L'emprise des ténèbres

1988

Genre : Fantastique

(The Serpent and the Rainbow). Avec : Bill Pullman (Dennis Alan), Cathy Tyson (Marielle Duchamp), Zakes Mokae (Dargent Peytraud), Paul Winfield (Lucien Celine), Brent Jennings (Louis Mozart), Conrad Roberts (Christophe). 1h38.

1978. Les tontons macoutes de la dictature Duvalier font régner la terreur en Haïiti. L'instituteur Christophe Durant est déclaré mort par les médecins. Alors qu'il est mis en terre, des larmes coulent de ses yeux.

1985. Dennis Alan, jeune docteur en ethnobotanique est en Amazonie pour rencontrer le plus puissant chaman de l'Amérique. Celui-ci l'oblige à boire une mixture qui provoque des hallucinations : Dennis court pour fuir un jaguar avant de jouer avec lui. Quand le vent se lève, il découvre la figure d'un homme menaçant et tombe dans un puits sans fin. Ces hallucinations sont des avertissements mais aussi une aide. C'est en suivant un jaguar, son totem, que Dennis sort indemne de 300 kilomètres dans la forêt amazonienne.

A Boston, Dennis Alan se voit proposer un travail par son ancien professeur, Schoonbacher : enquêter sur la "zombification", phénomène typiquement haïtien permettant de faire revenir des morts à la vie - ainsi Christophe Durand, déclaré mort en 1978 et pourtant bien vivant. La Boston Biocorp, compagnie pharmaceutique d'Andrew Cassedy, dont Schoonbacher est le conseiller, pourrait tirer grand profit d'un anesthésique provoquant cet état.

Accueilli à Port-au-Prince par Marielle Duchamp, jolie doctoresse haïtienne à qui il arrive d'entrer en transes, il rencontre Lucien Céline, notable local et grand prêtre vaudou. Alan et Marielle finissent par retrouver Durand dans un cimetière : tenu pour mort après avoir reçu une poudre sur le visage, enterré vivant, il prétend qu'un sorcier lui a volé son âme. Sujet à d'horribles cauchemars, Alan suit une procession mariale et vaudou et se ressource dans la cathédrale naturelle sous une chute d'eau. Dans une grotte, il devient l'amant de Marielle.

La loi martiale est proclamée : interrogé par Peytraud, capitaine des Tontons Macoutes, Alan qui a reconnu en lui l'appartion vue en Amazonie, ressent sa présence maléfique. Peytraud finit par l'arrêter et n'hésite pas à le torturer. Marielle le soigne, mais, à la suite d'une machination de Peytraud, il est accusé de meurtre et expulsé. Il a toutefois eu le temps de fabriquer la fameuse poudre, avec l'aide d'un jeune sorcier local nommé Louis Mozart.

De retour à Boston, Alan l'expérimente sur des babouins et constate que les effets de la drogue se dissipent au bout de douze heures. Au cours d'un dîner chez les Cassedy, il est agressé par son hôtesse, Debra, devenue comme possédée.

Comprenant que Peytraud le poursuivra toujours, il décide de retourner en Haïti l'affronter. Mais Mozart est décapité et Céline, qui lui était venu en aide, meurt foudroyé. Victime de la poudre, déclaré mort, Alan est enterré vivant. A son réveil, il hurle et est déterré par Christophe. Au moment même où le régime de "Bébé Doc" Duvalier s'effondre, Alan, avec l'aide de Marielle, libère les âmes emprisonnées par Peytraud et élimine celui-ci à tout jamais.

The Serpent and the Rainbow, proposé dans un vain souci commercial sous le titre L'emprise des ténèbres en France, prend sa source du livre éponyme de l'ethnobotaniste et anthropologue canadien Wade Davis, diplômé de Harvard. Il publie en 1985 The Serpent and the Rainbow, étude des pratiques vaudou en Haïti, en particulier du processus de zombification. Ayant obtenu les droits d'adaptation, c'est sur cette base que le film se présente comme inspiré de faits réels... Mais pas seulement : tourné en 1987, l'action se situe en 1985 et le film fait sien le terrible et fiévreux climat pre-révolutionnaire qui précède cette année là, le départ précipité et la chute de la dictature Duvalier et son régime de terreur encadré par sa police politique des "tontons macoutes".

