La captive

2000

D'après le roman de Marcel Proust. Avec : Stanislas Merhar (Simon), Sylvie Testud (Ariane), Olivia Bonamy (Andrée), Liliane Rovère (Françoise), Françoise Bertin (La grand-mère), Aurore Clément (Léa, actrice) Vanessa Larré (Hélène), Samuel Tasinaje (Levy), Anna Mouglalis (Isabelle), Bérénice Bejo (Sarah). 1h58.

Un jeune homme, Simon, regarde un film muet en super 8, souvenirs de vacances heureuses au bord de la mer : des adolescentes s'ébattent sur une plage et l'une d'elles se dirige vers la caméra jusqu'au gros plan… Aujourd'hui, la jeune femme, Ariane, vit avec Simon dans un somptueux appartement parisien, dont certaines pièces sont en réfection. Le lieu est tenu par Françoise, une gouvernante discrète. La grand-mère du jeune homme habite également là. Simon, qui est possessif au plus haut point, veut tout savoir de celle qu'il aime, de ses pensées, de la manière dont elle passe ses journées, de ses rencontres. Il la suit partout, la soumet à de multiples questions. Ariane lui répond toujours mais de façon évasive, avec une réserve et, sans doute, des mensonges qui intriguent et provoquent Simon. Par ailleurs, Ariane se soumet sans passion aux moments d'intimité amoureuse que lui impose le jeune homme.

Ce dernier demande à une amie commune, Andrée, qui ne le laisse d'ailleurs pas insensible, de l'aider à surveiller Ariane et de l'accompagner le plus possible dans ses déplacements. Simon comprend que sa compagne est attirée par les femmes et qu'elle se rend parfois à des rendez-vous amoureux, comme ces rencontres avec Léa, une cantatrice. Certains éléments l'autorisent même à suspecter une liaison entre Andrée et Ariane. Il se sent désarmé face à la double vie qu'elle semble mener et qui l'angoisse de plus en plus. Il décide alors que leur relation doit s'arrêter là et le fait savoir à Ariane, qui en paraît bouleversée. Lors d'un voyage au bord de la mer, alors qu'il est question d'un possible nouveau départ pour eux deux, le couple se retrouve dans un palace mais Ariane s'enfuit dans la nuit et va se noyer. Le lendemain, Simon, parti avec un pêcheur, ramène le corps de celle qu'il aimait et qui lui a définitivement échappé.

C’est un souvenir de La Prisonnière, antépenultième tome de "La recherche du temps perdu" de Proust, plus que le roman lui-même, qu’adapte Chantal Akerman. Le film se déroule à l’époque contemporaine, et les personnages n’ont pas le même nom, Albertine et le narrateur devenant Ariane et Simon. Une façon aussi, en l’actualisant, de dire que ce que décrit Proust excède de loin le monde de cocottes, gigolos, aristocrates en déclin et bourgeois en essor de La Recherche

Lors de la premère séquence, le film projetté en super-huit rappelle le temps perdu de Balbec. Jacques Rancière y voit là : "le tort premier du héros de vouloir humaniser, individualiser en objet d'amour la pure jouissance qu'offrait au regard la tâche indistincte et mobile des jeunes filles sur la plage", tentative émouvante aussi de vouloir déchiffrer sur ce film muet les paroles "Je vous aime bien". A partir de là, comment éviter de penser que le narrateur serait probablement devenu fou s'il n'avait trouvé dans la création artistique de quoi investir la prolifération des signes qui l'accablent ? Cette scène confronte la projection cinématographique avec la projection amoureuse sur l'être aimé. Ariane est prises dans le rêve d'un autre, dans les filets du délire jaloux et obsessionnel de Simon.

Le film subjugue par l'élégance des acteurs, des dialogues et des décors, par le mystère maintenu jusqu'au bout de savoir si Ariane est sensible aux avances des autres femmes et si elle est amoureuse de Simon.

Exceptionnel aussi, ce culot de représenter l'amour, selon Proust, par un acte de masturbation sur un corps (faussement ?) endormi. Il faut y voir là, selon Rancière, "une tentative impuissante pour supprimer la différence des corps". La malédiction de la séparation des sexes, condamnés à disparaitre chacun de leur côté, empêche en effet le narrateur de jamais vraiment croire que l'amour puisse représenter une véritable solution à l'angoisse devant la fuite du temps.

Beau tricotage romanesque enfin avec les souvenirs du drame vécu par Swann évoqués par la course dans les restaurants ou la recherche des prostituées.

Le décalage entre le livre et le film suscite aussi moultes questions :

Si Françoise et Andrée ont conservé leur nom quel sens donner aux choix de Ariane (facile) et de Simon (plus dur) ?

A ce stade du roman, la grand-mère n'est-elle pas morte ? La scène de la plage du début est-elle aussi un essai raté de création artistique? renvoit-elle à la scène finale ou Simon arrive de la mer face à la plage ? (Certainement, si j'en crois Rancière : Ariane retourne à l'indistinction de la mer d'où sa figure "humaine" avait surgi). A quelle scène du livre renvoyer le questionnement sur l'homosexualité avec les deux jeunes filles ?

Bibliographie : Jacques Rancière dans "Les Cahiers du cinéma".

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