My blueberry nights

2007

Avec : Norah Jones (Elizabeth), Jude Law (Jeremy), David Strathairn (Arnie), Rachel Weisz (Sue Lynne), Natalie Portman (Leslie), Cat Power (Katya). 1h35.

Dans un petit bar bondé de New York, Jeremy le patron demande à ce que son interlocutrice au bout du fil lui décrive le client qu'elle veut voir non par son nom mais par ce qu'il est susceptible de manger. Plus tard dans la nuit alors qu'il va fermer, la jeune femme, Elizabeth, revient l'interroger et apprend que son petit ami était ce soir là accompagné dune autre femme puisque Jeremy a servi deux plats à sa table.

Après cette rupture douloureuse, Elizabeth se lance dans un périple à travers l'Amérique, laissant derrière elle une vie de souvenirs, un rêve et Jeremy, son nouvel ami tout en cherchant de quoi panser son cœur brisé. Occupant des emplois de serveuse, Elizabeth se lie d'amitié avec des clients dont les désirs sont plus grands que les siens : un policier tourmenté et sa femme qui l'a quitté, une joueuse dans la déveine qui a une affaire à régler.

Rarement sans doute on aura assisté à une telle adéquation entre le sujet du film : une jeune femme qui se constitue à partir de désirs plus grands que les siens et une mise en scène qui se déploie à partir d'un lieu confiné pour finir par embrasser l'Amérique entière.

Cette adéquation entre forme et sujet permet aux grands mouvements d'appareil de Wong Kar-wai d'embarquer son spectateur dans une émotion intense que viennent soutenir la musique, la couleur et des thèmes visuels inlassablement répétés comme autant de messages d'amour en attente d'une réponse qui ne manque pas d'avoir lieu dans un bouleversant final.


Un road movie tendu par une force de rappel

Le parcours d'Elizabeth consiste à fuir l'appartement où elle a vécu heureuse avec son amant qui vient de la quitter pour qu'elle puisse le retrouver ou l'oublier. Elle parcourt Memphis, Las Vegas et le Tennessee avant de revenir constater que l'appartement qu'elle quitta est maintenant à louer et que son cœur ne souffre plus. Son voyage lui a donné l'occasion d'assister au spectacle des abîmes de la solitude et du vide. Il lui a surtout permis une exploration d'elle-même qui l'a profondément changé. Elle peut alors traverser la rue et offrir son amour à Jeremy qui lui, sans bouger, c'est débarrassé du poids de son passé.

Si le voyage comme une fuite pour se retrouver soi-même est le thème majeur du road movie, Wong Kar-wai le met d'autant mieux en évidence qu'il le déploie à partir de son point d'ancrage : le bar de new York. Nul besoin alors de longs plans de déplacement. Ceux-ci n'interviendront que dans l'ultime partie dans le Nevada. Le déplacement s'exprime auparavant, condensé, dans ces plans de texte indiquant le nombre de jour et de kilomètres parcourus depuis le départ.

 

My blueberry nights

Si Elizabeth souffre du vide de son âme et y remédie par le voyage, Jeremy est une figure de l'attente qui souffre du trop plein. Il est d'abord filmé seul au milieu d'un bar qu'on verra toujours presque désert mais qui doit être bondé si l'on en croit son air débordé au téléphone. Elizabeth viendra toujours le retrouver dans ce moment de calme de sortie des poubelles qui précède la fermeture.

Le pot de verre rempli de clés exprime ses désirs en attente, ces clés sont comme autant d'histoire d'amour possible, de portes ouvertes qu'il ne veut pas fermer. Mais, à l'image de celle de Katya, sa dernière petite amie, elle est un rêve sans doute illusoire. Il encombre aussi sa carte d'une tarte aux myrtilles que personne ne vient jamais goûter avant qu'enfin Elizabeth ne la choisisse. Jeremy y adjoindra une glace à la vanille qui le fera fondre d'amour lorsqu'elle reste en partie sur les levres d'Elizabeth endormie qu'il embrassera sous le regard de la caméra de surveillance.

