Isabelle, divorcée, un enfant, cherche un amour. Elle sort depuis quelque temps avec un banquier, marié, qui lui affirme qu'il ne quittera jamais sa femme pour elle. Odieux, la laissant sans nouvelle pour tout un week-end, se comportant mal avec les serveurs de bar qu'il humilie sans raison. Il lui affirme aussi que Maxime, la galeriste qui va dorénavant la défendre à l'international a été la maitresse de son mari. Isabelle tente de découvrir la vérité auprès de Maxime qui éclate de rire et nie farouchement. Lorsque el banquier revient trop sur de lui, elle le met dehors et lui claque la porte au nez.
Son voisin, Mathieu, qu'elle rencontre à la poissonnerie est un grand bourgeois excentrique qui aimerait l'inviter dans la maison que sa mère lui a laissé dans le Lot.
Isabelle rencontre un acteur, jeune, marié et un peu alcoolique qui a des problèmes avec sa femme et "le jour après jour". Il préfère donc parler des "nuits après nuits". Après d'interminables discussions, il monte dans l'appartement d'Isabelle. Ils font l'amour mais il est ensuite déçu parce que ce qui l'intéresse "C'est ce qui vient avant" et maintenait c'est après. Isabelle tente en vain de lui faire miroiter le "avant la deuxième fois".
"Ça ne marchera plus jamais", s'angoisse Isabelle, dépitée devant son amie Ariane qui perfidement lui fait regretter sa relation avec son ex-mari car, avec le sien, ça marche de mieux en mieux... sur tous les plans.
Et justement, François, l'ex-mari d'Isabelle revient. Ils couchent ensemble mais cela semble faux à Isabelle. Elle voudrait récupérer son jeu de clés. Prétextant son devoir de père et sa propriété sur la moitié de l'appartement, François refuse.
Dans une galerie, Isabelle est importunée par le Vincent. Le galeriste, en lui offrant un verre, la tire de ce mauvais pas.
Pour une manifestation d'art contemporain, Isabelle se rend à La souterraine, dans la Creuse, avec ses amis galeristes. Lors d'une balade dans la campagne où chacun s'extasie, elle éclate de colère leur reprochant de tout annexer: "Tout vous appartient" dit-elle, elle qui se sent dépossédée de tout. Tout ce petit monde échoue sur la banquette d’une boîte de nuit où Maxime avoue qu'elle préfère regarder les gens. Isabelle tombe dans les bras d'un jeune ouvrier agricole qui la fait danser sur At Last d'Etta James.
De retour à Paris, Fabrice s'étonne qu'Isabelle soit avec Sylvain, l'ouvrier agricole: ont-ils quelque chose à se dire ; lui fait-il connaitre ses amis ? Troublée, Isabelle rompt sans que Sylvain, timide et réservé, ne s'accroche. Au sortie d'une exposition, elle prend la main du galeriste qui ne veut pas brusquer les choses et lui donne rendez-vous pour dans un mois, au retour de ses vacances avec ses enfants.
Dans la nuit, un homme sort de la voiture d'une femme en pleurs. C'est le voyant qu'Isabelle, le lendemain ou un autre jour, va consulter. Cherchant à la garder comme cliente et sans doute à la draguer, le voyant lui annonce une rencontre importante et imminente pour laquelle elle doit "rester open" et garder son "beau soleil intérieur".
Récompensé du Prix SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes 2017, Un beau soleil intérieur raconte les tracas d'Isabelle, une quinquagénaire à la recherche de l'amour. Le parcours d'Isabelle pourrait être celui d'une femme malheureuse qui cherche à se caser sans succès. On gagnera pourtant à se détacher d'une totale adhésion à la psychologie du personnage. Pris comme une suite de fragments explorant les effets du discours masculin manipulateur sur le visage d'une femme, le film devient un formidable hommage aux acteurs... et beaucoup plus comique.
Fragments d'un discours amoureux
Avec l’écrivaine Christine Angot, la réalisatrice était partie pour adapter Fragments d'un discours amoureux, l’essai de 1977 de Roland Barthes. Au gré d’aléas divers, le projet a évolué mais garde trace de sa structure fragmentaire. Nul enjeu dramatique de vient lier les diverses rencontres d'Isabelle. Son mari tente bien, pour son propre intérêt de faire peser sur elle un rôle de mauvaise mère. Quelques plans très sobres sur l'enfant suffisent à indiquer qu'elle est bien la spectatrice souffrante de la situation mais que sa relation à sa mère, dans toute la spontanéité de son geste d'au revoir, reste privilégiée.
