Dernier maquis

2008

Avec : Rabah Ameur-Zaïmeche (Mao le patron), Christian Milia-Darmezin (Titi), Larbi Zekkour (L'imam), Mamadou Koita (Le chef du village), Salim Ameur-Zaïmeche, Abel Jefry, Sylvain Roume (Les mécaniciens), Mamadou Kebe (Muezzin). 1h33.

DVD

Au fond d'une zone industrielle à l'agonie, Mao, un patron musulman, possède une entreprise de réparation de palettes et un garage de poids-lourds. Il décide d'ouvrir une mosquée et désigne sans aucune concertation l'imam...

Au départ, le rouge des palettes n'est qu'une couleur et les palettes que des objets à déplacer. A la fin du film, le rouge des palettes est celui de la révolte et les palettes sont placées pour interdire l'entrée de l'entreprise au patron.

Rien de démonstratif pourtant dans le cinéma de Rabah Ameur-Zaïmeche ( R.A.Z.) mais une remarquable utilisation d'un lieu unique pour une dramaturgie qui dévoile peu à peu l'épaisseur des personnages : roublardise consommée de Mao et de l'imam, gentillesse touchante de Titi, efforts de concertation du chef du village et révolte des mécaniciens..

R.A.Z. donne une densité humaine à ses personnages en leur laissant toujours de l'avance par rapport à ce que sait le spectateur et qu'il doit apprendre petit à petit. L'action ne sert pas tant une démonstration politique avec des personnages marionnettes aux mains du metteur en scène qu'elle ne nous en apprend sur eux. Chaque séquence cache un mystère qui se révèle plus tard.

Une entreprise sous contrôle

Qui est ainsi ce personnage qui se promène au sein des caristes et aide l'un d'eux à remettre des palettes tombées à terre ? Que fait-il à titiller les employés sur leurs heures d'arrivée et de départ semblant ignorer le fonctionnement de la pointeuse ? Ce n'est que petit à petit qu'il se révèle être Mao le patron de l'entreprise, gentil en apparence mais forcement roublard. Ainsi n'est-on pas étonné d'apprendre qu'il ne paye pas les heures supplémentaires et qu'il tente de convertir à l'islam ses ouvriers pour mieux les maintenir dans un état de soumission.

Qui est donc cet ouvrier censé connaître le Coran auquel s'adresse Titi et qui lui répond que la joie et la foi suffisent à faire un bon musulman ? Ce discours chaleureux et ouvert n'est-il pas la garantie d'un imam de qualité, inspiré et tolérant, que Mao a raison de placer à la tête de la mosquée qu'il a construit ? Titi et les ouvriers ne se montrent-ils pas présomptueux et ingrats à le refuser comme imam ? Pourtant l'imam s'avérera bien être un serviteur zélé de son patron qu'il leurrera d'ailleurs en lui faisant croire qu'il a les ouvriers sous son contrôle.

Qui est donc ce Titi qui veut être nommé Imam alors qu'il vient tout juste de se convertir et qu'il ne connaît rien à la religion ? De quoi parle-t-il lorsqu'il rabroue ses camarades qui s'enquièrent de savoir s'il l'a fait ? On comprend bien vite qu'il veut se circoncire lui-même et qu'il s'en évanouira de douleur le lendemain. Il apprendra par la suite l'inanité de son geste. Mao refusera à juste raison de faire passer son acte pour un accident de travail. Ces tentatives dérisoires ne l'empêchent pas de vouloir construire une nouvelle mosquée, dernier maquis caché dans les palettes. Il suffira à R.A.Z. de quelques plans pour la construire : un râteau qui enlève des détritus du sol, des tapis posés sur ce sol nettoyé et un panoramique ascendant qui vient cueillir au sommet des palettes, le chanteur appelant à la prière. Coup de chance, prémédité ou non, un avion s'élève dans le ciel à cet instant.

Le dernier maquis est social et non religieux

C'est donc bien plus la profondeur de ses personnages que la démonstration politique que travaille R.A.Z. en premier lieu avant de faire intervenir les incidents qui vont conduire à la révolte. C'est d'abord l'épisode du ragondin dans le garage, sorte d'intrusion amusante grotesque, révélatrice du mauvais état de l'entreprise mais qui, couplé au retour de l'animal dans la nature vient se placer comme un épisode qui excède le conflit de classe qui va se nouer. Celui-ci se révèle dans la décision brutale de Mao de fermer le garage. Les ouvriers prennet alors la mesure de la réalité du rapport de classe que Mao avait cherché à minimiser.

Le mouvement descendant du panoramique dans la nuit, est inverse du panoramique ascendant de la première prière dans la mosquée de palettes. Le mouvement ascendant débouchant sur un ciel lumineux était fallacieux puisque, tout de suite après, Mao entraînait le chef des manœuvres pour négocier une misérable augmentation. Celui qui, de nuit, descend du haut des palettes vers les chariots élévateurs ajustant les blocs de palettes qui fermeront l'usine dit que le vrai combat est social et non pas religieux.

Fin du panoramique ascendant ( voir : élévation)
Fin du panoramique descendant ( voir : sur terre)

Les tapis vert couleur de l'islam ont moins leur place dans l'entreprise que le rouge des palettes, cette fois symbole de la révolte à mener.

Jean-Luc Lacuve le 06/11/2008

 

Test du DVD

Editeur : Arte Editions. Mai 2009. 20 €.

Suppléments :

  • Autour de R.A.Z de Gilles Guillaume (0h10).
  • Mamadou Koïta chef du village des manoeuvres de Timothée Alazraki (0h09)
  • Libé Labo - Analyse filmique d'Eric Loret et Richard Poirot (0h06).