House by the river

1950

Voir : Photogrammes
Genre : Film noir

Avec : Louis Hayward (Stephen Byrne), Lee Bowman (John Byrne) Jane Wyatt (Marjorie Byrne). 1h28.

dvd

La fin de l'ère victorienne. Le romancier Stephen Byrne vit dans une villa de style rococo proche d'un fleuve marécageux charriant toutes sortes de débris et d'épaves noirâtres qui font le désespoir de sa voisine Mrs Ambrose. Il est fréquent que les manuscrits de Byrne lui soient renvoyés par les éditeurs et l'écrivain dissimules ses frustrations sous un charme un peu fuyant et une élégance faussement décontractée.

Un soir, en l'absence de sa femme Marjorie, il tente de violer leur servante Emily, et comme elle se débat, il l'étrangle. Son frère John arrive sur ces entrefaites et tente de convaincre Stephen de se rendre à la police. Mais c'est Stephen qui persuade au contraire John de l'aider à jeter à la rivière le corps de la jeune femme enfermé dans un sac de jute. Pour accréditer la version de la fugue, Stephen fait aussi disparaître des vêtements et une paire de boucles d'oreilles appartenant à Marjorie.

Puis il se sert du scandale consécutif à la disparition d'Emily pour promouvoir ses oeuvres et commence à écrire un roman inspiré de sa propre expérience. Quelques jours plus tard, le cadavre est repêché. Après un moment de panique, Stephen est soulagé d'apprendre que le sac qui le contenait appartient à son frère et que le nom de ce dernier est marqué dessus. Lors du procès, John est accablé par sa gouvernante Flora Bantam, vieille fille jalouse et possessive. De son côté, Stephen laisse habilement planer le doute sur l'éventuelle culpabilité de John. Seule leur voisine, Mrs Ambrose, apporte un témoignage favorable. Le juge conclut à un non-lieu

John, victime de la rumeur publique, s'isole de plus en plus et ne se pardonne pas d'avoir aidé à maquiller un meurtre. Sa seule consolation lui vient de Marjorie, que son mari délaisse. Lorsque John annonce à Stephen sa décision de tout avouer à la police, celui-ci met au point une machination : il cache chez son frère les boucles d'oreilles soi-disant volées par Emily, puis il l'assomme et le jette à l'eau afin de faire croire à un suicide. Il rentre alors chez lui, décidé à assassiner Marjorie et à en faire porter la responsabilité à John. Mais tandis qu'il essaie d'étrangler sa femme, John reparaît miraculeusement et c'est Stephen qui, dans la folie qui le gagne, fera une chute mortelle dans l'escalier.

Ce petit film au budget modeste fut longtemps ignoré. Jamais distribué en France, mais connu de longue date des cinéphiles et passé tardivement à la télévision (1979 puis 2004), il clôt brillamment la série des trois films explicitement psychanalytiques dont les deux premiers opus sont La femme au portrait et Le secret derrière la porte.

Stephen Byrne est une âme tourmentée, affectée en l'occurrence d'un fort coefficient négatif et maléfique. Nul doute que sous son urbanité petite bourgeoise, Stephen Byrne n'appartienne à a race de M. le Maudit : il y a en lui cette petite dose de perversité, de paranoïa, de mégalomanie, de violence incontrôlée, suffisante pour créer un monstre. Et son côté M. tout le monde, par quoi Lang affirme une fois de plus sa croyance en la culpabilité de chaque homme, rend le personnage encore plus vertigineux.

Maîtrisant comme à son habitude le décor, l'atmosphère, la lumière, Lang utilise l'aspect ici claustrophobique et onirique de ces trois éléments pour acculer le personnage de Byrne à délivrer sa plus intime vérité. Possesseur d'une lucidité factice dépourvue de morale, il est tourmenté par le remords celui-ci contaminant l'espace domestique puis l'univers entier. Lorsque enfin le remords pénètre l'espace intime figuré par le roman "Mort sur le fleuve" Stephen, succombe à une folie suicidaire.

Le remords jusqu'à la folie

Emily
puis Marjorie

Des qu'il revient à la maison après avoir fait disparaître le cadavre, Stephen répète le même geste incrédule de se regarder dans la glace. Un bruit et une ombre surgissent de l'escalier. Stephen prend sa femme Marjorie pour Emily lorsque comme elle son ombre apparaît dans l'embrasure de la porte et puis que ses jambes dénudées sous le peignoir descendant les escaliers.

