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La maison du docteur Edwardes

1945

Voir : photogrammes, thème musical, jeu des paires
Genre : Film noir

(Spellbound) Scénario : Ben Hecht d'après le roman de Francis Beeding. Séquence du rêve : décors de Salvador Dali filmé par William Cameron Mandiez. Avec : Ingrid Bergman (Docteur Constance Peterson), Gregory Peck (John Ballantine), Leo G. Caroll (Le docteur Murchison), Michael Chewkov (le professeur), Rhonda Fleming (Mary Carmichel). 1h51.

Constance Peterson est médecin dans un asile d'aliénés. Le directeur de l'asile, le docteur Murchison étant mis à la retraite, on attend l'arrivée de son successeur, le docteur Edwardes. Constance tombe amoureuse de celui que tous prennent pour le docteur Edwardes avant de comprendre qu'il s'agit d'un usurpateur souffrant d'amnésie. Quand il prend conscience de cette amnésie, le faux docteur croit avoir tué le docteur Edwardes et s'enfuit de la clinique.

Constance parvient à le retrouver et à le cacher à la police chez son vieux professeur qui va analyser les rêves du malade et mettre à jour son complexe de culpabilité. Le faux Edwardes s'est toujours cru responsable de la mort de son jeune frère survenue au cours d'un jeu d'enfants et le docteur Edwardes est mort d'une façon identique mais tué en réalité par l'ancien directeur de l'asile, le docteur Murchison, qui sera démasqué à la fin.

Il est de bon ton de mépriser le traitement de la psychanalyse par Hollywood en général et par Hitchcock en particulier. C'est oublier un peu vite que l'école américaine de psychanalyse a profité rapidement des enseignements de Freud et qu'elle est très en vogue parmi les intellectuels " Quand je suis rentré à Hollywood, Ben Hecht a été recruté et c'était un choix heureux parce qu'il était justement très porté vers la psychanalyse (...) Je voulais tourner le premier film de psychanalyse (….) et j'ai travaillé avec Ben Hecht qui consultait fréquemment des psychanalystes célèbres". L'analyste de Zelznick est aussi crédité comme conseillé technique.

Quant au traitement de la cure racontée dans le film, c'est une vulgarisation assez convaincante d'une amnésie liée à un complexe de culpabilité. L'amnésique, dit Freud, n'agit pas en contradiction avec son caractère. L'être humain fuit la vérité car il a peur de souffrir mais il souffre encore plus en essayant d'oublier. Les rêves révèlent ce que l'on essaie de cacher mais ces rêves sont embrouillés comme un puzzle. Le devoir de l'analyste est d'examiner ce puzzle et d'essayer de le remettre en place afin de découvrir le message envoyé par le subconscient. La psychanalyse permet de démêler le vrai des mélanges opérés par l'esprit. Elle permet ainsi et de se libérer de la culpabilité car si "la faute n'est pas dans les étoiles mais en nous" comme l'indique la citation de Shakespeare qui ouvre le film, il est possible d'en relativiser la part. L'imprudence et le souhait inconscient ne sont que des fautes mineures face au hasard malheureux.

Hitchcock tout en suivant ce canevas ne manque pas d'y apporter son habituel humour misogyne : "Des jeunes mariés il n'y a rien de plus beau : pas encore de psychose, d'agressivité, de complexe …Ayez des "babies" et pas de phobies…. Les femmes sont les meilleures psychanalystes jusqu'au moment où elles aiment, après, elles sont les meilleures patientes…. Une femme amoureuse est au plus bas de son niveau intellectuel… "


Hitchcock a également voulu la collaboration avec Salvador Dali.