La crème blanche s'écoulant au milieu de la confiture rouge montée parallèlement au métro, fenêtres vertes, filant à pleine allure la nuit est l'une des figures proposées par Wong Kar-wai dès les plans d'ouverture ou dès le titre, pour exprimer le parcours des personnages. D'une part, un amour qui se déclare et se répand immédiatement et, de l'autre, un voyage à faire avant de revenir.

Ces signes à destination du spectateur avant que les personnages n'en ait conscience Wong Kar-wai les distille aussi généreusement . C'est la caméra vidéo, prétexte à déformations de couleurs, flous, accélérés et ralentis traduisant les dérèglements émotionnels du au sentiment amoureux. Ce sont aussi les ellipses temporelles qui ne gardent des soirées de Jeremy que les retours d'Elizabeth à la sortie des poubelles tentant de savoir si quelqu'un a demandé après ses clés. Ce sont les portes qui se ferment ou que l'on décide de ne pas ouvrir.

C'est enfin ce magnifique travelling, aussi haché qu'échevelé, qui saisira Jeremy, revenu d'une pause lyrique où filmé en vidéo sur la musique de Nora Jones, il mangeait un sandwich. Alors que la musique stoppe nette, la camera se déplace parallèlement à Jeremy se rendant derrière le comptoir ou s'est endormie Elizabeth. Depuis l'arrière de la paroi vitrée séparant la salle du comptoir, la camera s'arrête pour fixer le visage d'Elisabeth, elle se décale ensuite balayant lentement l'espace confiné de l'arrière comptoir, de la droite vers la gauche avant de revenir dans le mouvement inverse. La musique se fait de nouveau entendre pour saisir à nouveau le visage d'Elizabeth que Jeremy vient embrasser en gros plan obscurcissant l'écran. Lorsqu'il retire sa tête, on voit de nouveau les lèvres d'Elizabeth qui semble répondre au baiser par un sourire. Le plan se fond alors au noir. Le lendemain, Jeremy nous apprendra qu'Elizabeth est partie.

 

Un film à sketch unifié par des thèmes visuels

Après ce premier segment si intense dans le bar, le spectateur s'interroge sur sa possibilité de s'intéresser à la suite des aventures d'Elizabeth. Une fois qu'elle a rejoint Memphis, on doute un instant de s'intéresser à la figure d'Arnie, alcoolique impénitent

C'est compter sans l'entrée époustouflante de son épouse, Sue Lynne. Wong Kar-wai utilise là à nouveau ces plans qui n'appartiennent qu'à lui : l'entrée au ralenti d'élégantes jeunes femmes au destin tragique hantées par le jeu ou l'amour impossible puis ces travellings sur écran large, en partie masquée par un pan de mur ou un rideau, effectués pour la plupart dans un sens puis dans l'autre pour une ressaisie du personnage principal dans le milieu du plan.

L'histoire d'Arnie et de Sue Lyne se densifie rapidement par le retour des thèmes visuels déjà présent dans le premier segment. Les travellings donc mais aussi des accessoires récurants de plus en plus chargés de sentiments non plus la tarte et les clés mais l'ardoise d'Arnie et ses jetons d'alcoolique. Là aussi un plan magnifique viendra clore leur histoire. Après le retour en dentelles noires ajourées de Sue Lyon suite au suicide d'Arnie dans le bar, elle se met à boire et doit être raccompagnée dans la rue par Elizabeth.

Un contre champ depuis un poteau en face nous alerte avant un retour au dialogue qui nous apprend que nous sommes face au lieu de l'accident mortel d'Arnie que Sue vient de désigner aussi comme l'inoubliable lieu de leur rencontre. Le travelling se déplace alors pour montrer le poteau couvert de fleurs que nous avions vu précédemment avec la voiture encastrée d'Arnie.

Le troisième segment reprend les thème du jeu, du mensonge et du pari explorés par Wong Kar-wai dans 2046. C'est la voiture, aussi souvent arrêtée qu'en mouvement, qui assure ici la figure unificatrice.

 

Jean-Luc Lacuve le 09/01/2008