Voyages en Italie

2022

Thème : autofiction

Avec : Philippe Katerine (Jean-Philippe), Sophie Letourneur (Sophie). 1h31.

Sophie et Jean-Philippe vivent à Paris. Ils ont un jeune fils ensemble mais leur couple ne sait comment affronter la routine qui menace. Sophie souhaite partir quatre jours pour rompre ce que leur ordinaire a de trop ordinaire. Jean-Philippe pense que ce n'est pas une solution à la crise de leur couple : si elle se trouve dans l'ordinaire, c'est dans l'ordinaire qu'il faut la résoudre et pas dans l'extraordinaire.

Si Jean-Philippe devait partir ce serait pour l'Italie qu'il connaît bien mais Sophie n'est pas de cet avis. Il y est déjà allé avec toutes ses ex... L'Espagne ? Les sentiers de l'Aubrac ? Ce sera finalement la Sicile – car selon lui, ce n’est pas tout à fait l'Italie. Mais, même une fois la destination choisie, Jean-Philippe fait de la résistance, prétextant le chagrin de leur jeune fils de les voir partir ou la brièveté de ce voyage. Il se foule même la cheville deux jours avant le départ l'obligeant à partir avec une attelle.

Ils débarquent à Catane et dégustent les pâtisseries locales. A Agrigente, ils parcourent la vallée des rois. Faut-il aller à Syracuse ou se diriger vers Stromboli et Vulcano se demandent-ils? Ils veulent aller sur les grandes falaises blanches de la "Scala dei Turchi" mais un portail en interdit l'accès. A Taormina, ils apprécient l'hôtel avec piscine. Ils prennent le bateau pour Vulcano. Sophie laisse les clés de la voiture à un gardien de parking et Jean-Philippe, angoissé comme toujours, est persuadé qu'ils ne retrouveront pas leur voiture. Ils font du scooter, hésitent à en prendre deux pour être plus libres ou un seul pour être ensemble. C'est Sophie qui conduit leur scooter. L'ascension débute et ils découvrent ce qui n'est qu'un trou pour Jean-Philippe ; Sophie a le vertige, elle demande du secours à deux jeunes hommes pour descendre.

Ils sont revenus et commentent leur voyage; c'était bien. Les souvenirs s'entremêlent. Enregistrés au dictaphone, ils serviront de base au prochain film de Sophie. Ils étaient retournés gravir la pente raide de Vulcano quand Jean-Philippe avait reproché son vertige à Sophie. Certes, ils n'ont vu que de loin les deux jeunes amoureux sur les grandes falaises blanches de la "Scala dei Turchi". Ils s'étaient interrogés : par quelle technique le corps embaumé de Rosalia Lombardo, enfant d'à peine deux ans, est-il conservé aux catacombes capucines de Palerme ? Ils avaient fait l'amour amoureusement et tendrement, sans doute le dernier soir à Palerme.

Plus tard, ils retourneront en Sicile avec Raoul.

Voyages en Italie est un hommage aux films mi-documentaire, mi-fiction de Roberto Rossellini réalisés avec Ingrid Bergman ; Voyage en Italie (1954) et Stromboli (1950) notamment, cités dans le film. Jean-Philippe a vu le premier mais ne se souvient pas de la fin. Le miracle de la réconciliation a lieu chez Rossellini lors d'une scène finale, presque par miracle lors d'une procession religieuse au sein d'une foule. Et c'est bien aussi ici d'une réconciliation in fine qu'il s'agit. Les conditions en sont plus modernes. La réconciliation n'est pas un enlacement mais une scène d'amour racontée rétrospectivement, dans le quotidien du lit conjugal, en se souvenant du voyage. Cette réconciliation, au retour à Paris, sera-elle durable ? La dédicace finale, qui signale l'autofiction, n'incite pas forcément à l'optimisme.

L'ordinaire du touriste dans l'extraordinaire du voyage

Sophie suit le Guide du routard et ne rechigne pas à assumer son rôle de touriste. Jean-Philippe reste critique sur presque tout, même s'il se plie de bonne grâce aux initiatives de sa compagne. Ce duo de personnages dissemblables (l'énergique et l'hésitant) est forcément comique.

Jean-Philippe finit par trouver beaux, noirs, et ressemblant assez peu à d’autres cailloux, les cailloux du volcan une fois un peu nettoyés. Il prolonge le bain à Taormina. Ils écoutent Juste une mise au point en voiture et échangent un "Je t’aime" sur Jakie Quartz. Si tel hôtel peut paraître trop cher ou ne correspondant pas au guide, au moins ils s'en accommodent, s'y trouvent bien et le reprennent pour une nuit supplémentaire.

