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Le
boulanger Aimable Castenet vient s'installer dans le petit village provençal
de Sainte Cécile où depuis des générations, les
habitants entretiennent des rancunes aussi mesquines que stupides. Dès
sa première fournée, Aimable fait la conquête de tous.
Jamais ils n'ont mangé de pain aussi bon. Aurélie, sa très
jeune femme, se tient à la caisse, silencieuse, les yeux modestement
baissés. Mais une nuit, Aurélie s'enfuit avec Dominique, le
berger du marquis de Monelles. A partir de ce moment, Aimable, désespéré,
ne songe plus qu'à s'ennivrer, perd la tête et songe même
à se pendre. Rien, ni personne ne peut le décider à se
remettre devant le fournil. Le village manque de pain... Alors toutes les
familles oublient leur haine et leur rancune, l'instituteur et le curé
vont jusqu'à faire la paix. Tous sans exception se mettent à
la recherche de la boulangère et la ramène à son bon
vieux mari qui l'accueille, sans oser lui faire de reproches, de crainte de
la voir s'enfuir de nouveau. Dès lors la vie redevient paisible dans
ce village qui, désormais, ne manquera pas de pain.
Seul
film de Pagnol, où Raimu ait vraiment le rôle central : toute
l'intrigue gravite autour de lui et lui donne l'occasion de livrer la plus
variée et la plus audacieuse de ses compositions ; voir la longue scène
d'ivrognerie où il rit, chante en italien, dit des obscénités
(on écarte les enfants), s'effondre en larmes et s'endort en évoquant
avec lyrisme l'odeur des bras de sa femme
Aussi bien dans la construction de l'intrigue que dans l'écriture des dialogues et l'interprétation, Pagnol est le champion de "l'un et du multiple", de la description de l'individu et du groupe reliés entre eux par des liens vrais et profonds. Autour de Raimu vit ici tout un peuple de personanges et d'acteurs qui sont, dans le propos de l'auteur, aussi important que lui.
Chez Pagnol, l'ironie et la compassion, la précision et le pittoresque du trait, en un mot le réalisme, servent à cerner l'individu. Quand il s'agit du groupe et de sa solidarité cachée (laquelle représente autant que les malheurs du boulanger, le vrai sujet du film), Pagnol se laisse aller à la rêverie, au lyrisme peut-être même à l'utopie. Y a-t-il eu jamais, ailleurs que dans son imagination, communauté aussi unie, aussi organiquement solidaire, aussi unanime dans ses réactions que le village du boulanger ?
Cette dualité de niveaux et de tons donne à ses films leur richesse particulière. Le dynamisme, la nervosité piquante de l'humour, le relief concret des films de Pagnol viennent en grande partie de ses rassemblements d'hommes et de femmes où, selon le contenu de la scène, un acteur et un personnage secondaire, ont soudain leur grand moment. Ainsi l'irrésistible Delmont, dans le rôle du pêcheur Maillefer qui ne peut répondre à une question ou donner un renseignement sans raconter toute sa journée en commençant par ses premières impressions au réveil. Il faudra que le boulanger, exaspéré d'attendre, l'étrangle à moitié pour qu'il accouche de ce qu'il avait à dire.
Un caractère, une manie, un trait humain et notamment ce besoin ressenti par les plus humbles d'avoir leur importance au sein du groupe sont fixés là avec une prodigieuse maestria, en quelques minutes d'intense jubilation, typique de cette petite comédie humaine que contient chaque film de Pagnol.
Jacques Lourcelles : dictionnaire du cinéma