Under the skin

2013

Genre : Fantastique

D'après le roman de Michel Faber. Avec : Scarlett Johansson (L'extra terrestre), Jeremy McWilliams (L'homme mauvais), Lynsey Taylor Mackay, Dougie McConnell. 1h47.

Dans la sphère céleste, un point lumineux s'approche, devient un corps céleste éblouissant puis un cylindre noir. Le cylindre se fond en l'iris d'une femme. C'est ainsi que débarquent sur terre, en Ecosse, deux extraterrestres. Le premier, un homme, chevauche une puissante moto, s'arrête près d'un chemin pour en ramener une femme inconsciente. Celle-ci est déshabillée à l'arrière d'une camionnette étrange, au sol blanc translucide et lumineux, par une extraterrestre femme, d'une étrange et rayonnante beauté. Elle revêt les habits de celle qui meurt en versant une larme et qu'elle ne regarde qu'à peine, intriguée par une fourmi sur son doigt.

L'extraterrestre sillonne ensuite les rues de Glasgow. Elle parle avec l'accent anglais et répète à chaque fois la même scène : elle questionne sans trop de finesse ses passagers potentiels, afin de s'assurer que personne ne les attend à la maison. Et lorsqu'elle trouve un candidat idéalement isolé, elle l'emmène dans un quartier reculé, jusqu'à une maison qui de l'extérieur ressemble à un taudis et à l'intérieur recèle un piège. La femme se dévêt en reculant à l'intérieur d'une pièce noire, l'homme la suit et s'enfonce à travers une surface lisse pour se retrouver piégé dans un liquide.

L'extraterrestre se rend au bord d'une plage battue par les flots et tente d'attirer un jeune campeur qui lui échappe : il a vu un couple de vacanciers se débattre dans les vagues. Le campeur tente de les sauver, sans succès et revient au bord. La créature l'assomme d'un coup de galet et s'en va chercher son chef de mission pour faire disparaitre le corps. Ils sont indifférents au bébé du couple de vacanciers qui pleure alors que la mer monte.

Alors qu'elle est revenue à Glasgow, la créature est maintenant consciente des cris d'un autre bébé qui pleure. Elle se fait alpaguer par un homme en voiture qui lui indique une boite de nuit non loin de là. Elle est sur le point de se faire agresser mais retrouve la boite de nuit et ramène à la maison piège l'homme qui l'avait dragué en voiture. La créature se promène dans le rues de Glasgow, tombe, se relève et semble se mêler aux visages de tous les passants. Son chef de mission s'inquiète de ses dérèglements mineurs, inspecte son visage et ses yeux mais l'envoie vers de nouvelles proies. La créature recommence donc, cette fois avec un garçon défiguré par une maladie très semblable à celle d'Elephant Man. Elle le conduit dans la maison dont la porte ouvre sur la surface de liquide noirâtre, se déshabille devant lui et le regarde s'enfoncer mais, elle le libère finalement le laissant errer nu entre la maison piège et son pavillon de banlieue où son chef de mission le tue sauvagement sous l'œil de voisins et fait disparaitre son corps en l'embarquant dans sa voiture. Durant ce temps, L'extraterrestre se regarde dans le miroir et semble s'accepter sous cette apparence humaine. Elle fuit loin de son chef de mission et abandonne la camionnette dans une route des Highlands noyée de brouillard. Elle poursuit son voyage à pied.

L'extraterrestre essaie de manger un gâteau, attend un bus, rencontre un charmant post-hippie qui prend soin d'elle, la loge lui fait écouter de la pop et la promène devant un château en ruine et son dédale de souterrains. Le soir, elle s'observe, nue dans la chambre, et vient s'offrir à son gentil écossais. Les préliminaires sont passionnés mais la relation sexuelle impossible. L'extraterrestre dirige une lampe sur son sexe pour en constater la probable inexistence. Elle fuit alors à travers la forêt, se repose dans une cabane qui sert de refuge aux promeneurs où elle rêve qu'elle se mêle à la forêt de sapins. Elle est réveillée par le forestier qui profitait de son sommeil pour la tripoter. Elle fuit mais le forestier la rattrape et tente de la violer. Dans le combat, le forestier arrache la peau qui recouvre le corps parfaitement lisse et noir de l'extraterrestre. Pendant que celle-ci se dévêt de sa peau et observe son visage terrien radieux, le forestier revient l'asperger d'essence et la fait flamber comme une torche. Alors que le groupe des extraterrestres venus la chercher s'approchait d'elle, elle finit de se consumer sur la neige ce qui dégage dans le ciel une longue fumée noire qui retombe en neige.

