A double tour

1959

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Genre : Film noir

D'après le roman The Key to Nicholas Street de Stanley Ellin. Avec : Antonella Lualdi (Léda), Jacques Dacqmine (Henri Marcoux), Madeleine Robinson (Thérèse Marcoux), Jean-Paul Belmondo (Laszlo Kovacs), Jeanne Valérie (Elisabeth Marcoux), André Jocelyn (Richard Marcoux), Bernadette Lafont (Julie, la bonne), László Szabó (L'ami de Laszlo). 1h27.

Un grand domaine dans les collines d'Aix-en-Provence. Henri Marcoux y vit avec sa femme et ses deux enfants. La couple Marcoux est désuni, Henri a une jeune maîtresse italienne, Léda. Léda est assassinée. C'est Laszlo, l'ami hongrois de la jeune femme, qui identifie le coupable.

Troisième film de Chabrol, formellement nettement plus ambitieux que les deux premiers comme l'indique déjà l'étrange et strident générique, détaillant, on ne le comprend que plus tard, l'intérieur artiste de Leda avant de faire défiler les noms sur une cible de couleur. Dans cette violente satire anti-bourgeoise, Chabrol se désintéresse en effet de l'intrigue policière pour affirmer un cinéma moderne, virtuose et dérangeant.

Chabrol et le flash-back

Le film est structuré autour de deux flashes-back, les premiers du réalisateur, qui deviendront la figure formelle la plus reconnaissable de son cinéma.

Le premier flash-back est le plus étonnant. Il débute après une violente dispute entre les deux époux. Thérèse est prostrée sur le lit. Off, Henri parle de Leda : "Ce matin, je suis allé la chercher pour que nous nous promenions dans la campagne" et toute cette première partie sera baignée d'un éclairage hollywoodien et des couleurs exubérantes de la nature. Le retour de la promenade se poursuit par le contrechamp de la scène du déjeuner entre Lazlo et Thérèse. Lorsque Henri entre dans le cadre, les voix se font caverneuses et un fondu enchaîné nous projette à la fin du déjeuner nous montrant cette fois le départ de Henri pour Aix avec Leda et non plus celui de Lazlo. Le couple rencontre Lazlo et son ami à Aix, ils reviennent ensemble faire la fête dans l'appartement de Leda avant la sortie du flash-back. Celui-ci mêle donc vision mentale, contrechamp d'une situation vue auparavant, accélération de celle-ci, rencontre avec des personnages vus dans une autre situation et retour sur Thérèse, prostrée sur son lit qui écoute la fin du récit de son mari.

Le second flash-back, décrivant la mort de Leda est, en apparence, plus classique. L'action décrite a pourtant lieu au moment du récit de premier flash-back et la sortie, avec la course de Richard et le cri du paon effrayé, est travaillée. Deux éléments servent en effet l'intrigue : la course est vue par l'ami de Lazlo qui en informe celui-ci qui pourra ainsi confondre Richard et le paon effrayé avait été vu au sein du premier flash-back.

Un film peu aimable

Violente satire anti-bourgeoise, A double tour présente quelques analogies avec le Boudu de Jean Renoir. Jean-Paul Belmondo imite Michel Simon à la fin du premier flash-back. Et surtout, Lazlo refuse tout savoir-vivre (il mange en faisant du bruit, défait gratuitement et méchamment les mailles du tricot d'Elisabeth, se saoule constamment, n'est qu'à moitié amoureux de la fille d'Henri). Henri n'est pas plus sympathique, toujours hésitant et cruel à l'occasion ("Ma pauvre Thérèse, tu ne peux plus rien, ton règne est fini. Tu ne me fais plus que pitié ma pauvre vieille"). Thérèse et ses enfants sont confinés dans leur petitesse bourgeoise et Leda est une figure trop abstraite pour être attachante. Plus dégénérés encore, madame Leboeuf, la vieille bourgeoise d'Aix et le jardinier qui lorgne sur Julie, la belle servante, interprétée avec sensualité par Bernadette Laffond.

La bande-son est aussi très dissonante, pas seulement par ses thèmes principaux, mais aussi parce qu'elle est brisée par la musique classique de Richard (Sérénade en si bémol majeur de Mozart puis Roméo et Juliette de Berlioz), le lyrisme facile "à l'américaine" du flash-back mental et le jazz endiablé chez Leda.

Le personnage de Belmondo inspirera Godard dans A bout de souffle qui donnera à Michel Poiccard en fuite la fausse identité de Laszlo Kovacs. Il développera aussi les monologues du personnage dans la voiture dans le genre de ceux qu'il énonce ici en arrivant à Aix.

Jean-Luc Lacuve le 28/08/2010