It follows

2014

Festival de Cannes, Semaine de la critique 40e festival du cinéma américain de Deauville, édition 2014 Avec : Maika Monroe (Jay), Keir Gilchrist (Paul), Daniel Zovatto (Greg), Olivia Luccardi (Yara), Jake Weary (Hugh), Lili Sepe (Kelly). 1h34.

En pleine nuit, une adolescente en nuisette et talons s'échappe d'un pavillon en courant, terrifiée par un assaillant qu'elle est seule à voir. La jeune fille roule jusqu'à la plage et se réfugie dos à la mer, éclairée par les phares de la voiture scrutant l'apparition d'un fantôme toujours invisible et téléphonant à son père pour lui dire adieu. Au petit matin l'adolescente, la jambe sanglante, brisée et  retournée au niveau du genou, est retrouvée sans vie.

Pour Jay, âgée de 19 ans, la rentrée s'annonce bien. Elle vit avec sa sœur,  Relly, et leurs amis de toujours, Paul et Yara. Jay a rendez-vous avec son nouveau petit ami au cinéma. Pourtant la soirée tourne court quand après avoir choisi la personne à laquelle ils voudraient ressembler le plus dans l'assistance, Hugh désigne une femme en jaune que Jay ne voit pas. Le soir suivant Hugh entraîne Jay dans un terrain vague et ils font l'amour dans sa voiture. Hugh sort alors pour prendre quelque chose dans le coffre et endort Jay d'un chiffon imbibé sur la bouche.

En reprenant conscience, Jay se retrouve attachée à un fauteuil roulant alors que Hugh scrute les environs avec sa lampe torche. Lorsque du bruit se fait entendre, il emmène Jay sur un promontoire en bas duquel s'avance lentement "la femme en jaune", nue et hideuse qui s'approche vers eux lentement. Hugh explique alors à Jay que désormais une personne qui pourra se présenter sous les traits de quelqu'un qu'elle connaît, ou non, va la poursuivre pour la tuer. Elle devra veiller à toujours avoir une porte de sortie près d'elle et à s'éloigner avant que le spectre ne la rattrape. Seul moyen d'échapper à cette traque : faire l'amour avec quelqu'un pour lui refiler cette maladie mortelle. Elle ne sera alors pas inquiétée avant que le spectre n'ait réussi à tuer ses nouvelles victimes....

Comme tout bon film d'horreur, It follows entremêle  un thème musical fort, une procédure effrayante  et un contexte social et psychologique particulier.

Tous les ingrédients du film d'horreur

La peur est rythmée par une musique qui démarre sur un bourdonnement entrecoupé par quelques percussions de plus en plus assourdissantes alors que le niveau sonore va crescendo. L'idée du spectre surgissant à l'arrière plan, uniquement visible par la victime qu'il tourmente, est particulièrement effrayante.

La mise en scène consiste à ne laisser aucun espace dans le champ ou hors champ à l'abri de la menace. Le champ en gros plan ou en plan large reste toujours menaçant. Chaque élément nouveau qui y entre pouvant être la silhouette du spectre ou l'apparition en gros plan de celui-ci franchissant une porte laissée ouverte. Le hors champ est tout aussi menaçant, ainsi des couloirs de l'école ou de la maison. L'apparition du spectre est glaçante mais doit en plus ne pas tétaniser pour trouver l'énergie de le fuir avec l'espoir de trouver, hors champs dans un premier temps, une porte ouverte pour s'enfuir.

Cette course épuise le personnage comme le spectateur qui se demande bien souvent s'il va pouvoir supporter sur la durée du film cette menace permanente : le moindre bruit, notamment celui d'un ballon du petit voisin voyeur, fait sursauter.  L'ouverture lui avait révélé le renoncement de la jeune fille, dos à la plage, qui telle la petite chèvre de monsieur Seguin avait sans doute lutté toute la nuit avant d'abandonner. Cette séquence d'ouverture amorcée par un panoramique à 360° est si efficace qu'elle peut laisser penser à un flash-forward : comment en est-on arrivé là ?

De l'enfance à l'adolescence : la peur de la première fois

La menace peut prendre n'importe quelle forme aussi bien d'un inconnu que d'un proche. Dans la première catégorie se trouvent la vieille femme du début, la femme qui perd de l'eau, le géant, le petit garçon qui passe au travers de la porte alors qu'appartiennent à la seconde, la copine sur la plage, la mère de Greg, le père sur le toit. La soif sexuelle des laissés pour compte, des vieux, des moches, en premier lieu celle honnie des parents recherchant un accouplement  obsessionnel et frénétique avec la jeunesse finit par prédominer chez les adolescents. Ce sont ainsi les figures maternelles et paternelles qui finissent par les hanter alors qu'ils avaient pourtant laissé place nette dans leur vie quotidienne. Les adolescents semblent ainsi vivre entre-eux sans parents. Ils semblent en attente de quelque chose d'autre. Cette attente se matérialise dans les scènes de repos : les enfants dorment dans le même lit, se serrent les uns contre les autres à l'hôpital.

Cet effroi et cette attente, c'est celle du passage de l'enfance à l'adolescence avec la perte de confiance dans la protection des parents et la peur majeure de la première expérience sexuelle. Cette thématique est illustrée dès les premières séquences avec Hugh qui désirerait être ce petit garçon du cinéma jouissant pleinement de ce moment de détente avec ses parents. Même adieu à l'innocence de la jeunesse lorsque Jay joue avec les petites fleurs sauvages avant d'être endormie par Hugh. Jay passe aussi du petit bassin de sa piscine personnel au grand bassin de la piscine municipale éprouvant aussi une nouvelle conscience sociale : enfant elle vivait dans l'inconscience d'une ville construite sur deux zones séparées, celle de la bourgeoisie et celle des ouvriers pauvres que ses parents lui interdisaient de fréquenter.

La solution assez banale d'un amour partagé s'inscrit dans la résolution du film : de tout seul à gérer sa peur, on passe à une peur assumée à deux. La métaphore de la sortie de l'enfance est entretenue par une atmosphère de conte intemporel effrayant. Le film se situe entre un avenir indéterminé où existera une liseuse dans un coquillage et un passé matérialisé par les films vus à la télévision : Killers from space (W. Lee Wilder, 1954) et Women of the prehistoric planet ( Arthur C. Pierce, 1966). Prédomine aussi la référence à Halloween (John Carpenter, 1978) notamment par le fait de faire survenir la peur par l'observation au travers d'une fenêtre : l'appartion de la vieille femme prenant ici la place de la voiture du tueur chez Carpenter. Halloween était pourtant plus puritain : seule celle qui ne couchait pas survivait. Ici ce n'est pas le sexe qui est puni. C'est la peur de la première fois qui est ressentie comme une effrayante nécessité.

Jean-Luc Lacuve, le 10/03/2015