Le discours de Gérard Depardieu qui clôt le film jusqu'à la dernière ligne du générique est bien plus probablement celui de la réalisatrice. En lui demandant de penser à elle, de garder son "beau soleil intérieur" et de "rester open" vis à vis de nouvelles rencontres, il transforme les larmes d'Isabelle en un sourire interrogateur. Elle semble désormais accepter de vivre dans l'incertitude des sentiments. Ce dernier discours a beau être aussi manipulateur que ceux qui l'ont précédé, il donne la clé d'un art de vivre possible. Il donne corps au petit livre jaune qu'Isabelle avait posé sur la table basse de son salon, Les vertus de l'échec. Ce n'est plus le visage d’une femme maltraitée qui apparait à l'écran mais celui d'une femme, qui parce qu'elle n'a pas trouvé ce quelle cherche, garde son avenir ouvert.
Le langage d'Isabelle n'est pas celui de la raison. Elle se le dit après avoir vu Vincent le banquier : "ça ne peut pas continuer ainsi". Elle reprend ainsi les mots d'un des chapitres du livre de Roland Barthes :
Insupportable, écrit Barthes, le sentiment d'une accumulation de souffrances explose dans ce cri : "ça ne peut plus continuer ainsi"... Cependant cela dure, sinon toujours, du moins longtemps. La patience amoureuse a donc pour départ sa propre dénégation : elle ne procède ni d’une attente, ni d’une maîtrise, ni d’une ruse, ni d’un courage; c’est un malheur qui ne s’use pas à proportion de son acuité, une suite d’à-coups, la répétition (comique ?) du geste par lequel je me signifie que j’ai décidé - courageusement !- de mettre fin à la répétition ; la patience d’une impatience. (Sentiment raisonnable : tout s’arrange - mais rien ne dure. Sentiment amoureux : rien ne s’arrange - et pourtant, cela dure.) p. 167.
Des hommes et des acteurs
La succession des épisodes semble aléatoire, sans anticipation possible. La première rencontre a souvent déjà eu lieu ainsi avec Vincent, l'acteur ou Mathieu et Fabrice. Tout peut se finir rapidement et la rencontre ne dure que tant que chacun garde une part de mystère, une part de possible.
Les hommes qu'Isabelle a rencontré jusque là sont très typés et, pour tout dire, très peu sympathiques. Ils manifestent peu de fantaisie (gros bouquet de roses blanches), d'engagement (longues discussion qui tournent en rond), de proposition (pas d'amis), en retrait par rapport à la demande d'Isabelle. Seules les performances d'acteur, la façon d'incarner leur personnage permet de prendre plaisir à les voir et surtout les entendre : Xavier Beauvois en banquier hédoniste et cynique; Philippe Katherine en grand bourgeois excentrique; Nicolas Duvauchelle en acteur de théâtre alcoolique; Laurent Grévill en ex-mari tentant une reconquête; Bruno Podalydès en galeriste obsédé par l'entre-soi culturel ; Paul Blain en ouvrier agricole, fragile et fataliste ; Alex Descas en conservateur de musée, plein de mystère; Gérard Depardieu en diseur de bonne aventure, plus manipulateur encore que les autres.
Le visage comme un paysage
Le discours de ces hommes fait rire tant ils se révèlent fuyants et manipulateurs voire immatures, lâches et inconséquents. En contrepartie de ces discours ce sont les effets du langage sur le visage de Binoche qui bouleverse. Sur lui se reflètent toutes ses émotions : hésitation, affrontements, incompréhension sur les mots doux menteurs et ambigus ("je t'admire, je voudrais être toi"). Les larmes qui jaillissent sur le visage de Binoche, les sourires incrédules ou enfantins viennent balayer ses désillusions.
Quelques plans de mises en scène sont remarquablement en adéquation avec les personnages. Vincent claque la porte de l'appartement d'Isabelle la veille du week-end et c'est à lui qu'elle claque enfin la porte au nez lorsqu'il revient trop conquérant. L'acteur alcoolique est saisi dans un premier plan dans sa loge seul avec quelques bières alignées devant une glace qui les multiplie par deux. Lorsqu'il a rompu, il reste seul sur le quai du métro, hésitant comme toujours, bien loin d'aller chercher sa fameuse pizza pour la famille.
Le choix de mise en scène le plus décisif fait se succéder un discours et un visage. Maxime déclare à Isabelle après la ballade à la campagne où elle n'est pas allée : "Moi je préfère les gens aux paysages". Apparait alors en gros plan le visage de Juliette Binoche, recueillant une nouvelle fois son émotion : son visage est un paysage.
Claire Denis marche ainsi sur les pas des grandes comédies sentimentales douces amères où discours et visages jouent un rôle fondamental : celles de Hong Sang-soo, Eric Rohmer, Bruno Podalydès ou, plus lointainement, Jean Eustache avec La maman et la putain.
Jean-Luc Lacuve, le 7 octobre 2017.