Une île à 85% catholique et 110% vaudoue

Marielle l'affirme à Allen : si l'ile est à 85% catholique elle est aussi à 110 % vaudou et la croyance de la vierge Marie se combine à celle d'Erzulie, déesse de l'amour. C'est l'une des plus belles séquences du film. De face, la possession mariale avance, recueillie, alors qu'un mouvement de grue vient saisir d'un pano-travelling, plein cadre, la statue de Marie, la contourne et découvre, depuis son dos, une longue procession au chandelle de l'avant du cortège s'avançant dans les ruines archaïques et sauvage de Haïti. C'est dans une cathédrale en forme de chute d'eau que se combien el culte de Marie et d'Erzulie. A lieu ensuite la belle scène d'amour dans une grotte entre Marielle et Alan, soie blanche contre peau noire filmée parfois au ralenti.

Le film s'ouvre sur un carton tiré du livre de Wade Davis à propos de la croyance vaudoue : "Le serpent symbolise la Terre, l’arc-en-ciel le Paradis. Entre les deux, toute créature doit vivre et mourir. Mais, parce qu’il a une âme, l’homme peut se retrouver emprisonné en un lieu atroce, où la mort n’est qu’un commencement."

Le zombie s'incarne ici classiquement sous sa forme de mort-vivant décomposé mais seulement dans les rêves de Dennis. C'est alors une mariée décomposée qui vient vers lui et l'agresse d'un serpent sortant de sa bouche ou qui, magnifiquement, s'avance en flammes dans une embarcation lorsqu'il dort avec Marielle dans la maison au bord de la plage. Ces moments de terreurs, cauchemars d'occidentaux alternent avec un retour aux sources du mythe du zombie. Celui-ci  est la victime d'un sortilège malin voulu par son ennemi qui en fait un errant entre la vie et la mort, soumis à ses ordres. Les efforts de Marguerite, de Christophe ou de Lucien Celine pour survivre à la malédiction en font de vrais personnages de fiction avec une vraie fonction dramatique : avertissement, sauveur de l'ensevelissement dans la tombe, et aidant au combat final contre Peytraud.

La poudre à zombie est capable de provoquer un état de mort apparente durant douze heures, le temps d’enlever un individu à ses proches et à la société qui le croient décédé. Le culte vaudou affirme qu'il est alors possible d'emprisonner l'âme des faux défunts et de les contraindre à exécuter leurs ordres après leur réveil. Pour l'industrie pharmaceutique, cette mort apparente pourrait avoir des usages d'anesthésiant. Cette poudre qui existe réellement selon Davis, l'agent actif étant la tétrodotoxine, une neurotoxine présente dans les viscères de certains poissons de la région. Il rapporte aussi que la mixture préparée sous forme de poudre par Louis Mozart, exige bien le broiement du crâne d’un cadavre fraîchement exhumé et se termine par des dessins cabalistiques. Wes Craven la rend plus terrible encore du fait que celui qui en est victime voit tout ce qui lui arrive jusqu'à son enterrement alors qu'il vit encore.

La terreur des Tontons Macoutes

Le tournage se déroule en 1987 sur l’île d’Haïti (avant d’être déplacé en République Dominicaine par sécurité), à peine un an après la révolte de la population contre la dictature de la dynastie Duvalier (Papa Doc et Bébé Doc). Le film accentue dans un surcroit de terreur les dérives du culte vaudou par son utilisation par un régime autoritaire. Dargent Peytraud, est à la fois le chef des " tontons macoutes" et un puissant sorcier vaudou. Il se montre tout aussi terrible dans la séance de torture où il enfonce un clou dans l'entre-jambes de Dennis que lorsqu'il boit le sang de Mozart, exécuté, et le fait recracher dans la bouche de Celine le tuant ainsi. Le film enregistre aussi la misère dans la séquence d'ouverture censée se passer en 1978 où les bidonvilles à côté de la rivière sont parcourus par un zombi de fantaisie armé.

La séquence finale utilise des documents d'archives télévisés pour montrer la fuite des Duvalier et la colère du peuple. Ces documents filmés sont montés alternés avec des images de fiction montrant l'envahissement du QG des Tontons Macoutes.

Jean-Luc Lacuve le 03/07/2016 (le fim ressort en version restaurée en juin 2016)