Une vie cachée

2019

Genre : Biopic

Cannes 2019 :  en compétition (A Hidden Life). Avec : August Diehl (Franz Jägerstätter), Valerie Pachner (Franziska Jägerstätter), Maria Simon (Resie Schwaninger), Tobias Moretti (Père Ferdinand Fürthauer), Bruno Ganz (Juge Lueben), Matthias Schoenaerts (Capitaine Herder), Karin Neuhäuser (Rosalia Jägerstätter), Ulrich Matthes (Lorenz Schwaninger). 2h53.

Les troupes de la Wehrmacht entrent en Autriche le 12 mars 1938 pour mettre en œuvre l’annexion, dans l'allégresse généralisée.

Sainte-Radegonde, petit village autrichien, à flanc de colline le long de la rivière Salzach, situé à une trentaine de kilomètres au nord de Salzbourg et à une centaine de kilomètres à l’ouest de Linz.

Franz Jägerstätter, paysan autrichien, vit heureux avec sa femme, Fani, et ses trois filles. Il refuse de se battre aux côtés des nazis. Le doute l'assaille quand il réalise que des gens qu’il croyait bien connaître, hébergent une telle haine, ou sont si passifs. Ils ne manquent toutefois pas de se retourner contre lui; ostracisant sa famille et ses enfants. Seul un voisin et le meunier partagent ses convictions.

En février 1943, Jägerstätter est enrôlé dans la Wehrmacht. Il refuse de prononcer le serment à Hitler et est emprisonné. Il pourrait être libéré en suivant les conseils de son avocat, s'il acceptait de servir dans un hôpital. Mais resterait néanmoins le serment que Franz se refuse à prononcer. En juillet 1943, il est condamné à mort. Le président du tribunal militaire après avoir suspendu la séance de jugement, convoque l’accusé dans son bureau pour essayer de le convaincre de renoncer une dernière fois “Avez-vous le droit de faire ça ?” “Ai-je le droit de ne pas le faire ?” lui rétorque Franz. Fani et le prêtre de la paroisse viennent le voir à la prison. Dans l’après-midi du 9 août 1943, il est décapité à la prison de Brandenburg-Görden.

Le film se termine avec la citation de la romancière George Eliot : “Si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu’elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus"

Le film s'ouvre sur les troupes de la Wehrmacht entrant en Autriche le 12 mars 1938 pour mettre en œuvre l’annexion, dans l'allégresse généralisée. Après l’annexion, lors du référendum sur l’Anschluss du 10 avril 1938, 99,7 % des Autrichiens se prononcent en faveur de l’adhésion au Troisième Reich.

Terrence Malick attribue l’idée d’un service non combattant à l’avocat, et articule son rejet par Franz Jägerstätter sur la question du serment à Hitler qu’il refusait de prononcer. Or, le serment de fidélité n’était exigé que des officiers. Franz avait proposé de servir comme ambulancier paramédical sur le front, mais cette demande a été rejetée. En opérant ainsi, Terrence Malick renforce l'immuable position de son personnage aussi imperturbable que les montagnes qui dominent son village.

Franz agit moins par rejet de l'idéologie nazie que par objection de conscience : une guerre qui s'en va attaquer et détruire d'autres pays, d'autres foyers ne peut être juste. Là encore, résonne l'adéquation avec une nature, belle en elle même. Alors que l’ensemble des personnages s’expriment en anglais, les vociférations des nazis se font en allemand non sous-titré, comme s’il s’agissait là d’une langue ne venant pas de notre monde mais d’un autre, purement maléfique et démoniaque.

Le dialogue entre Franz Jägerstätter et le président du tribunal militaire pour essayer de le convaincre de renoncer est probablement inventée. Le contexte, tant du totalitarisme nazi que du mode de fonctionnement des tribunaux militaires en temps de guerre, la rend très peu probable. Mais elle permet à Terrence Malick de faire dire au héros, face à son bourreau, qu’il ne le juge pas mais a décidé envers et contre tout de rester fidèle à son libre arbitre.

Le panthéisme de Malick s'exprime par le bruit du vent caressant les champs de blé autour du village ; la voix off de ses lettres sur l'image de sa femme Fani et de leurs trois petites filles; la caméra qui part en travelling avant plus vite que les personnages. Cela semble bien plus important à Malick que la foi profonde mais résonnée de Franz, béatifié à Vienne par le cardinal Schönborn, primat d’Autriche, le 26 octobre 2007.

L'homme qui travaille sur les fresques de l’église de Radegund, se plaint de son incapacité à dépeindre la souffrance de Jésus au lieu des images plus tranquilles et pacifiques que les ecclésiastiques locaux recherchent. "Un jour, je peindrai le Christ lui-même dit-il". À travers cet artiste, c’est probablement Malick qui s’adresse à nous : sa peinture du vrai, de l'engagement total de l'artiste, prend les traits de Franz.

Jean-Luc Lacuve, le 15 décembre 2019