Par sa trame principale, Under the skin, évoque Les ailes du désir (Wim wenders, 1987) ou Le conte de la princesse Kaguya (Isao Takahata, 2014) : une extraterrestre dénuée de sentiments humains finit par en éprouver leur beauté, liée à leur fragilité, et délaisse pour cela son ancien état insensible. Jonathan Glazer joue du contraste entre la normalité presque documentaire des passants et la beauté et la célébrité de son actrice principale. Il se place ainsi au croisement de très nombreuses références cinématographiques et des recherches plastiques et symboliques de Bill Viola.

L'humanisation croissante d'une extra-terrestre

La créature féminine décide de fuir loin de son chef de mission juste après avoir relâché le jeune homme à la maladie d'Elephant man. Elle se regarde alors longuement dans un miroir sale duquel elle distingue de mieux en mieux ses traits, observe une mouche bourdonnant sur un carreau et fuit dans son camion jusqu'aux Highlands. Elle semble ainsi avoir décidé d'expérimenter sa condition humaine mais bien des signes l'avaient amenée là dans une première partie où elle avait fait majoritairement preuve de la plus grande insensibilité.

La larme, la fourmi, le sang sur la rose, la perception du cri du bébé dans une voiture après avoir précédemment abandonné celui sur la plage, sont les étapes marquantes de son humanisation croissante avant la douceur d'Éléphant man et l'étape du miroir. Elle expérimentera ensuite la douceur d'une pâtisserie ou celles des caresses de la chaleur d'un poêle ou des mains d'un homme avant de s'apercevoir qu'elle ne peut goûter à rien de ce qui est sous sa peau, empêchée par sa perfection charbonneuse.

Sa ballade dans les rues de Glasgow après sa chute l'avait aussi amené à communier avec les humains dans cette sensation de visages entremêlés comme plus tard, dans le refuge, elle se mêlera à la forêt de pins dans une grande communion avec la planète terre. Son chef de mission lui-même avait été sensible à ses modifications de comportement l'examinant avec inquiétude avant de l'envoyer vers la nouvelle mission qui s'avérera être celle d'Elephant man.

Entre Voyage en Italie et Fire woman

La référence à Elephant man (David Lynch, 1980) est la plus claire jusqu'à la citation de la phrase de celui-ci face aux incivilités dont il est victime. Mulholland drive (David Lynch, 2001) est aussi clairement évoqué avec le jeu de miroirs avec les lèvres maquillées de rouge. On ne peut non plus manquer d'évoquer Voyage en Italie (Roberto Rossellini, 1953) par le contraste entre le milieu néoréaliste dans lequel sont en partie plongés les deux films (les rencontres successives avec les passants solitaires) et l'utilisation d'une star dont l'un des rôles assumés est de dépasser celui de personnage pour jouer sur celui de star. Scarlett Johansson possède ainsi le rayonnement qu'Ingrid Bergman avait chez Rossellini. Autre grand cinéaste évoqué, Antonioni avec la décision prise sur une route envahie de brouillard d'abandonner la voiture et de partir plus loin à pied. Le départ de l'extraterrestre vers les Highlands relève bien de l'Identification d'une femme (1982).

Mais on relève aussi des échos de nombreux films fantastiques ou de science-fiction. L'épisode de la petite maison dans la clairière de la forêt où la créature trouve refuge évoque La fiancée de Frankenstein (James Whale, 1935); les surfaces noirâtre ou blanc translucide du camion sont des références au monolithe et à la chambre spatiale de 2001 l'odyssée de l'espace (Stanley Kubrick, 1968) dont Glazer pastiche aussi de belle façon le début interplanétaire. Celui-ci se clôt par un iris en gros plan qui ne manque pas de faire penser à Blade Runner (Ridley Scott, 1982). On évoquera aussi Terminator (James Cameron, 1984) pour le corps parfait qui cherche néanmoins des habits à son arrivée sur terre, Antichrist (Lars von Trier, 2009) pour la fusion d'une femme fantastique avec la nature violemment agitée par le vent ou Ten (Abbas Kiarostami, 2002) pour la succession des rencontres d'une femme avec des passants dans l'habitacle de sa voiture.

Glazer ne se perd pourtant pas au milieu des références multiples, laissant agir son film comme la rencontres entre des passants au quotidien avec des dialogues très réduits de dragues banales et des images d'une grande beauté : Scarlett Johansson bien-sûr mais aussi la maison piège où la splendeur des Highlands. En ce sens, il dépasse la glorification des simples petites choses de la nature humaine pour atteindre au symbolique dont Bill Viola fait preuve dans ses installations plastiques où, dans le quotidien le plus lent et le plus banal, surgit de l'extraordinaire ayant partie liée à la naissance et la mort, le liquide et le feu : Ascension (2000) ou Fire Woman (2005) avec sa surface de pétrole noir qui engloutit une femme devant des torches de feu.

Jean-Luc Lacuve le 02/07/2014