Love streams

1984

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(Torrents d'amour). Avec : Gena Rowlands (Sarah Lawson), John Cassavetes (Robert Harmon), Diahnne Abbott (Susan), Seymour Cassel (Jack Lawson), Margaret Abbott (Margarita). 2h18.

Robert Harmon est un écrivain à succès qui fréquente danseuses, chanteuses et prostituées et les bars de nuit à la recherche de l'inspiration. Il Harmon rentre chez lui en compagnie de Charlène, sa secrétaire, et de la fille de celle-ci, Renée, alors que sa maison est envahie de jeunes femmes s'ébrouant gaiement sans lui accorder beaucoup d'attention. Il tente de savoir auprès de Joanie quel est "son secret".

Sarah Lawson est sur le point de conclure son divorce d'avec Jack et attend la juge avec sa fille Debbie. Alors qu'elle va obtenir l'argent demandé et la garde de sa fille, elle annonce qu'elle va partir à New York et Huston visiter des gens malades et qu'elle ne compte donc pas accorder son droit de visite à Jack. Elle lui reproche ses aventures. Il lui reproche son comportement fantasque, ses internements successifs de cliniques en cliniques.

Robert Harmon est retourné dans le bar gay où il avait entendu chanter la belle Susan. Il peine à lui faire croire qu'il va écrire un livre sur elle et la raccompagne très ivre chez lui avant qu'elle ne se ressoude à accepter qu'il la raccompagne chez elle… où il se brise le nez sur les marches de l'escalier. C'est la mère de Susan, Margarita, qui prend soin de lui.

Chez le juge, c'est maintenant Sarah qui est en retard. Mais cette fois Debbie demande à vivre avec son père, las, dit-elle d'une vie de visiteuse de malades qu'elle mène avec sa mère.

Sur les conseils de son médecin, Sarah part pour un séjour en Europe, qu'elle écourte rapidement. Lorsqu'elle téléphone à Jack, il lui dit qu'il s'en fou ce qui génère chez Sara une envie de meurtre. Mais, en même temps qu'elle se voit tuer Jack en voiture, elle tue aussi Debbie.

Robert se voit confier la garde, du samedi matin au dimanche 14 heures, de son jeune fils, Albie, âgé de huit ans. Celui-ci est immédiatement effrayé par toutes les jeunes femmes qui peuplent l'appartement de son père et s'enfuit. Robert le rattrape en voiture et renvoie avec un chèque toutes ses femmes, Mary, Annette, Phyllis, Joanie et même Charlène et Renée, de la maison. Au matin il offre un verre de bière à son fils et met fin au rêve de celui-ci de le voir revivre avec sa mère, mal mariée mais qui a un nouveau fils de son mari. Arrive alors Sarah que Robert embrasse et qui fait de nouveau peur à Albie sans qu'il sache trop qui elle est alors que Sarah dit l'avoir vu naître. Robert laisse Sarah s'installer chez lui et part avec Albie à Las Vegas pour être seul avec lui. Il l'abandonne pourtant aussitôt pour jouer et partir en virée avec des jeunes femmes. Lorsqu'il revient au matin, Albie pleure et veut rentrer chez sa mère. Le soir, Albie est de retour à Los Angeles. S'enfuyant du taxi, il se rue sur la porte de chez lui et se fait saigner au visage. Son père adoptif, constatant son état, tabasse immédiatement Robert. Albie dit alors enfin qu'il l'aime à son père.

En rentrant, Robert abandonne aussitôt Sarah pour retrouver Susan et sa mère. Sarah téléphone à Jack qui voudrait bien qu'elle revienne mais uniquement pour élever Debbie. Sarah se rend au bowling et en revient avec Ken. Robert a lui été viré de la maison de Susan où il dansait avec Margarita tout en buvant abondamment.

Pour qu'il trouve un équilibre, Sarah projette d'offrir à Robert un substitut de bébé, un être vivant à aimer. Debbie téléphone à sa mère pour dire qu'elle la hait. Sarah demande à parler à Jack qui se fait insulter par Robert. Le matin suivant Sarah débarque avec Jim le chien, deux chevaux miniatures, une chèvre, deux poules et ses poussins et un canard

Devant l'attitude désapprobatrice de Robert, Sarah s'écroule dans une syncope où elle se voit dans un cauchemar tenter de faire rire à tout prix Jack et sa fille puis, sur une scène d'opéra, jouer le drame de la séparation d'avec Jack où sa fille, déchirée, finit par chanter qu'elle aime ses deux parents.

Durant son malaise, Robert est allé chercher le docteur qui diagnostique un cas grave dû à un dérèglement psychique. Mais Jack ne veut pas entendre parler d'internement, sa soeur est seulement "doucement dingue". Et, alors que l'orage gronde, il fait rentrer tous les animaux dispersés dans le jardin pour qu'ils réconfortent Sarah. Lui-même voit un homme étrange dans son salon. C'est la belle âme de Jim le chien qui veille sur lui et Sarah.

