Le marchand des quatre saisons

1972

Genre : Mélodrame

(Der händler der vier jahreszeiten). Avec : Hans Hirschmüller (Hans Epp), Irm Hermann (Irmgard Epp), Hanna Schygulla (Anna Epp), Klaus Löwitsch (Harry Radek), Karl Scheydt (Anzell), Andrea Schober (Renate Epp), Gusti Kreissl (la mère), Ingrid Caven (le grand amour de Hans), Kurt Raab (Kurt). 1h29.

dvd chez Carlotta Films

Quand Hans était revenu de la légion où il avait passé un an, sa mère avait été déçue de son retour. Elle lui reprocha d'avoir entrainé un ami dont les parents l'ont harcelée. Quand Hans lui dit que cet ami était mort, elle lui avait répondu. "Toujours la même chose : les meilleurs y restent et un type comme toi revient". "J'ai changé" avait affirmé Hans en vain. Sa mère avait conclu : "Un bon à rien reste un bon à rien."

Aujourd'hui, Hans est marchand des quatre saisons et, avec Irmgard, sa jolie femme, ils vendent des poires dans les cours des immeubles. Une femme interpelle Hans pour qu'il monte chez elle. Sa femme lui interdit d'y aller. La femme de l'immeuble aimerait le retenir mais Hans refuse : "Une autre fois" promet-il seulement. Comme sa femme lui reproche d'être resté trop longtemps auprès de cette femme avec qui elle sait qu'il eut une liaison, Hans se précipite au café. Sa femme l'accuse de le tromper, il retourne au café mais la rattrape le soir quand elle rentre seule la charrette.

Un autre soir alors qu'Hans avait promis de rentrer à sept heures, Irmgard se retrouve seule avec sa fille, Renate. Pendant ce temps, Hans, au café, raconte comment il a été chassé de la police pour s'être laissé aller à accepter les services sexuels d'une jeune prostituée dans un commissariat. Il paie les consommations et chasse sa femme quand elle vient le chercher. Sur le chemin du retour, seule dans la nuit, elle est prise pour une prostituée. Le soir, Hans rentre saoul et bat durement sa femme.

Au matin, dessaoulé, il regrette son attitude violente et est effondré lorsqu'il trouve le mot de sa femme qui lui dit être partie à jamais et demander le divorce. Il se souvient d'un effondrement semblable lorsque, adolescent, sa mère lui avait refusé d'apprendre un métier manuel qu'elle trouvait indigne de lui disait-elle mais indigne d'elle en fait.

Irmgard va trouver refuge dans sa belle-famille et tous font bloc contre Hans, sauf Anna qui voit bien comment son frère est méprisé. Celui-ci survient, veut reprendre sa femme. Celle-ci est bien décidée au divorce et crie de peur en voyant son mari. Hans se bat vainement pour la reprendre derrière le bloc familial qui fait rempart. Il s'écroule, victime d'un infarctus.

Irmgard a une aventure avec un homme de passage mais est surprise au lit par sa fille. Elle pleure de honte. Elle s'en va alors trouver son mari à l'hôpital et lui promet de reprendre leur vie commune. Le médecin la prévient toutefois : l'infarctus a affaibli Hans qui ne pourra plus porter de lourdes charges ou boire de d'alcool sous peine d'en mourir. Renate, traumatisée par une infirmière qui lui a dit que son père mourrait bien un jour ou l'autre, a trouvé refuge chez Anna. Elle lui explique que son père survivra seulement s'il a envie de vivre. Anna se souvient qu'il avait dû partir à la légion pour fuir leur mère. A l'hôpital, Irmgard propose à son mari de prendre un employé.

Hans s'y emploie mais ne trouve que M. Anzill, l'homme avec qui Irmgard avait eu une liaison. Pour s'en débarrasser, celle-ci, qui aime dorénavant sincèrement son mari, l'incite à augmenter le prix de vente et à partager les bénéfices avec elle. Ell sait très bien que son mari le surprendra à voler. Son plan fonctionne et Anzill est chassé. Mais Hans sait que sa femme l'a sans doute trompé. Il se souvient lui aussi de son amour de jeunesse qui l'avait éconduit car il n'avait pas une position sociale suffisante.

Alors qu'il déjeune avec Zucker (Fassbinder), Hans rencontre Harry, un ami de la légion qu'il embauche et fait habiter chez eux. Il tombe dans une léthargie de plus en plus grande qui le fait même renoncer à faire l'amour avec son amour de jeunesse. Il cherche un réconfort auprès de sa sœur qui travaille beaucoup. Il laisse Harry s'occuper des devoirs de sa fille.

