Un pigeon survole la ville. Ghost Dog lit en voix off L'Hagakure : le livre secret des samouraïs (XVIIIe siècle) dans une cabane perchée sur le toit d'un immeuble abandonné, au milieu des oiseaux :
"La voie du samouraï se trouve dans la mort. Il faut méditer chaque jour sur la mort inévitable. Chaque jour, le corps et l'esprit en paix on doit méditer sur la mort : déchiré par les flèches, les balles, les lances et les épées... Chaque jour sans exception on doit se considérer comme mort. Telle est en substance, la voie du samouraï."
A l'image, une table sur laquelle sont posés des livres, une statuette, une bougie allumée, un portrait photographique encadré et accroché sur un mur tapissé de papier journal et des armes à feu, des armes blanches et des appareils électroniques : Ghost Dog est un tueur professionnel.
Il se fond dans la nuit et se glisse dans la ville. Il dérobe une voiture à grosse cylindrée grâce à son appareillage électronique. Il se rend chez Handsome Frank qu'il doit abattre car il a fait sa maîtresse de Louise, la fille de Vargo, le patron local de la maffia. Frank est assis à regarder un dessin animé de Betty Boop capturant des oiseaux alors que Louise, affalée dans un canapé, invisible aux yeux de Ghost Dog, lit Rashomon. L'arme infra rouge de Ghost dog pointe le cœur de Frank. Il est abattu de deux balles au cœur et d'une balle dans la tête. Ghost dog découvre alors Louise qui a jeté son livre à terre. Ghost Dog le ramasse, échange avec Louise deux phrases sur la littérature japonaise et disparaît.
Dans le parc, il rencontre Pearline, une enfant d'une douzaine d'années qui porte constamment sur elle un petit cartable de livres. Ghost Dog l'apprivoise en discutant de leurs lectures et en désignant Raymond, le glacier du parc, comme son meilleur ami. Celui-ci fraîchement arrivé d'Haïti ne parle que le français mais confirme que Ghost dog est son meilleur ami.
Vargo est mécontent. Sa fille n'aurait jamais dû assister à l'exécution de Handsome Frank. Pour cette erreur, il exige de Sonny, son bras droit, la mort du tueur. Sonny convoque Louie, le mafieux minable, qui a engagé Ghost Dog.
Celui-ci explique que Ghost dog a été victime d'une agression huit ans auparavant, agression dont il l'a sauvé par son intervention. Quatre ans plus tard, Ghost Dog est venu lui proposer ses services en se désignant comme son vassal.
Louie voudrait protéger Ghost Dog mais il livre celui-ci. Des tueurs, trop gros, trop lourds, grimpent sur les toits pour abattre Ghost Dog mais ne trouvent qu'un Indien venu nourrir les pigeons. La seconde fois, ils abattent un noir innocent.
Ghost Dog, retrouvant sa cabane saccagée, décide d'éliminer Vargo et sa bande. Il se rend dans leur propriété et abat un à un les tueurs n'épargnant encore une fois que Louie et Louise.
Sur le chemin du retour, il tire sur deux chasseurs en 4x4 qui avaient abattu un ours par cupidité.
Cette nuit-là, Ghost Dog tue Sonny Valerio chez lui en lui tirant dessus à travers le tuyau d'évacuation de son lavabo. Ghost Dog s'attend à ce que Louie l'attaque (car il sent que Louie est obligé de venger le meurtre de son patron, Vargo). Il va au parc et donne à Raymond tout son argent, l'aidant à rester dans le pays. Pearline apparaît et rend Rashōmon à Ghost Dog, disant qu'elle l'a aimé. Ghost Dog donne à Pearline son exemplaire de Hagakure et l'encourage à le lire.
Bien que Louie ressente une certaine loyauté envers Ghost Dog, il décide de venir l'affronter au stand de crème glacée de Raymond sous les yeux de celui-ci et Pearline. Ghost Dog ne veut pas attaquer son maître et permet à Louie de le tuer. Son dernier acte est de donner à Louie la copie de Rashōmon et de l'encourager à le lire. Pearline prend le pistolet vide de Ghost Dog et vise Louie alors qu'il s'enfuit. Ghost Dog meurt paisiblement avec Raymond et Pearline à ses côtés; Louie monte dans une voiture avec la fille de Vargo (qui a maintenant remplacé son père en tant que patron). Plus tard, Pearline lit le Hagakure.
Qu'il s'agisse du cousin hongrois à la recherche d'un endroit où vivre dans Stranger than paradise, du forçat italien s'échappant par les bayous de Louisiane dans Down by law ou des joyeux touristes japonais rendant hommage à Elvis dans Mystery Train, l'Amérique est pour Jarmusch le lieu du "melting pot" et c'est particulièrement exacerbé dans Ghost Dog : un kaléidoscope de cultures, de genres, de langues et de récits, chacun se transformant en permanence en quelque chose de nouveau.
