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Dans
un compartiment de train roulant en direction de la petite ville de Metcalf,
deux hommes conversent : l'un Guy est un professionnel du tennis, l'autre
Bruno se fait passer pour l'un de ses supporters. Bruno parle du vertige de
la vie moderne, de l'ivresse de la vitesse, puis il propose à Guy le
marché suivant : "Ce qui rend un crime imparfait, c'est qu'on
peut remonter des mobiles à l'auteur. Supprimons les mobiles par un
échange de crimes. Je tuerai votre femme qui refuse le divorce et vous
tuerez mon père."....
Le
film contient des scènes célèbrissimes : le début,
avec la rencontre des deux paires pieds, le meurtre vu aux travers des lunettes,
Bruno ne tournant pas la tête comme les autres spectateurs du match
de tennis, le montage parallèle entre le match de tennis et Bruno cherchant
à récupérer le briquet tombé dans une bouche d'égoût,
la scène finale sur le manège.
La thèse de Claude Chabrol et Eric Rohmer dans leur Hitchcock (1957, p. 110-111) demeure parfaitement valide :
L'art d'Hitchcock est de nous faire participer par la fascination qu'exerce sur chacun de nous toute figure épurée, quasi géométrique, au vertige qu'éprouvent les personnages, et au-delà du vertige nous faire découvrir la profondeur d'une idée morale. Le courant qui va du symbole à l'idée passe toujours par le condensateur de l'émotion.
Ils distinguent deux figures symboliques, celles de la droite et du cercle. Pour la droite : l'échange matérialisé par un renvoi, un va et vient, dans le match de tennis et l'espace entre les deux protagonistes, dans les mouvements des pas en gros plan par lesquels débute le film, ou le mouvement du train. Et le cercle et le tournoiement, figures de la mort (la femme de Guy est vendeuse de disques) et plus généralement de la névrose du Bruno.
Chabrol et Rohmer résument alors le film en soulignant toutes les
figures du cercle :
"
Dans un compartiment de train roulant en direction de la petite ville de Metcalf,
deux hommes conversent : l'un Guy (Farley Granger) est un professionnel du
tennis, l'autre Bruno (Robert Walker), se fait passer pour l'un de ses supporters.
Bruno parle du vertige de la vie moderne, de l'ivresse de la vitesse, puis
il propose à Guy le marché suivant : "Ce qui rend un crime
imparfait, c'est qu'on peut remonter des mobiles à l'auteur. Supprimons
les mobiles par un échange de crimes. Je tuerai votre
femme qui refuse le divorce et vous tuerez mon père.". Guy éconduit
Bruno. Il descend à Meclaf et va voir sa femme, vendeuse dans une boutique
de disques. Elle lui annonce que bien qu'enceinte des oeuvres
d'un autre homme, elle n'est nullment décidée à divorcer
maintenant qu'il est sur le chemin de la réussite et va sans doute
gagner beaucoup d'argent. Guy ne pourra donc épouser celle qu'il aime,
Ann, fille d'un sénateur. Bruno lui décide de prendre les devants.
Il guette la femme de Guy tandis qui, en compagnie de deux amis, se rend dans
un parc d'attractions . Là croisant un enfant déguisé
en cow-boy et qui s'amuse à braquer sur lui un revolver, il fait éclater
son ballon d'une brûlure de cigarette. Puis la bande s'embarque
sur un lac et sur une petite ile, terminus du
"tunnel de l'amour" Bruno étrangle la femme de Guy. La scène
est filmée dans les verres de ses lunettes tombées
dans l'herbe. L'assassin aura ensuite beau jeu pour faire chanter le tennisman,
il le tient sous l'effet d'une espèce d'envoûtement, lui faisant
endosser la responsabilité d'un crime en même temps que son profit.
Il lui apparaît à chaque détour du chemin comme sa propre
image reflétée dans un miroir à peine déformant,
comme son double maléfique.
Mais ce parfait technicien du crime est en réalité un névrosé. Etrangler la femme de Guy fut pour lui un plaisir autant qu'un calcul. La haine qu'il porte à son père, le soin dont il entoure sa mère, le désir de destruction d'évasion, sa frénésie machinatrice ne laissent aucun doute sur l'origine dipienne de cette psychose ; de cette gorge c'est la rondeur et la blancheur qui l'a fasciné. Il retrouvera cette idée sous les espèces de la gorge ronde et des lunettes de la fille cadette du sénateur. C'est celle-ci qu'il contemplera en étranglant par jeu l'une des invités de la soirée où il s'est glissé. La jeune femme est terrorisée se découvrant objet d'un désir dont une autre est victime. Bruno qui s'est à demi trahi, imagine pour brouiller les pistes d'aller déposer dans l'île le briquet qu'il a dérobé à Guy lors de leur première rencontre dans le train. Cela nous vaudra une course poursuite à laquelle prélude une partie de tennis. Bruno perdra un temps précieux en rattrapant son briquet ayant glissé dans une plaque d'égout, tandis que Guy, grâce à la complicité de la sur d'Ann qui renverse sur l'un des deux détectives chargés de sa surveillance une boite de talc réussit à prendre le train tandis que le disque du soleil s'abaisse sur l'horizon et que Bruno, près du lac attend son tour pour monter en barque. Puis, c'est la fin. Bruno démasqué par le guichetier n'a d'autre ressource que de se précipiter sur un manège en marche que son propriétaire essaie en vain d'arrêter. C'est une bagarre sauvage sur le plancher tournant d'un rythme accéléré, pendant que les enfants rient croyant à un jeu. Les enfants comprennent enfin, le manège éclate et s'effondre dans les hurlements et le fracas des poutres brisées. Bruno est mort. Guy sauvé savourera en paix le fruit d'un crime qu'il n'a pas commis.
La hantise de Bruno ne nous offert dans son étrangeté, mais
en ce qu'il a de commun avec les plus ordinaires, les plus anodines de nos
tendances. Et ceci grâce au truchement de la forme. Qu'il s'agisse du
vertige du meurtre, du goût de la machination, de la perversion sexuelle,
de l'orgueil maladif, toutes ces tares(
) nous sont dépeintes
de façon assez abstraite, universelles, pour que nous puissions établir
entre les obsessions du héros et les nôtres une différence
de degré, non de nature. L'attitude criminelle de Bruno n'est que la
dégradation d'une attitude fondamentale de l'être humain. Dans
sa maladie, nous pouvons distinguer altéré, perverti, mais paré
d'une sorte de dignité esthétique, l'archétype même
de tous nos désirs. Son crime n'est que de mettre à exécution
ce que Guy, et nous-mêmes, n'avions pris que pour un jeu de l'esprit,
comme le fait également la veille dame qui lui offre imprudemment son
cou. Il exauce en tuant nos souhaits de spectateur, comme il exauce les veux
amoureux du joueur de tennis.
"
source : Claude Chabrol et Eric Rohmer Hitchcock , edition Ramsay poche cinéma, 1957