Sarah se réveille et, s'appuyant sur son rêve de réconciliation, déclare vouloir rentrer à Chicago pour renouer avec Jack et Debbie. Robert tente vainement de la dissuader. Mais Sarah a appelé Ken qui vient la chercher sous l'orage. Elle projette de passer la nuit avec lui avant son départ. Jack reste seul.

Un homme, une femme. L'un et l'autre traversent une crise grave. Sarah Lawson, au comportement parfois fantasque, a toujours cru à l'amour. Elle a consacré presque toute sa vie à son mari, Jack, et à sa fille, Debbie, mais leur mariage n'a pas résisté à sa soif d'aimer. Sa soif d'un amour continu ("L'amour est un flux. Il est continu.. Il ne s'arrête pas") se heurte au prosaïsme de la vie. Elle a besoin de séjours réguliers en cliniques pour retrouver son équilibre. Robert Darmon ne tient debout que par son talent d'écrivain qui lui fait désirer obtenir de belles femmes qu'elles lui livrent leur secret, ce qui les fait vivre. Un tel aveu permettant à la relation d'exister. Mais il ne l'obtient ni de Joanie, ni de Susan, peut-être seulement de sa mère, Margarita, qui aime se parer pour danser. Quand son ex-femme lui confie Albie, il peine à lui expliquer ce que signifie être un homme singulier. Il n'y parvient qu'au bout des larmes et du sang, celui répandu sur le visage de son fils, celui dû aux coups qu'il reçoit du père adoptif de celui-ci.

Tardivement, Cassavetes révèle que Sarah et Robert son frère et sœur. Un profond amour, une intime complicité semble les avoir toujours liés. L'un comme l'autre retrouve le confident qui lui manque en ces moments difficiles. "La vie est une suite de suicides, de divorces, de promesses non tenues, d'enfants bousillés" dira Robert. Mais l'un comme l'autre continueront sur la voie qu'ils se sont tracé. Sarah donne son amour jusqu'aux gens malades qu'elle va visiter. Robert reste seul à la recherche du mystérieux secret de toutes les belles femmes ("Chez toutes les belles femmes il y a un secret... L'intéressant est de faire sortir ce secret, qu'elles vous le livrent d'elles-mêmes... Si une femme que tu aimes ne te livre pas son secret, alors cette part restera à jamais morte pour toi.")

Pour mettre en scène ce double drame, la caméra épouse les élans des personnages. Elle se fait aussi cruellement objective, ainsi le plan long en aller et retour dans le jardin de Jack avant qu'il ne rabroue Sarah au téléphone à Londres. Le plan s'approchant de la fenêtre alors que Sarah, ne supportant pas la solitude où Robert l'a laissée, boit avant de partir au bowling est aussi caractéristique de ces palns agissant par vagues successives de virées vers un bonheur improbable qui se brise sur le réel. Robert finit souvent les soirées le visage en sang, meurtri, battu alors que les trois séquences fantasmées (voiture, piscine, opéra) disent l'exil du monde de Sarah.

Après Gloria, John Cassavetes revient ainsi à un cinéma bien plus autobiographique. Adapté d'une pièce de théâtre signée Ted Allan et mise en scène par le cinéaste en 1981 (avec Gena Rowlands et Jon Voight), le film est, de manière détournée, le bilan du couple Cassavetes-Rowlands et se déroule en grande partie dans leur propre maison, où l'on retrouve les décors de Faces et les quelques tableaux peints par le réalisateur.

Bien qu'il s'agisse d'une importante production, l'œuvre n'en souffre pas, Cassavetes ayant eu les mains libres. Acquise trois ans et demi plus tôt par le duo Menahem Golan et Yoram Globus, la Cannon avait besoin d'un sérieux lifting pour redorer le blason d'une société essentiellement tournée vers la série B fauchée. Le tandem décide alors de financer les films d'auteur reconnus et prestigieux tels que Jean-Luc Godard, Robert Altman, Norman Mailer et John Cassavetes.

Cassavetes obtient deux millions de dollars. Le script final de Love streams ne voit le jour que la veille du tournage en mai 1983. Inspiré de la tempête de William Shakespeare que Cassavetes avait relu pour interpréter le rôle principal du film éponyme de Paul Mazurski, Love streams est, aux dires même du réalisateur, son film le plus autobiographique et le plus douloureux (sa mère décède en effet six semaines avant le premier tour de manivelle). Prévu pour être incarné par John Voight à l'origine, que Cassavetes se voit contraint d'évincer, le rôle masculin principal lui échoit à deux semaines du tournage ce qui l'oblige à refondre le personnage pour l'adapter à sa personnalité

C'est alors la consécration du public et de la critique car le film est considéré comme étant la somme de toute une carrière. Présenté avec succès au festival de Berlin en 1984, Love streams obtient l'Ours d'or.

 

Jean-Luc Lacuve le 2/5/2010