Monuments men

George Clooney
2014

Genre : Aventures

(The Monuments Men). Avec : George Clooney (Frank Stokes), Matt Damon (James Granger), Bill Murray (Richard Campbell), Cate Blanchett (Claire Simone), John Goodman (Walter Garfield), Jean Dujardin (Jean-Claude Clermont), Hugh Bonneville (Donald Jeffries), Bob Balaban (Preston Savitz), Dimitri Leonidas (Sam Epstein), Udo Kroschwald (Hermann Goering), Miles Jupp (Major Feilding). 1h58.

1943. Les prêtres de la cathédrale de Gand démembrent les panneaux du retable de L'Adoration de l'Agneau mystique pour le mettre en caisses et le dérober à l'appétit insatiable des nazis. Le Couvent de Sainte-Marie-des-Grâces, de Milan est bombardé. Des quatre murs du réfectoire ne reste intacte que celui qui porte la fresque de La dernière Cène de Leonard de Vinci. A Paris, Hermann Goering vient faire son marché à Paris pour le musée qu'Hitler a décidé de créer à Linz. Il rencontre dans les salles du Louvre désaffectées le major Fielding qui pille pour lui les collections privées des juif mais qui a recourt à Claire Simone pour garder trace des différentes origines et déplacements des tableaux.

Washington. Frank Stokes, directeur du musée Fogg de Harvard, explique au président Franklin D. Roosevelt comment les différents débarquements en Europe vont conduire à la destruction de nombreux monuments historiques et au pillage d'œuvres d'art vers l'Allemagne. Roosevelt se demande si ça vaut bien le coup de sacrifier des vies pour sauver des œuvres d'art mais autorise quand même Stokes à constituer sa section de Monuments men.

Frank Stokes recrute alors James Granger, conservateur au Metropolitan Museum de New York, l'architecte Richard Campbell, le massif sculpteur Walter Garfield et le freluquet critique et metteur en scène de théâtre Preston Savitz. Il pense aussi à l'anglais Donald Jeffries, éminent professeur à Cambridge mais tout juste sorti d'une cure de désintoxication et au français Jean-Claude Clermont qui dessine très bien sur les avions. Ces sept hommes débarquent en Normandie en août 1944.

Ils échouent à convaincre les hauts-gradés alliés de l'importance de leur mission. Heureusement Frank Stokes reconnait Sam Epstein, un juif allemand engagé dans l'armée américaine qui a retapé une Jeep allemande et qu'il convainc sans peine de transporter toute la petite troupe vers les Ardennes où les Allemands se livrent à une dernière offensive. Ils récupèrent quelques œuvres, L'Astronome de Vermeer La dame à l'hermine de Vinci ou Dans la serre de Manet. Mais Epstein, qui a surpris une conversation entre des officiers allemands, convainc Stroke qu'il faut continuer plus haut vers l'Allemagne. De son côté, Donald Jeffries est chargé de sauver La madone de Bruges de Michel-Ange. Il n'y parviendra pas car les prêtres se font surprendre par une ruse des Allemands, qui ont fait croire que l'un d'eux est blessé, pour pénétrer dans l'église. Jeffries sacrifie sa vie pour une statue qui lui rappelait les idéaux de sa jeunesse.

A Paris, James Granger rencontre Claire Simon dans la prison où elle est incarcérée pour collaboration. Il ne parvient pas à gagner sa confiance, même s'il prend la peine d'aller reposer un tableau dans une demeure juive abandonnée par ses occupants. Le 27 août, le dernier train chargé d'œuvres part de la gare du Bourget sous la direction du Major Fielding, penaud, qui tire vainement sur Claire Simon, venue l'agonir d'injures depuis un pont.

En Allemagne, les Monuments men découvrent Les bourgeois de Calais dans la cour du château de Neuschwanstein. Un dentiste conduit Richard Campbell et Preston Savitz chez son neveu qui se révèle être le major Fielding. Ils y découvrent des peintures impressionnistes dont La petite Irène de Renoir avec, au dos, la mention de son propriétaire, la famille Rothschild. Fielding est incarcéré. Cette nouvelle parvient jusqu'à Claire Simon qui remet alors à James Granger des informations décisives concernant les œuvres dérobées par les nazis dans les collections privées françaises.