L'extraordinaire dans l'ordinaire

C'est pourtant la perte du désir qui est annoncé comme le sujet principal du film à commencer par le sexe du David de Michel Ange qui vient se positionner sur le titre Voyages en Italie. Jean-Philippe parle des "crashes sur Zizijet" ou Sophie se brûle sur le sexe de la statue de bronze d'Agrigente. Un plan s'attarde longuement sur l'inscription "bibite". Le sexe de Philippe Katerine est entraperçu sous les draps. Est aussi conviée toute la symbolique du volcan éteint "qui peut se réveiller à tout moment" et qui n’émet plus que des fumerolles de souffre odorantes… Avec au loin Stromboli, inaccessible, et son "éruption toutes les 20 minutes".

Sophie et Jean-Philippe semblent d'abord ne pas avoir fait l'amour en vacances (la nuisette remplacée par le pull quand Jean-Philippe se déclare fatigué). Au trois-quart du récit, le voyage se fait sur le mode du souvenir. La fin du voyage, la dernière nuit sans doute, celle où le désir s'est rallumé, est racontée rétrospectivement, remémorée depuis le lit conjugal. En se remémorant ensemble ce voyage, la complicité renaît dans le quotidien.

Au final, il y a sans doute cette idée que voyages et quotidien sont nécessaires. Alors seulement on peut trouver à la fois l'ordinaire dans l’extraordinaire et l'extraordinaire dans l’ordinaire.

Le cinéma, une autre façon de sublimer l'ordinaire

Sophie Letourneur pousse très loin l'autofiction. Celle-ci se révèle avec la dédicace finale "Au père de mes enfants". Le dossier de presse signale aussi, qu'au commencement, il y a eu un vrai voyage en 2016 aux mêmes endroits que dans le film et surtout avec les mêmes enjeux (…) Sophie Letourneur a voulu faire le récit, une comédie burlesque, inspirée par son couple. En le vivant, certaines scènes ou certaines phrases retenaient son attention qu'elle notait sur des pages volantes arrachées à la fin du Guide du routard (... ) Une fois de retour à la maison, elle demande à son compagnon d’enregistrer avec elle au dictaphone un récit du voyage où ils se remémorent ce qu'ils ont vécu dans les moindres détails.

"Le film est partie de cette matière : notes et enregistrement. Cependant pour les dialogues écrits au millimètre un important travail de réécriture via des heures de séances d’improvisation très dirigées, puis le montage sonore de ces improvisations sont nécessaires et deviennent l’écriture du scénario dialogué".

Sophie Letourneur déclare aussi "quand on arrive au tournage, cinq ans après les « faits », cette matière a beaucoup mûri pour trouver sa forme et son universalité. Ça ne m’intéresserait pas du tout de simplement recréer des choses que j’ai vécues pour les mettre dans un film. Il y a une étape importante où je réalise une sorte de maquette du film : séquence après séquence, on jouait les scènes avec mes collaborateurs Laetitia Goffi et François Labarthe, que je vais par exemple mettre ensemble au lit pour faire du playback sur la bande-son déjà montée des dialogues des deux personnages, pendant que je cherche à la caméra des plans qui me plaisent (...) Puis, toujours avec Laetitia et François, on part en Sicile et on « tourne » entre nous en doublure toutes les scènes du film, avec les dialogues au cordeau issus du travail d’écriture à partir des improvisations. Tout dépend qui filme mais on fait tourner les rôles, on filme aussi des détails, des plans « subjectifs ». Cela sert en même temps de repérages, de casting, etc. C’est là aussi que je me rends compte intuitivement que j’aimerais filmer telle situation de plus loin, avec des zooms, ou telle composition qui crée à la fois du burlesque et du sens, au-delà des mots, qui vont nourrir la grammaire du film. Au retour, une fois qu’on a filmé toutes les scènes, on monte une maquette du film, qui produit un objet d’étude et me permet de couper, d’affiner le scénario. Elle devient non seulement la bande son qu’on aura dans les oreillettes mais la base du travail avec Philippe Katerine et le chef opérateur Jonathan Ricquebourg. Certains plans de la maquette ont même atterri dans le film (un Italien dans la rue à Catane, un capitaine de bateau à Milazzo...)"

Il est en effet probable que la réconciliation qui a lieu à Paris ne suffira pas à cimenter durablement le couple. C'est en tous les cas ce que laisse supposer la volonté de Sophie Letourneur de compléter ce film pour en faire une trilogie en annonçant les deux prochains opus : Vacances romaines et Divorce à l'Italienne. Il reste ainsi à l'art, au cinéma, de sublimer pour un moment d'éternité ce que la vie réelle à de changeant et d'imparfait.

Jean-Luc Lacuve, le 4 avril 2023.

Source : Dossier de presse