Emily
puis Marjorie

Dans la chambre ensuite, du miroir à main de Marjorie surgir l'éclair-poisson identique à celui qui surgit lorsqu'il jeta le corps d'Emily dans le fleuve. Ce poisson éclair, flash mental, empêche l'élan de tendresse qui le poussait vers sa femme. Celle-ci et bientôt l'ensemble de son entourage sont désormais contaminés par la faute.

le poisson-éclair du fleuve
refait surface dans la chambre

Stephen délaisse Marjorie et s'investit dans l'écriture du roman devenu pour lui le seul lieu de la vérité et l'espace plus confiné et claustrophobique encore (irritabilité de Stephen lorsqu'on lui demande de sortir de l'écriture roman, que Marjorie essaie de lire et emmené partout même sur la barque à la poursuite du cadavre). Finalement sortie de sa cachette par Stephen qui cherchait dans un tiroir à double fonds les boucles d'oreilles destinées à accabler John, il devient l'instrument du crime puisque Marjorie l'ayant découvert, il doit la supprimer.

Auparavant l'espace du cauchemar s'était étendu à la dimension du fleuve avec la séquence de la recherche du cadavre allant et venant au grès de la marée. Au fond d'une eau de plus en plus sombre, Stephen confondait les cheveux du cadavre avec les algues et son corps avec les troncs d'arbre.

Les saletés charriées par le fleuve

Cette confusion se répand ensuite dans la maison avec ses rideaux flottants au grès des portes ouvertes. Finalement une surimpression sur l'un d'eux puis un nouveau courant d'air qui le fait flotter près de son cou seront l'instrument du destin.

les rideaux qui flottent entraînent Stephen dans la mort

Une pulsion sexuelle déstructurante

Chez Lang la sexualité et l'érotisme sont des pulsions puissantes selon ses termes : "J'en suis venu à la conclusion que l'esprit de chaque homme cache une pulsion latente pour le crime". Les premières séquences sont basées sur l'élan érotique qui pousse Stephen Byrne vers la servante. Il parait d'abord lucide et maître de lui dans la première séquence. Il déclare à Mme Ambrose qui lui dit haïr le fleuve pour ce qu'il charrie de saletés que "La saleté vient des gens pas du fleuve ". Il délivre ensuite le scarabée qui se promenait sur la page de son roman qu'il sait pourtant mauvais.

Mais la mécanique du désir est enclenchée dès l'arrive d'Emily dans la profondeur de champ et surtout des le regard de Stephen sur la fenêtre de l'étage qui s'éclaire lorsque Emily y pénètre. Ce plan est réaliste : Stephen regarde le fenêtre qui s'éclaire.

vers l'objet du désir : un regard conscient

Il se retourne alors vers sa page qu'il rature. Il se balance sur sa chaise et secouant l'encre de son stylo. Lang insère alors, dans le dos de Stephen, un gros plan de la fenêtre qui ne peut être lu cette fois que comme un flash mental. Celui-ci suggère très explicitement que Stephen pense au corps d'Emily. La fenêtre est vue cette fois d'assez près pour que l'on distingue le dessin du vitrail qui ressemble fort à un pénis en érection.

un inconscient qui travaille

Ce désir qui relie deux espaces séparés, Lang le figure aussi par le double mouvement de l'eau de la baignoire qui s'écoule et dont Stephen écoute la descente dans la gouttière lorsqu'il passe à proximité.

deux espaces maintenant reliés

Son regard s'élançant alors de celle-ci pour atteindre la fenêtre-penis cette fois dans un regard conscient.

pour lancer la machine folle du désir

Lang se gardera ensuite durant toute la durée du film de faire figurer l'étage de la maison vu de l'extérieur et sa fameuse fenêtre. La frustration morale et sexuelle va se retourner en meurtre et transformer en assassin le sympathique écrivain. Nulle nécessité extérieure dans le crime de Stephen. Emily réussit presque à s'échapper au pied de l'escalier mais est rattrapée par Stephen qui a respiré le parfum dont elle s'était ingénument parée. Un peu plus tard, il serre le cou d'Emily car il voit Mme Ambrose s'approcher mais celle ci n'avait rien entendu. Elle cherchait seulement son rouleau de cordes devant le portail. Dans le monde expressionniste de Lang, il suffit d'un rien pour que le drame s'enclenche.

retenue pour un parfum, étranglée à cause d'un rouleau de cordes abandonné

Jean-Luc Lacuve, le 20/05/2007

Bibliographie : Dictionnaire du cinéma de Jacques Lourcelles

Test du DVD

Editeur : Wild Side Video, mai 2007.

Alalyse du DVD

Suppléments : DVD 2 (75') : Fritz Lang par William Friedkin. Le célèbre réalisateur s'entretient avec le maître (47' - N&B - 1975). Entretien avec Pierre Rissient (critique) (13'). Entretien avec Patrick Brion (13'). Galerie photos.