De nos frères blessés

2020

D'après le livre éponyme de Joseph Andras. Avec : Vincent Lacoste (Fernand Iveton), Vicky Krieps (Hélène Iveton), Jules Langlade (Jean-Claude), Marc Brunet (Pascal Iveton), Thomas Ducasse (Maître Albert Smadja), Raphaël Thiéry (Maître Charles Lainné), Yoann Zimmer (Henri Maillot), Meriem Medjkane (Baya). 1h41.

Février 1957, prison Barberousse à Alger. Trois condamnés à mort se voient proposer café et cigarette avant leur exécution. L'un des nationalistes algériens est conduit dans la cour et est décapité.

14 novembre 1956, Fernand Iveton dépose une bombe dans son casier de l’usine où il travaille, employé, le Gaz d’Algérie. Avant que la bombe explose, il est arrêté dans l'atelier. Helene sa femme est arrêtée chez elle. Emprisonnée elle se souvient.

Deux ans plus tôt, à Paris, elle avait rencontré Fernand, excellent danseur dans un bal. Elle lui avait offert à boire et ils avaient dansé. Mais l'un des amis d'Helene lui avait fait la morale et elle avait dû repartir brusquement. Fernand s'était imposé dans sa voiture et ils s'étaient disputé sur le communisme, lui en étant  un fervent partisan, elle, polonaise en ayant subi la répression. Elle l'avait embrassé avant qu'ils ne se quittent. Leur différend politique s'était renouvelé lors d’un pique nique avec la mère et le fils d'Hélène mais celle-ci avait accepté de l'épouser et de le suivre à Alger avec son fils, Jean-Claude.

A Alger, ils avaient été a accueillis chaleureusement par tous les  amis de Fernand mais Helene s'inquiéta vite des activités clandestines de Fernand et de son ami Henri Maillot. La femme de celui-ci, Baya, lui expliqua les exactions commises par l'armée française. Jean-Claude voit aussi comment les Algériens, amis de Fernand, sont arrêtés arbitrairement lors d'une simple  partie de basket. Lorsque Fernand s'engage à tuer un haut fonctionnaire français, il tente de l'accompagner. C’en est trop pour Hélène qui demande à Fernand de lui cacher avec plus de conviction son engagement. Elle le comprend mais sent aussi poser la mort sur eux qui voulaient tant être heureux. Elle renvoie aussi Jean-Claude en France.

Il est ami avec Henri Maillot qui désertera l’armée française, et sera tué le 5 juin 1956. Apres voir échoué à tuer le haut fonctionnaire, Fernand propose de poser une bombe dan son usine. Il est arrêté avant qu'elle n'explose. Au cours de son procès, il révèle qu'il a été torturé ce qu'un médecin refuse de consigner. Pour l’exemple il est condamné à mort. Ses avocats réclament en vain sa grâce auprès de François Mitterrand et René Coty.

Il est guillotiné le 11 février 1957, à 5 h 10, dans la cour de la prison Barberousse à Alger. Apres lui, deux militants nationalistes algériens, Mohamed Ben Ziane Lakhnèche et Ali Ben Khiar Ouennouri sont également décapités.

Les atrocités commises durant la guerre d'Algérie sont évoquées avec justesse et précision, de même que l'engagement de Fernand pour la cause d'une Algérie indépendante et la violente affirmation de soi d'Hélène, sa femme. Évitant les très nombreux drames de la mauvaise conscience, le film porte l'accent sur un couple broyé par l'histoire comme vingt ans plus tôt  Vivre au paradis (Bourlem Guerdjou, 1998) où un Algérien entreprenant et altruiste devenait un solitaire replié sur lui-même pour obtenir un appartement dont sa famille finissait par se désintéresser. Ici c'est sur Hélène que se déploie la lumière du film.

La lumière d'Alger

Fernand est l’origine de cette histoire, mais c’est sur Hélène que s’abat le drame. Après avoir quitté la Pologne, elle vit seule avec son fils, ayant quitté son premier mari volage et violent. Elle n’hésite pas à larguer les amarres une nouvelle fois pour plonger avec lui dans l’inconnu. Hélène épouse Fernand mais garde son indépendance d’esprit. Elle résiste à ce gouffre de violence qui semble s’ouvrir sous leurs pieds, à la logique de l’escalade, elle défend la préciosité de la vie.

Le cœur du film est ainsi la vie brisée de ce couple aux idées généreuses et ayant le goût de la vie et de l'indépendance, aussi bien pour eux-mêmes que pour les pays qu'ils habitent. Le film est un peu trop sagement structuré autour des flashes-back, d'abord pris en charge par Hélène puis par Fernand lors du procès. La visite de nuit dans Alger du couple jusqu'aux premières heures du matin et le lever de soleil sur la baie d'Alger est l'une des plus belles séquences. Elle fait regretter un traitement qui aurait pu être plus franchement mélodramatique tel Le temps d'aimer et le temps de mourir de Sirk.

Une documentation solide

Scénarisé par Hélier Cisterne et Katell Quillévéré, sa compagne, également cinéaste, le film s'appuie sur le roman éponyme de Joseph Andras, pseudonyme d’un mystérieux auteur qui refusa le prix Goncourt pour ce roman avant d'accepter le prix Goncourt des Lycéens 2016. Son roman s'appuie sur le livre enquête, Pour l'exemple - L'affaire Fernand Iveton de Jean-Luc Einaudi, basé sur le témoignage d’Hélène Iveton.

La bombe de Fernand Iveton n'a pas explosé et était prévue pour ne faire aucune victime. Mais en pleine « bataille d’Alger », où les bombes provoquent la mort de plusieurs Européens, les autorités de l’époque veulent faire un exemple. Fernand Iveton est arrêté, torturé, condamné à mort. N'ayant pas tué, Iveton croit à sa grâce. Mais son recours est refusé le 10 février 1957 par le Président de la République René Coty, après avis défavorable du Garde des Sceaux, François Mitterrand, et du président du Conseil, Guy Mollet. En 1956, en tant que ministre de la Justice, François Mitterrand était vice-président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui examinait les recours en grâce et procédait à un vote. Le 24 mars 1994, devenu Président de la République, il reçoit trois journalistes. Comme ils lui demandaient: « Qu'avez-vous voté sur le dossier Iveton ? », François Mitterrand leur avait répondu: « Je ne peux pas vous le dire.» Jean-Claude Périer, secrétaire du CSM de 1956 à 1959, révéla aux trois journalistes que F. Mitterrand avait voté la mort. L’ouverture des archives de la Chancellerie a confirmé depuis qu’il avait bien donné son accord au Président de l’époque, René Coty, pour l’exécution d’Iveton, à Alger. Sartre écrira un texte sur sa mort, Le temps des assassins, à postériori, Camus l’évoque aussi. Son exécution a sans doute servi plus tard à déclencher une grande pétition en faveur d’Abdelkader et Jacqueline Guerroudj qui seront graciés.

Jean-Luc Lacuve, le 26 mars 2021.

Source : dossier de presse