"Quand nous sommes arrivés aux séquences de rêve, j'ai voulu absolument rompre avec la tradition des rêves de cinéma qui sont habituellement brumeux et confus, avec l'écran qui tremble, etc. J'ai demandé à Selznick de s'assurer la collaboration de Salvador Dali. Selznick a accepté mais je suis convaincu qu'il a pensé que je voulais Dali à cause de la publicité que cela nous ferait. La seule raison était ma volonté d'obtenir des rêves très visuels avec des traits aigus et clairs, dans une image plus claire que celle du film justement. Je voulais Dali à cause de l'aspect aigu de son architecture - Chirico est très semblable - les longues ombres, l'infini des distances, les lignes qui convergent vers la perspective… les visages sans forme…
Naturellement, Dali a inventé des choses assez étranges qu'il n'a pas été possible de réaliser.. J'étais anxieux parce que la production ne voulait pas faire certaines dépenses. J'aurais voulu tourner les rêves de Dali en extérieurs afin que tout soit inondé de lumière et devienne terriblement aigu, mais on m'a refusé cela et j'ai du tourner en studio."

Cette collaboration, humainement fructueuse pour les deux artistes, est donc un échec esthétique pour Hitchcock qui sera contraint de fractionner le rêve en quatre parties pour n'obtenir qu'une partie de ce qu'il souhaitait.

La scène de descente à ski est probablement plus réussie, bien qu'éminemment contestée par le spectateur contemporain. A première vue, le trucage de la transparence est en effet énorme, aux limites du ridicule. On s'amuse irrésistiblement des génuflexions burlesques que miment les acteurs, en fait immobiles en studio, leurs visages filmés en gros plan alors qu'un film de paysage enneigé est projeté derrière eux. Pourtant, selon Dominique Païni, cette mécanique de la transparence très évidente et grossière pourrait assurer une fonction énonciative appuyée. Le mouvement des personnages est une descente, une descente interminable vers un gouffre, une descente interminable comme on le dit d'une cure, et au sens figuré, selon les principes symbolistes, une descente immobile dans les profondeurs de l'âme. La Montagne, la neige, la blancheur, tout induit d'autre part ce qu'on appelle dans un autre ordre de signification la transparence de l'air des cimes. La blancheur immaculée des pentes vient clore le laborieux et obscur dédale parcouru par Constance pour parvenir au secret intime de John. La neige est cette autre page blanche menacée par les zébrures des skis, zébrures renvoyant à la grille meurtrière de l'enfant refoulée dans l'inconscient de John. Cette étendue neigeuse s'identifie littéralement au souvenir écran, surface disponible pour le spectacle empêché du refoulé. C'est ainsi la blancheur de l'écran qui s'impose ici dans son effet éblouissant, présageant les flashes rouges de Marnie. Finalement c'est une affaire d'écriture. C'est sur la blancheur de cette page que doit s'inscrire la clôture du récit et la résolution de l'énigme analytique.


Mais l'énigme psychanalytique ne serait rien sans le mouvement romanesque qui la résoudra finalement. Et Hitchcock apporte encore plus de soin à la mise en scène de ce romantisme échevelé : le coup de foudre au premier regard entre Gregory Peck et Ingrid Bergman et surtout l'ensemble de la séquence de la nuit suivant la rencontre ; nuit sans sommeil pour Constance avec montée des escaliers, rets de lumière sous la porte, repos un court moment grâce au livre fétiche signé puis rets de lumière à nouveau et tentation trop forte d'entrer dans la chambre, de déclarer son amour, approche des visages et baiser occulté au profit d'un fondu sur sept portes qui s'ouvrent sur le ciel. Cet amour exalté, on le retrouve lorsque Constance comprend l'importance du blanc et lance comme un cri de victoire "nous avons le blanc avec nous (?!)" ainsi que lors de la douloureuse arrestation de John où son visage en gros plan se fond derrière les barreaux.

Au total, un film empreint d'un grand optimisme, l'amour sauve de la mort et de la folie et d'une bonne dose d'humour : humour dans les dialogues mais visuel aussi tel les deux chaises vides qui attendent le couple en retard après leur promenade et l'accueil goguenard des psychanalystes ou le regard effaré du contrôleur qui regarde le couple s'embrasser alors qu'il ne se sépare pas.

Bibliographie :

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