madrid et il s'efforce d'en retrouver la trace dans la banlieue parisienne, où vivent nombre de réfugiés espagnols, pour l'empêcher de partir. Mais il est trop tard, Juan est en route pour Barcelone.

Diégo va alors rendre son passeport à Sallanches dont la fille, Nadine, se donne à lui dès leur première rencontre. Puis il rejoint enfin sa compagne, Marianne, qui sans y participer, n'ignore rien de ses activités militantes.

Lorsque Diégo rend compte aux responsables du Parti de sa mission et de ses conclusions, il lui est reproché un pessimisme peu compatible avec le succès espéré de l'action en cours, un mot d'ordre de grève générale en Espagne, et on lui suggère de se reposer tandis qu'un autre camarade, Ramon, s'efforcera de rattraper Juan.

Condamné à l'inaction, Diégo a le loisir de rencontrer de jeunes étudiants activistes, amis de Nadine, qui prônent l'action violente et auxquels il tentera de démontrer que leur attitude irresponsable nuit en fait au développement des luttes révolutionnaires. Mais le repos forcé sera de courte durée pour Diégo, car Ramon succombe à une crise cardiaque. Il part pour l'Espagne où un piège lui est tendu dont Nadine est informée. Elle en avertit les militants qui chargent alors Marianne de tenter d'intercepter Diégo et Juan à Barcelone.

Le titre, loin d'être un constat d'échec du combat contre le franquisme, s'interroge au contraire sur les nouvelles formes de lutte nécessaires pour un retour de la démocratie en Espagne. Comme Diego l'énoncera, excédé, aux amis de Marianne :

"L'Espagne est devenue la bonne conscience lyrique de toute la gauche, un mythe pour anciens combattants. En attendant, 14 millions de touristes vont passer leurs vacances en Espagne. L'Espagne n'est plus qu'un rêve de touriste ou la légende de la guerre civile. Tout ça mélangé au théâtre de Lorca. Et j'en ai assez du théâtre de Lorca. Les femmes stériles et les drames ruraux, ça suffit comme ça et la légende aussi ça suffit comme ça. Je n'ai pas été à Verdun moi, je n'ai pas non plus été à Teruel ni sur le pont de l'Ebre. Et ceux qui font des choses aujourd'hui en Espagne, des choses vraiment importantes, n'y ont pas été non plus. Ils ont vingt ans et ce n'est pas notre passé qui les fait bouger mais leur avenir. L'Espagne n'est plus le rêve de 36 mais la réalité de 65 même si elle semble déconcertante. 30 ans se sont passé et les anciens combattants m'emmerdent."

Un film politique et un film d'espionnage

Son rôle de permanent du parti, appointé à 80 00 francs par mois puis 87 500 après augmentation (Marianne, sa compagne éditrice gagne 300 000 francs) pèse d'autant plus à Diego qu'il sent bien que les mots d'ordre de la direction du parti réfugiée en France sont déconnectés des possibilités du prolétariat espagnol. Pour lui, la grève générale prévue dans 12 jour suivie d'un 1er mai revendicatif, "ça ne veut rien dire. C'est comme si on promenait des idoles pour faire tomber la pluie".

Il ne sera, plus tard, pas d'accord non plus avec les mots d'ordre terroristes des jeunes militants espagnols. Il ne leur en rendra pas moins la clé pour qu'ils récupèrent leur valise d'explosifs. S'il leur fait remarquer que Lénine n'est pas un moulin à prières, il n'est pas bien certain que la seule devise qu'il retienne ("La patience et l'ironie sont les vertus principales des Bolcheviques") soit bien motivante. Certes, il leur prédit qu'ils sauteront avec leur bombe mais il ne réfute pas leur argumentaire politique qui consiste à "frapper le tourisme étranger en Espagne car, associé aux bons souvenirs de vacances, il est démobilisateur. Le terrorisme vise ainsi un double objectif : tarir les sources de devises et réveiller la conscience prolétarienne. Y-a-t-il d'autre choix : toutes les grèves générales depuis 59 ont été des échecs ? "

C'est la première fois dans un film que l'on parle de terroristes. A ce moment de l'histoire espagnole, ils commencent à déborder le parti communiste en veulent utiliser les méthodes des castristes et ou des Portugais.

Semprun venait d'être exclu de la direction en exil. Il faisait le constat d'une Espagne non plus opprimée et pauvre mais opprimée et économiquement développée. Pour lui, l'Espagne avait changé et il fallait accepter une démocratie bourgeoise. Ce qui motive encore Diego dans sa lutte, c'est la fraternité : "Les copains, les inconnus, qui t'ouvrent une porte et qui te reconnaissent. On est ensemble."