C'est ainsi que Granger retrouve les Monuments men dans une mine de sel d'Altaussee où ils ont la joie de retrouver l'Autoportrait de Rembrandt que Sam Epstein n'avait jamais pu admirer au musée de Karlsruhe, interdit aux juifs. Granger pose le pied sur une mine mais, grâce à l'ingéniosité de ses camarades, croit pouvoir en réchapper... ce qu'il fait mais seulement parce que la mine était quasi hors d'usage. Jean-Claude Clermont n'a pas cette chance, pris dans un échange de coups de feu entre allemands et alliés, il agonise longuement avant de mourir faute de médecin. En fouillant une dernière fois la mine d'Altaussee, les Monuments men découvrent un stock d'or devant lequel viennent poser les généraux... dédaigneux des oeuvres d'art précédemment découvertes.

Alors que les allemands fuient toujours plus à l'Est les Monuments men doivent aussi affronter les Russes qui ont constitué leur brigade des trophées. Le colonel applique à la lettre le décret Néron de Hitler ordonnant la destruction de toutes les œuvres d'art. Il brûle ainsi un autoportrait de Durer. Frank Stokes arrive juste à temps dans une mine allemande obstruée par un éboulement. Il récupère ainsi le retable de L'Adoration de l'Agneau mystique et in extremis et à la barbe des russes, La madone de Bruges de Michel-Ange.

De retour à Washington, Stokes affronte de nouveau la question de Roosevelt : toutes ses œuvres d'art sauvées, valaient-elle la vie de deux hommes ? Oui répond Stokes. Plus tard, il répondra encore oui, à son petit-fils, devant La madone de Bruges.

Clooney ambitionne de faire un film d'aventures, sorte de chasse aux trésors, dans le cadre de la seconde guerre mondiale en venant après des films aussi forts que Les Aventuriers de l'arche perdue, La liste de Schindler et d'inglourious basterds. Il échoue à se montrer aussi trépidant que le premier, lyriquement sombre que le second et joyeusement inconséquent que le dernier. Il réussit néanmoins à être un sympathique film d'aventures où l'excellent filmage des œuvres d'art compense largement les libertés prises avec les faits historiques.

Le sympathique train train de Georges Clooney

Le train (John Frankenheimer, 1964) restait un film à la gloire de la résistance et qui faisait l'apologie de l'action vis à vis de la vanité de la prétention culturelle. Il ne répondait pas à la question de savoir s'il est légitime ou non de sacrifier des vies humaines pour sauvegarder le patrimoine artistique. Il ne tranchait pas entre le refus de Paul Labiche et le jusqu'au-boutisme inacceptable du Colonel allemand Oberst von Waldheim. Clooney se positionne sur une option médiane, le risque mesuré, tout à fait défendable. On peut toutefois sourire en constatant que ce sont les deux seuls non-américains qui sont sacrifiés.

En faisant jouer Frank Stokes âgé par son propre père, Nick Clooney, George Clooney va par ailleurs jusqu'au bout de ce qu'il suggère auparavant : le lien que l'on entretient avec l'œuvre d'art est d'autant plus fort qu'il est constitutif de sa personnalité. Ainsi La madone de Bruges est pour Jeffries le symbole d'une jeunesse où il représentait l'espoir de hautes ambitions pour lui-même et ses parents. La vision de l'Autoportrait de Rembrandt est un moment de douce plénitude pour Sam Epstein qui n'avait jamais pu l'admirer au musée de Karlsruhe, interdit aux juifs.

Bien filmés encore sont ces moments où la caméra dévoile les toiles impressionnistes du major Fielding, reconverti en paysan sans histoire, ou la découverte de panneaux de l'Agneau mystique à peine éclairés dans la mine de sel puis du panneau de la Vierge qui servait de table.

La mise en scène romancée de l'œuvre d'art est ainsi l'occasion d'une appropriation par le spectateur... dont n'avaient pas voulu les Allemands.

