Douze hommes en colère

1957

(12 angry men). Avec : Henry Fonda (M. Davis, le juré n°8), Martin Balsam (Juré n°1), John Fiedler (Juré n°2), Lee J. Cobb (Juré n°3), E.G. Marshall (Juré n°4). 1h37.

Douze jurés se réunissent dans la salle de délibérations pour décider quel sera le verdict prononcé contre un accusé soupçonné d'avoir tué son père. Un premier vote a lieu. Onze jurés votent "coupable" et un seul "non coupable".

L'accusé risquant la peine de mort, l'unanimité du jury est indispensable. Les jurés sont donc amenés à délibérer entre eux. L'homme qui a voté "non coupable ", le juré n° 8, un architecte, prouve d'abord en sortant un couteau de sa poche que l'accusé n'était pas le seul à posséder un tel couteau, semblable à celui qui a servi à commettre le meurtre. Les jurés votent alors à nouveau. Le résultat : dix bulletins "coupable", deux "non coupable".

Le vieux juré raisonneur s'est rangé à l'avis de l'architecte. Ces deux hommes montrent aux autres jurés à quel point les dépositions des témoins sont peu convaincantes. Les jurés votent : neuf bulletins "coupable", trois "non coupable". Le juré prolétaire est maintenant partisan de l'innocence de l'accusé.

Le juré immigré se range à son tour du côté de l'architecte, suivi par l'ouvrier consciencieux et le petit fonctionnaire. Le vote : six contre six. Peu à peu, chacun des jurés favorables à la culpabilité change de camp, y compris le plus farouche, le patron capitaliste. A l'unanimité, le jury déclare l'accusé innocent.

Douze hommes en colère n’est pas un plaidoyer immédiat contre la peine de mort. Mais le film pose l’une des pierres à l’interminable édifice de l’abolition : comment douze jurés tirés au sort, qui ne connaissent pas l’accusé, à qui l’on n’a donné qu’une vision souvent partielle des faits et qui n’ont pas directement assisté à la scène, peuvent-ils déclarer qu’un homme mérite d’aller mourir sur une chaise électrique ? Comment peut-on être certain de la culpabilité ou même de l’innocence d’un homme (cette dernière ne sera d’ailleurs jamais prouvée dans le film) ? Si le film analyse le fonctionnement de la justice, il est pour sa plus grande un film de détectives. : chacune des pièces de l’accusation, un couteau, des témoignages, le plan d’un appartement, va être passé au crible par le jury, dans le désordre des souvenirs de chacun.

Faiblesse du jugement humain

Douze hommes en colère est célèbre pour son huis clos qui se déroule dans une pièce exigüe de délibération d’un jury dans un tribunal et les toilettes attenantes. Seul le plan d'ouverture et la brève séquence finale se déroulent à l’extérieur du décor principal. Le jury retenu est aussi un condensé de l'Amérique : chacun des jurés est désigné par un numéro : on ne connaît le nom d’aucun d’entre eux. Tous ont pourtant une individualité, une profession et un discours. Que l’un d’entre eux soit profondément raciste, un autre d’origine immigrée, ou qu’un autre encore n’ait pas vu son jeune fils depuis deux ans prend petit à petit de son importance.

La tension est accentuée par deux aspects : d’abord, la chaleur du "jour le plus chaud de l’année". Tous les jurés transpirent, se plaignent, veulent en finir. La plupart votent coupable pour pouvoir s’en aller le plus vite possible. Le ventilateur qui fonctionne trop faiblement apparaît souvent en arrière-plan, comme le rappel mortifiant qu’un homme pourrait mourir simplement parce qu’à la date de son procès, il faisait trop chaud.

Sidney Lumet pose cette question : est-il possible de rendre une décision véritablement juste, c’est-à-dire totalement extérieure à des considérations professionnelles et personnelles ? C’est tout le sens de ces apartés entre les jurés, qui, lorsque les débats s’éternisent ou semblent bloqués, lient connaissance, parlent de leur vie, de leur parcours ou de leur éducation. Chacun des douze jurés est représentatif d’une certaine Amérique. Pas de femmes, encore moins de minorités (et pourtant, ces Blancs vont statuer sur le sort d’un homme de couleur, détail également important), mais des classes sociales et des origines différentes.

Sidney Lumet rend d’abord hommage à la justice de son pays, qui n’autorise l’envoi d’un homme à la mort que s’il est unanimement déclaré coupable. Le système du " doute légitime" et de la nécessité pour l’accusation de prouver la culpabilité de l’accusé (à l’inverse d’autres systèmes où c’est à la défense de prouver l’innocence), n’est pas remis en cause. Ce que Sidney Lumet attaque en profondeur n’a pas grand-chose à voir avec les lois, mais avec ce qui les entourent : comme, par exemple, l’incompétence d’un avocat commis d’office, non convaincu de l’innocence d’un "client" trop pauvre pour rémunérer un meilleur défenseur...

Un habile suspense

Pour réussir un huis clos, il faut être un maître absolu du suspense : quand Henry Fonda se lève, seul contre tous, et subit la colère des autres jurés, il est difficile d’imaginer comment il arrivera à tous les convaincre. Il est d'ailleurs prêt à céder si, dans le second vote, il continue d'être le seul à s'obstiner. Le doute légitime n'augmente qu'avec la preuve des incohérences dans l’accusation. Comme il l’explique, il lui semble d’abord juste d’accorder quelques minutes de réflexion en plus à la vie de cet adolescent, ne serait-ce que par respect pour sa jeunesse. C'est ensuite le doute légitime qui l'incite à voter non coupable. Le doute est venu en trouvant l'enchainement trop parfait. Il lui a suffit de vérifier que le couteau prétendument unique et reconnaissable du jeune homme était en réalité un banal couteau de combat, certes illégal mais vendu facilement sous le manteau pour six dollars dans une boutique de prêt sur gages.

Le suspense haletant, où la vie d’un adolescent tient en ces deux mots répétés douze fois : « not guilty » (non coupable) est habilement construit. Les jurés vont devoir retracer tout le procès, et trouver de quoi remettre en cause l'accusation. Et des failles s'accumulent : le viel homme ne pouvait atteindre la porte en 15 secondes. L'architecte montera, reconstitution à l'appui qu'il lui en fallait 41. Le témoin oculaire dit avoir vu la scène depuis son lit, par la fenêtre, alors qu'il n'avait pas ses lunettes. Le témoin auditif dit avoir entendu le corps tomber et le garçon crier « Je vais te tuer », alors que le bruit du métro ne permettait pas d'entendre.

Toutes ces failles et ces contradictions permettent au juré numéro huit, grâce à son éloquence, de renverser les convictions des autres jurés un par un, situation qui sert de révélateur des motivations et des préjugés d'hommes issus de milieux différents.