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L'heure du loup

1968

Voir : Photogrammes du film

(Vargtimmen). Avec : Max von Sydow (Johan Borg), Liv Ullmann (Alma Borg), Gertrud Fridh (Corinne von Merkens), Erland Josephson (Baron von Merkens), Ingrid Thulin (Veronica Vogler), Naima Wifstrand (la vieille femme au chapeau), Lenn Hjortzberg (Kreisler), Mikael Rundquist (le garçon du rêve), Mona Seilitz (la fausse Veronica, faussement morte). 1h30.

Le peintre Johan Borg s'est isolé en compagnie de sa femme Alma sur la petite île frisonne de Bältrum. Son épouse se souvient des premiers temps de leur arrivée où tout était magnifique sur cette île quasi-sauvage parsemée de pommiers en fleurs.

Les maux de son esprit perturbé font de Johan un artiste qui doute, tant sur le plan de la création artistique que sur celui de s'adapter à la société et à rendre heureuse sa femme. Seule, Alma fait le ménage quand une vieille dame venue de nulle part lui suggère de lire le journal intime de Johan. Alma y découvre les fantasmes et les troubles de l'âme de son mari et y apprend l'existence de Veronica Vogler, une ancienne maîtresse dont il garde toujours le souvenir.

Johan et Alma sont invités par le baron von Merkens, le propriétaire, à une soirée qu'il donne en leur honneur à son château. Lors de ce dîner mondain, Alma est totalement effacée alors que Johan est exhibé comme une bête curieuse.

Malgré l'indifférence qu'il manifeste à son égard, Alma tente de venir en aide à son mari en essayant de s'imprégner de sa souffrance. Il lui révèle que ses cauchemars surgissent à "l'heure du loup", moment où la nuit précède les premières lueurs de l'aube et où, d'après les Anciens, les forces maléfiques décuplent leurs pouvoirs, Son incapacité à engendrer un enfant, la peur de l'homosexualité, l'humiliation subie devant les invités du château, après un simulacre macabre où il retrouve Veronica, accroissent la folie du peintre. A l'aube, en proie à une nouvelle crise, il part se réfugier dans le bois où des fantômes, hommes-oiseaux, l'assaillent.

Alma s'interroge sur sa façon d'aimer Johan, sur son échec à le protéger et constate combien son désir de lui ressembler après une vie passée en commun était terriblement vain.

Comme dans Persona, une nouvelle Alma tente de soigner un être en proie à l'angoisse. Comme dans Persona aussi, la mise en scène se veut, à certains endroits, nettement visible afin de provoquer distanciation pour l'élaboration d'un discours critique. Dès le générique, on entend ainsi les techniciens au travail. "Silence on tourne" annonce-t-on juste à la fin du générique. On aura droit également à la narration frontale de l'histoire par Alma, assise devant une table et à une minute décomptée en temps réel par Johan pour montrer la matière du temps.

Une large part des faits rapportés sont les phantasmes de Johan. C'est ce qu'indiquent les cartons au début du film : " Alma, en lisant le journal intime de Johan, découvre les fantasmes de son mari qui sont la base de ce film. " L'apparition érotique de Veronica Vogler est toutefois le seul passage réellement filmé comme la narration d'un fantasme. Il est enchâssé entre Alma qui ouvre le journal intime puis le ferme et surexposé en blanc.

Il est probable que l'assassinat de l'enfant, avoué à Alma par Johan durant l'heure du loup, en soit un également ainsi que la seconde visite de Johan chez les von Merkens. Il voit là se concrétiser l'une des deux visions terribles qu'il avait raconté à Alma comme étant pour lui impossible à peindre : la femme au chapeau qui, lorsqu'elle le retire, enlève aussi son visage. La surcharge d'oiseaux derrière le baron prépare également la seconde vision cauchemardesque que Johan ne peut concrétiser dans sa peinture : celle de l'homme oiseau. Cette vision, préparée ici (von Merkens "vole", marchant un mur et au plafond), entraînera la mort de Johan à la fin du film.

Le statut de l'apparition de la vieille femme en blanc qui annonce à Alma que le journal de Johan est caché sous le lit dans une sacoche est plus problématique. A-t-elle 76 ans et non 216 comme un lapsus le lui fait dire ou est-elle la mort elle-même ? Cette seconde hypothèse trouve sa confirmation dans sa réapparition, vêtue de noir cette fois, sous l'apparence de la femme au chapeau lors de la seconde visite de Johan dans la demeure des von Merkens. La femme au chapeau et l'homme-oiseau seraient ainsi deux nouvelles figurations de la mort chez Bergman, l'une et l'autre fantasmées par Alma et Johan. Les fantasmes-rêves-prémonitions d'Alma sont seulement moins noirs et ont des conséquences moins fatales que ceux de Johan.

"Un homme qui rêve qu'il est artiste n'est un artiste que dans ses rêves" dira plus tard Bergman. Il oppose ici, à la figure de l'artiste stérile, le génie de Mozart. C'est d'une part la représentation de La flûte enchantée dans un spectacle de marionnette réduit à sa plus simple expression (un théâtre miniature éclairé pour une seule figurine statique pendant que les spectateurs écoutent un passage de l'opéra). A ce moment seulement, tous les personnages semblent avoir retrouvé dignité et apaisement. L'impossibilité pour Johan d'atteindre ce génie est à l'origine de son cauchemar d'homme- oiseau qu'il a déclaré être la transformation cauchemardesque du Papageno (le chasseur d'oiseaux) de La flûte enchantée

Le film se révèle ainsi nettement plus pessimiste que Persona où le mutisme de l'actrice s'explique sans doute par le sentiment soudain de la vanité du monde (bonze immolé vu à la télévision) et où les images finales indiquent à la fois la guérison et la présence de l'art (immense statue et plateau de cinéma). Ce passage de la conception au cauchemar sans concrétisation artistique s'explique sans doute par l'éducation qu'a reçue Johan. Ses terreurs ne le quittent plus depuis cette punition où, enfant, il a été enfermé dans la penderie et terrorisé par un lutin imaginaire puis sortant au grand jour, il a reçu le bâton de son père sous les yeux de sa mère.

Même traumatisante, cette scène reste la matrice de son pouvoir créateur et c'est pourquoi il exige d'Alma qu'elle reste éveillée avec lui durant cette heure du loup " Dans une heure ce sera l'aube et je pourrai dormir. Les anciens l'appelaient "L'heure du loup", celle où meurent la plupart des gens où naissent la plupart des enfants. A présent c'est celle de nos cauchemars et si nous sommes éveillés, nous avons peur. " Johan semble ainsi se droguer à la peur dans l'espoir de créer mais il ne rencontre que la peur d'enfanter (le meurtre de l'enfant), la peur de la sexualité (les deux fantasmes avec Veronica), voir de l'homosexualité (la gifle sur la falaise).

Jean-Luc Lacuve, le 05/01/2005.

critique du DVD
Editeur : Opening. Novembre 2007. VOST
critique du DVD

Edition double DVD avec La honte dans le coffret Bergman

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