Le combat des Monuments men

Le pillage des collections européennes par le IIIe Reich est organisé pour approvisionner le musée de Linz, ville d'Autriche où Hitler passa sa jeunesse et celui, personnel, d'Hermann Goering et, accessoirement, de compléter les collections nationales allemandes. La Belgique, la France et les Pays-Bas sont les principaux pays victimes de ces razzias. L'organisation nommée ERR (Einsatzstab Reichsleiter Rosenberg) dont le but initial était surtout de récupérer les œuvres pillées par Napoléon jusqu'en 1815, en est le principal instrument. Hermann Goering est venu à Paris dès 1940 mais certainement pas, comme on le voit dans le film, en 1943 où il est en disgrâce.

A partir de l'été 1944, découvrir où les nazis entreposent leurs prises et les restituer à leurs propriétaires ou à leurs héritiers devient possible. Le processus commence à la libération de Paris. Le 27 août, le dernier train chargé d'œuvres est arrêté en gare d'Aulnay grâce aux informations données à la division Leclerc par Rose Valland. Simple attachée au musée du Jeu de paume, celle-ci réussit à s'y maintenir durant l'Occupation alors que ce bâtiment est devenu la "gare de triage" des pillages en France et espionne l'ERR.

Dès septembre, se crée la Commission de récupération artistique (CRA) dite commission Roberts. Fin novembre, aux Etats-Unis, est fondée au sein de l'OSS une unité d'enquête sur les pillages artistiques, connue désormais sous le surnom de "Monuments Men". Les personnages sont ainsi presque tous inspirés de personnages réels. Frank Stokes (George Clooney) s'inspire de George Trout, le directeur du musée Fogg de Harvard (de 1933 à 1947), un des premiers Monuments Men à avoir été recruté et à avoir débarqué en Normandie en 1944. James Granger (Matt Damon) s'inspire de James Rorimer, conservateur au Metropolitan Museum de New York (il en prit la direction en 1955). Richard Campbell (Bill Murray) s'inspire de l'architecte Robert Kelley Posey ; (Walter Garfield (John Goodman) du sculpteur Walker Kirtland Hancock, Preston Savitz (Bob Balaban) du poète, écrivain et critique Lincoln Kirstein qui fonda la School of American Ballet et le New York City Ballet.

Mais la CRA comportait des experts de douze autres nations. Ils sont ici chichement représentés par Hugh Bonneville dont le personnage de Donald Jeffries s'inspire de Ronald Edmund Balfour, professeur à Cambridge, l'un des premiers Monuments Men à débarquer en France en août 1944 ; et par un Français, le seul personnage fictif de cette petite troupe, Jean-Claude Clermont, interprété par Jean Dujardin.

James Rorimer rencontra bien à Paris, Rose Valland, devenue ici Claire Simon (Cate Blanchett). En décembre, Rose Valland le conduisit dans les locaux de l'ERR à Paris. Les archives qui s'y trouvent encore et les carnets qu'elle a tenus durant toute la guerre donnent des pistes, qui conduisent les Monuments Men et leurs homologues de la CRA aux châteaux et mines d'Allemagne et d'Autriche, où les nazis ont dissimulé leurs butins. Ils en récupèrent une partie, non la totalité, comme le montre la découverte, en novembre 2013, du stock de 1406 toiles caché par le fils du galeriste Hildebrand Gurlitt, l'un des marchands allemands impliqués dans ces trafics. Le 11 mars 2014, trois œuvres d'art sont restituées à leurs propriétaires juifs par le ministère de la culture en France.

Nul besoin donc de transformer Rose Valland en cette Claire Simon incarcérée à la Libération (ce qui est faux) et en résistante réduite à cracher dans une coupe champagne pour monter son hostilité au régime. La romance inaboutie avec James Granger est inventée et fait peu de cas de l'homosexualité revendiquée de Rose Valland.

Ces travestissements sont toutefois des péchés véniels pour un film qui ne va peut-être pas plus loin que le divertissement de qualité mais qui témoigne d'un rapport humaniste, personnel et respecteux avec l'oeuvre d'art.

Jean-Luc lacuve le 20/03/2014