Melting pot des cultures
Ghost Dog est un personnage noir, qui vient de la ville, mais il suit le code d’un autre pays, d’un autre siècle. L'inspiration centrale est le Hagakure, code d’honneur des guerriers japonais rédigé au XVIIIe siècle que le Ghost Dog trimballe en permanence et dont on retrouve des extraits en carton à l’écran. Autre inspiration , Bushidō, l'âme du Japon de Inazō Nitobe (1862-1933) paru en 1900 présentant les sept grandes vertus confucéennes, associées au bushidô : Droiture - Courage - Bienveillance - Politesse - Sincérité - Honneur - Loyauté. -Ghost Dog utilise des armes à feu dans son travail, mais il les traite comme un samouraï aurait traité une épée. Il fait tout de manière très délibéré, ses actions sont une extension de lui-même, comme avec les arts martiaux. Ghost Dog fait face à son ultime conflit, non pas avec la mort, mais avec lui-même, entre son identité de guerrier et son dévouement à un code qui insiste sur le fait que la loyauté passe avant la survie.Don Quichotte à la fois vulnérable, mélancolique, et fort, physiquement comme spirituellement, Ghost dog est la fusion de la douceur et de la violence, un guerrier solitaire, sorte de cow-boy moderne et philosophe. Dans ce réseau complexe de relations entre les personnages. Ghost Dog se choisit Louise et Louie comme anges tutélaires. Il se sacrifie pour que l'une et l'autre se débarrassent de Vargo, père encombrant et trouvent peut-être leur voie. A Raymond, il ne peut transmettre que son costume. Mais Pearline lira l'Hagakure... Peut-être un moyen d'échapper à sa condition, celle de ménagère condamnée au linge comme sa mère, derrière elle lors de la dernière séquence.
Autre incarnation du choc des cultures, les échanges de Ghost Dog et de son meilleur ami, un vendeur de glaces haïtien qui ne parle que français. Jarmusch n’a volontairement pas fait sous-titrer les dialogues de Raymond le glacier, laissant le spectateur dans la même incompréhension que Ghost Dog. Seul un public francophone a le privilège de saisir l’intégralité de leurs conversations. À noter que dans la version doublée en français, le glacier parle yoruba, pour préserver ce jeu entre les deux hommes qui, malgré la barrière de la langue, sont sur la même longueur d’onde. Dans Ghost Dog, les glaces, les livres ou les pigeons, sont autant de moyens bien plus efficaces pour communiquer que les mots.
Le cinéaste se permet même un clin d'œil à Dead man lorsque les bandits à la recherche de Ghost Dog se retrouvent sur un toit où habite un Indien Cayuga. Cet homme qui partage au fond la même communauté de destin que le tueur à africo-américain est joué par Gary Farmer qui incarnait Nobody et qui prononce la même phrase : "Stupid fucking white man". Vers la fin du film, Ghost Dog croise également la route de deux chasseurs peinturlurés qui viennent d'abattre un ours. Le ton monte assez vite avec les deux rednecks bas du front et offre encore une fois l'image d'hommes blancs prêts à tout détruire pour marquer leur territoire: les Indiens, les noirs (la comparaison est souvent faite par les mafieux) et les animaux (auxquels Ghost dog reste toujours très attaché).
Même les mafieux italiens ne travaillent même plus dans un restaurant italien; c'est un restaurant chinois. Vu des multiples voitures que le protagoniste vole, le monde défile, les quartiers, les magasins et les panneaux d'affichage se brouillent tous sur la bande originale de l'artiste hip-hop et compositeur RZA.
Melting pot des genres cinématographiques
Le genre du film est, comme le définit Jarmusch, "un western de gangsters samouraï hip-hop oriental". C'est un western avec ses traques, duels et effusions de sang. C'est un film de tueur à gages truffé de références, dont Le samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967). On y retrouve le personnage du tueur à gages solitaire dont la seule compagnie est celle des oiseaux, qui par ailleurs alertent de l’intrusion de l’ennemi ainsi que le duel final avec une arme non chargée. Jarmusch cite également La marque du tueur (Seijun Suzuki, 1967), film si décalé qu’il a valu à son réalisateur d’être persona non grata des studios japonais pendant dix ans. Là aussi, oiseaux et papillons sont présents. C'est un papillon, et non un oiseau, qui se pose sur le canon du fusil du tueur. On y touve aussi un assassinat au travers du tuyau d'un lavabo. La présence du recueil de nouvelles Rashomon de Ryunosuke Akutagawa dont certaines ont inspiré le célèbre film éponyme de Kurosawa, renvoie également à l'univers des samouraïs développé dans Sanjuro ou Les sept samouraïs. Le film évoque aussi les tueurs à gages de Takeshi Kitano, Sonatine (1993) et Aniki, mon frère (2000). Le film renvoie aussi à la séduction et la violence débridée de dessins animés (Betty Boop, Itchy et Scratchy, Woody Woodpecker…) au cœur même des scènes d’action ; au destin sans espoir de Lee Marvin dans Le point de non retour (John Boorman, 1967).
Pour réaliser son film, Jarmusch a eu toute liberté car il a obtenu un financement en dehors des États-Unis ; au Japon (JVC), en France (Bac et Canal Plus) et en Allemagne (Pandora). Le film n'étant pas à gros budget, il a obtenu un contrôle artistique complet.
Jean-Luc Lacuve, le 19 janvier 2023
Sources :