Titli, une chronique indienne

2014

Genre : Drame social

(Titli). Avec : Shashank Arora (Titli), Shivani Raghuvanshi (Neelu), Ranvir Shorey (Vikram), Amit Sial (Pradeep), Lalit Behl (Le père), Prashant Singh (Prince). 2h07.

Dans la banlieue de Delhi, Titli, benjamin d’une fratrie de braqueurs de voitures, poursuit d’autres rêves que de participer aux magouilles familiales. Ses plans sont contrecarrés par ses frères, qui le marient contre son gré. Mais Titli va trouver en Neelu, sa jeune épouse, une alliée inattendue pour se libérer du poids familial…

analyseTitli est l'histoire d'une métamorphose, celle qui conduit deux jeunes adultes de leurs illusions à un équilibre précaire au sein d'une société indienne qui ne leur laisse pourtant que peu de chances de bonheur.

De la chenille au papillon

Titli, prénom indien, signifie "papillon". En réponse à une question de Neelu, Titli répondra que sa mère souhaitait une fille après la naissance de ses deux frères ainés, et qu'à défaut, on lui a au moins donné un nom de fille (les genres ne doivent pas correspondre aux nôtres en Inde). Mais Titli est  aussi l'histoire d'une métamorphose : celle d'une chenille se tortillant pour survivre en un beau papillon dont une femme peut être amoureuse. Titli a observé combien pouvait être beau ce regard de femme amoureuse lorsqu'il accompagne Neelu voir Prince. Ce regard de Titli sur Neelu mangeant sa glace et dévorant des yeux son amant, pourtant bien banal, n'est probablement pas pour rien dans sa métamorphose. En retour, cette métamorphose s'opère sous les yeux de Neelu qui constate sa détermination grandissante : il la convainc de lui casser la main et dénonce ses frères.

Si on ne l'a pas appelé "Cheval" ou "Chien", comme s'en amuse Neelu, c'est aussi que Titli n'est pas fait pour le monde du capitalisme sauvage de New Delhi en pleine mutation elle aussi. Un plan discret montre Titli observant un papillon se brûlant à la lumière d'une ampoule. In fine, Titli renonce à changer de camp, celui des oppresseurs qu'il ne manquerait pas d'intégrer s'il gérait son parking. Il en vomit de dégoût pour revenir, replantant, vers Neelu. Les deux plans de la grande baie vitrée où il reste solitaire et du parking, tout aussi vidé de présence humaine, ne valent certainement pas pour lui de sacrifier son amour pour Neelu.

Le couple finit uni sur un scooter au milieu des voitures et des immeubles qu'ils ne peuvent encore s'offrir, s'engageant dans la voie bien fragile de la famille et de la réparation automobile.

Affreux sales et méchants

La chronique sociale de l'Inde contemporaine est en effet aspergée de vitriol. Le père, Vikram, Pradeep et leur copain garagiste (celui auquel ils revendent leurs voitures volées et qui les sort de prison au début) sont en effet des personnages dignes d'Affreux sales et méchants (Ettore Scola, 1976). Si le film peut devenir célèbre par ses deux séquences de coups de marteau, la première du moins est traitée sur un mode presque burlesque. Les deux frères ensanglantés essayant de convaincre Neelu que leur victime est encore vivante. Tout aussi burlesque ces lavages de dents où chacun extériorise sa virilité en crachant et éructant le plus possible ou la séquence du début entre gâteau à l'ananas et tabassage du livreur de meubles.

Cette fratrie, contrôlée en sous-main par un père intelligent et sournois bien qu'à en croire son lavage de dent plus très viril, tente de survivre dans son petit magasin d'épicerie qui sert de façade à ses actes de banditisme cruels (boucle d'oreille arrachée au lob de la femme). Ils sont aidés en cela par la corruption généralisée de la police et de la société : les voisins sont au courant de leurs petites affaires et les parents de Neelu, d'un abord si gentils et innocents, n'ignoraient rien de la situation de leur fille.

Seules les femmes sont épargnées dans ce jeu de massacre. Neelu, obstinée pour trouver le bonheur et surtout  Sangeeta, la femme de Vikram. Toutes deux, au bout de leur parcours, vont refaire leur vie en échappant au pouvoir des hommes, échappant à leurs contraintes financières et physiques et s'instituant au moins comme leurs égaux.

Jean-Luc Lacuve le 14/05/2015