Il est probable qu'il s'agisse pour Diego de sa dernière mission, son analyse était juste, il a bien été repéré et s'il est sauvé, il ne pourra même plus rentrer en Espagne comme il en fait la proposition à Marianne.


Quelle place dans le monde ?

Si Diego s'interroge sur l'action politique, il est aussi confronté chaque instant à l'ambiguïté du réel. "Le monde où nous vivons est devenu mouvant, trouble, rempli de pièges." Dans l'idéalisme politique de Roberto ce qu'il critique c'est moins le côté politique que l'idéalisme : "La réalité du monde nous résiste. Il voyait la réalité comme le rêve d'une progression indéfinie et il t'en veut presque comme si tu étais le messager malveillant de cette réalité opaque, imprévisible". Et à Nadine qui le félicite en lui disant "vous travaillez dans le détail", il répliquera que "c'est plutôt l'ensemble qui nous échappe".

Cette incertitude est figurée aussi par les ombres mouvantes sur le plafond que Diego regarde avant de s'endormir ou par celles qui dansent sur la porte de la chambre après qu'il ai fait l'amour avec Marianne.

ombres sur le plafond (voir : fatigue)
ombres sur la porte (voir : Marianne 2)

Les signes du réel sont trompeurs. A Aubervilliers malgré les lettres bien visibles des bâtiments, Diego ne retrouve pas l'immeuble G avec son dixième étage où il rencontra autrefois Mme Lopez.

Est-ce le même immeuble ? (voir : Aubervilliers)

La figure du flash mental comme autant d'alternatives reste la figure majeure du film. Représentative, la figure du bouton de l'ascenseur qui clignote qui pose la question de savoir si Juan a ou non été arrêté.

Juan a été arrêté ? Juan n'a pas encore été arrêté ? (voir : Ascenceur)

A ce rythme visuel, se superpose le rythme du texte :

"Mais Andres avait disparu, il a disparu, il aurait pu disparaître chaque jour depuis quinze ans et Carmen l'a attendu, pressenti, accepté d'avance dans l'angoisse et la colère, cette disparition qui claque sur elle aujourd'hui. Jeudi soir à dix-huit heures Andres n'est pas venu au rendez-vous du jardin botanique."

Seuls les signes du désir ne trompent pas. C'est le visage tendu de la femme de Ramon qui interpelle son mari pour savoir si elle aussi "c'est de la routine" face à l'aventure d'un voyage en Espagne. C'est le désir palpable entre Carlos et Nadine lors de leur première rencontre. Ce sont surtout ces deux séries de visages de femmes qui surgissent de la mémoire de Carlos et qu'il lie de manière prémonitoire à son prochain déplacement chez Sallanches avec l'apparition du fameux numéro 7 de la rue de l'Estrapade. A ces visages de femmes, s'ajoute aussi celui de la femme du militant français qui l'aida au début à franchir la frontière. Ainsi avant de d'aller chez les Sallanches le désir refoulé de Carlos est-il à son comble.

Renais a particulièrement travaillé les deux scènes érotiques du film, celles avec Geneviève Bujold et celle avec Ingrid Thulin. Ces deux scènes érotiques, stylisées, muettes avec une musique lyrique ne sont pas écrites par Semprun mais relevent de la seule volonté de Resnais qui, en 1965, voulait franchir les barrières très verrouillées sur ce point.

 

(voir : Nana)
(voir : Marianne)

Resnais construit ainsi son film sous forme de puzzle, mêlant flash-mental, flash forward, images sorties de l'imagination (l'enterrement de Ramon auquel Diego ne pourra assister puisqu'il part à Barcelone) et flash-back pour obliger le spectateur à se remémorer ce qui a pu se passer et à se projeter dans l'avenir du personnage. Pour Resnais, le spectateur doit être en action. Comme il le dit en avril 2007 dans le bonus de l'édition DVD : "La pensée en action remplace l'action du cinéma américain ".

Jean-Luc Lacuve le 21/08/2007

 

Test du DVD

Editeur : MK2. Aout 2007. Durée du film : 117’ - Durée du DVD : 167' - Format Image : 16/9 - Format Audio : Stéréo

Alalyse du DVD

Suppléments :

  • Préface de Serge Toubiana 5’
  • Entretien avec Alain Resnais 20’
  • Entretien avec Jorge Semprun 32
  • La collection Resnais 10’