Hans, à bout, casse même le disque de la chanson d'amour qui lui fit connaitre sa femme. Hans subit enfin une réunion de famille où Anna perçoit bien qu'il continue d'être méprisé. Le soir, il se suicide à l'alcool devant ses amis et sa femme en pleurs. Il reproche aussi à Harry de l'avoir laissé torturé avant de le sauver au Maroc en 1947. Harry constate le décès de Hans. Après l'enterrement où Irmgard a convié l'amour de jeunesse de son mari, Irmgard propose à Harry qu'ils se mettent ensemble. Il accepte.

Le film, tourné en onze jours, est le premier grand succès public de Fassbinder. Les faibles moyens s'accordent parfaitement à la manière rêche que vise le réalisateur. Il joue notamment des cinq flashes-back, non annoncés, qui plongent dans un passé ancien et qui sont pourtant joués par les mêmes acteurs, à peine grimés, que ceux qui jouent le présent du drame.

Des flashes-back au présent

Un seul flash-back est annoncé et joué comme tel : celui où Hans raconte à ses amis du bar comment il a été chassé de la police. Cet épisode prend vraisemblablement place après son retour de la légion dont le flash-back final précise qu'il a lieu en 1947. C'est le retour de la légion chez sa mère qui fait l'objet du prégénérique. Cette première séquence pose ainsi d'amblée le personnage au présent, celui que l'on va suivre, comme souffrant éternellement du rejet de l'amour maternel.

Flash-back encore plus surprenant que celui du prégénérique, celui où, le matin après avoir battu sa femme, Hans s'écroule sur la table après avoir découvert le mot de sa femme le quittant. C'est cette même attitude prostrée qui le fait se souvenir, qu'adolescent, il avait demandé vainement à sa mère d'exercer un métier manuel. Son refus l'avait probablement conduit à s'engager dans la légion, épisode qui fait l'objet du flash-back pris en charge par Anna après le départ de Renata. Anna, allongée sur le sofa, se rappelle aussi physiquement son attitude prostrée sur le sol lorsqu'elle avait vainement tenté de retenir son frère. L'épisode de Hans éconduit par son amour de jeunesse lui revient lorsqu'il se doute que sa femme l'a trompée avec Anzill. Cet épisode amoureux se situe juste avant ou juste après son retour de la légion. Il a alors approximativement 18 ans alors que l'action principale se situe en 1971 où il a alors un peu plus de 40 ans. Le dernier flash-back intervient juste avant la mort de Hans où il raconte comment il a été torturé en 1947 au Maroc. Effondré sous le fouet alors, comme effondré par l'alcool au présent, il n'a plus qu'à mourir comme tous, malgré leurs larmes, le souhaitent plus ou moins.

Un flash-back initial, un flash-back classique et quatre flashes back abruptes, tous semblent néanmoins en rapport immédiat avec la souffrance permanente, intensemment physique, dans laquelle vit Hans.

Un mélodrame contemporain

Ni l'amour de sa femme, ni celui de sa fille, ni l'amitié d'Harry ne parviennent à sauver Hans de l'alcool qui masque pour lui une enfance douloureuse qui aboutit à un effondrement intérieur. Fassbinder reprend là une trame lointainement décalquée sur celle d'Ecrit sur du vent. Hans Hirschmüller joue un personnage qui rappelle celui interprété par Robert Stark dans le film de Douglas Sirk alors que Irm Hermann et Klaus Löwitsch seraient de modernes Laureen Bacall et Rock Hudson.

L'ancrage social est bien entendu totalement différent mais tout aussi important. L'environnement catholique, avec le crucifix et le tableau religieux, viennent souligner la honte qui s'empare des personnages : de Hans après avoir battu sa femme, de Irmgard après avoir été surprise par sa fille en faisant l'amour. Fassbinder s'inspire aussi des magifiques couleurs vives des quatre films majeurs de Douglas Sirk qu'il vient de revoir. Il est également attentif aux regards au travers de fenêtres. Ainsi les deux zooms douloureux sur la frêle silhouette de Irmgard, vue aux travers de fenêtres au bar le matin et le soir par Hans, plein de remords d'abandonner sa femme.

Jean-Luc Lacuve le 12/06/2012.

Editeur : Carlotta-Films, avril 2018. 4 BD + 1 DVD Formats 1.33, 1.37 et 1.66. Durée Totale des Films : 704 mn. 7 films majeurs de R.W. Fassbinder tournés entre 1969 et 1973. 50,16 €

Présentation du DVD

L'amour est plus froid que la mort, Le Bouc, Prenez garde à la sainte putain, Le Marchand des quatre saisons, Les Larmes amères de Petra Von Kant, Martha, Tous les autres s'appellent Ali.

Suppléments :

  • Michael Ballhaus à propos de Martha (20')
  • R.W. Fassbinder, 1977. Documentaire de Juliane Lorenz
  • Un livret (12 pages).