Que le diable nous emporte

2017

Avec : Fabienne Babe (Camille), Isabelle Prim (Suzy), Anna Sigalevitch (Clara), Fabrice Deville (Fabrice), Jean-Christophe Bouvet (Tonton). 1h37.

Camille, belle femme dans la quarantaine, ramasse le téléphone que Suzy a perdu dans une gare dans le Sud de la France. Quand Suzy appelle son propre numéro, elles conviennent d’un rendez-vous chez Camille à Paris car le train de celle-ci est en partance. Durant le voyage, Camille découvre sur le téléphone de Suzy plusieurs petits films érotiques où Suzy se caresse dans des lieux publics. A peine arrivée à Paris, Camille reçoit Suzy, impatiente de retrouver son téléphone. Suzy explique à Camille qu'elle a des dizaines d'amants et aime expérimenter diverses pratiques sexuelles. Excitées par cet échange, les deux jeunes femmes font bientôt l'amour. C'est alors que survient Clara, la compagne de Camille qui se joint à elles et accepte de filmer leurs ébats comme elles avaient commencé à le faire.

Dans la soirée les trois jeunes femmes sont interrompues par Fabrice, l'amant éconduit de Suzy, ivre, qui essaye de ramener la jeune femme à lui. Pendant que Camille emmène Suzy se cacher dans un appartement au-dessus du leur, où loge déjà l’étrange «Tonton », vieux sage épris de yoga, Clara tâche de calmer Fabrice qui fait un esclandre dans la rue. Elle le désarme pour lui éviter d'être embarqué par la police et le ramène en taxi chez lui. Au matin, elle l'a déshabillé et couché confortablement sur un canapé. Elle a rangé son appartement et préparé le petit déjeuner. Elle tente de le séduire mais Fabrice n'en démord pas : il aime Suzy et ne veut rien faire d'autre et notamment pas se remettre à l'écriture du livre sur la musique qu'il a pourtant presque fini.

Pendant ce temps, Suzy découvre les étranges pouvoirs de lévitation et de téléportation de Tonton et l'art érotique de Camille. Celle-ci mélange les images du cosmos aux étreintes lascives de jeunes femmes prises avec le téléphone. Camille explique à Suzy combien Clara l'a sauvée d'une déchéance certaine. Sa mère et son beau-père, trop confiants dans les pratiques érotiques libérées, l'avaient livrée, dès son plus jeune âge, aux sévices sexuels d'adultes qui allaient jusqu'à lui introduire des serpents dans le sexe. Les soins attentifs de Clara lui avaient permis de sublimer ce traumatisme. Camille est cependant encore très fragile et dépend entièrement de Clara, affectivement et financièrement. Elle redoute la visite de sa mère et de son beau-père qui viennent discuter de l'héritage de son père. Pendant la visite de ceux-ci, Suzy qui se dit lasse de ses pratiques érotiques transgressives qu'elle trouve laides, profite de l'enseignement de Tonton : « Ce sont les plus grands pécheurs qui sont les plus proches de Dieu.

Clara est revenue aupres de Fabrice qui s'est remis à boire de nouveau. Mais cette fois, Clara ne le lâche plus et l'oblige à finir son livre tout en parvenant à le séduire. Clara revient chez elle avec Fabrice. Elle a toutefois la désagréable surprise de constater que Suzy et Fabrice tiennent encore l'un à l'autre. Qu'à cela ne tienne, ils vivront tous les trois ensemble puisque Camille s'en est finalement allé, ayant hérité de la clinique psychiatrique de son père dans le Sud. Mais, au petit matin, Clara rit de façon sardonique : au-dessus du lit où ils ont passé la nuit à trois, seuls Suzy et Fabrice lévitent, enlacés.

"Nous ne savons pas où nous allons, alors laissons le diable nous emporter". Cette phrase de Pouchkine, inscrite au début du film, ne résonne guère tout au long de son déroulement tant c'est bien la sublimation par l'art et les bonnes intentions que célèbre Jean-Claude Brisseau.

Aux vidéos de rencontres furtives dans des lieux publics prises par Suzy avec son téléphone, Camille oppose ses images d'étreintes érotiques sur fond de galaxies en mouvement. Suzy exprime sa lassitude et sa tristesse devant ses images qu'elle trouve laides alors qu'elle approuve sans réserve les images de Camille. Peut-être que si Brisseau avait eu les moyens de tourner de façon satisfaisante en 3D, aurions nous été convaincus par le jugement de Suzy. Les supposées sublimes images érotico-cosmogoniques sont, en l'état, plutôt kitsch.

Coté pratiques sexuelles, même rabat du coté de la morale la plus conventionnelle. Suzy se dit lasse de ses rencontres avec de multiples amants de passage. Elle se montre classiquement jalouse lorsque Fabrice semble avoir trouvé une autre partenaire. Ainsi, c'est dans le couple réifié qu'elle lévitera au final du film.

Seule, peut-être, Clara est emportée par le diable dont elle a le rire sardonique quand, in fine, elle constate que toutes ses bonnes intentions, son dévouement ne sont pas payés de retour puisqu'elle se retrouve éloignée du véritable amour de Suzy et Fabrice, lévitant au-dessus d'elle.

Jean-Luc Lacuve le 8 février 2018