Mischka

20O2

Genre : Road movie
Thème : La famille

Avec : Jean-Paul Rousillon (Mishka), Jean-François Stévenin (Gégène), Rona Hartner (Joli Coeur), Salomé Stévenin (Jane), Jean-Paul Bonnaire (Müller), Yves Afonso (Robert), Claire Stévenin (Sa femme), Patrick Grandperret (Le père de Jane), Robinson Stévenin (Le garçon aux menottes), Pierre Stévenin (Léo), Roger Knobelspiess (Le pompiste), Jean-Paul Bonnaire (Muller), Johnny Hallyday (Lui-même). 1h56.

En gros plan, des lettres, une carte postale, des lignes de la main. Et puis le titre, Mischka, qui s'envole de la main pour se figer sur un paysage de champ de blé. En voix off, une adolescente de 15 ans, Jane, raconte qu'elle est en fugue, partie de chez sa mère avec son petit frère pour rejoindre son père sur la côte landaise. Nous les découvrons aux environs d'Auxerre.

Un gros homme sur la route des vacances part avec son fils, sa belle-fille et leurs deux jumelles. Gros, mal rasé, une robe de chambre passée sur un short, il est confiné dans le coffre de la voiture duquel on le descend pour qu'il fasse ses besoins. Il gêne. Robert, le fils l'abandonne plus ou moins volontairement sur une station d'autoroute. Interné quelques jours dans un hospice, il est pris d'amitié par un infirmier déjanté, Gégène, qui le surnomme Mischka, et lui procure un fauteuil roulant pour s'évader avec lui. Gégène a un plan : traumatisé par son "putain de divorce", il voudrait parler à sa fille, Delphine. Mischka pourrait lui servir d'intermédiaire en se présentant à elle comme son grand-père qu'elle ne connaît pas, Gégène était resté fâché avec lui jusqu'à sa mort, ignorée de tous.

Ce premier plan de rencontre familiale échoue. Mischka se sent dépassé par sa mission et Gégène se saoule au Ricard pour ne pas avoir à rencontrer sa fille comme il le fait, l'apprendra-t-on plus tard, chaque fois que l'occasion pourrait se présenter. C'est alors que, pour éviter la curiosité des gendarmes, l'adolescente de tout à l'heure s'invente un papy, trouvé là : Mischka.

Avec Mischka, Jane et son frère, Gégène se réinvente une famille. Il pourrait même tomber amoureux d'une Gitane pétulante et rockeuse, Joli-cœur, qui accompagne bientôt le quatuor. Il y a aussi Müller, l'ancien infirmier de l'hospice, vieux garçon qui habite à la ferme chez sa mère et que Gégène martyrise doucement, exploitant un traumatisme lié à la guerre. Müller qui se jette à l'eau dès qu'il entend un hélicoptère qui pourrait être celui de Johnny Hallyday parti à sa recherche car, explique-t-il, il était le premier que Johnny a vu lorsque, pompier volontaire, il était présent lors d'un grave accident du chanteur.

Réunie un soir magique auprès d'un feu de camp près de la rivière, la famille de hasard doit pourtant se décomposer sous le coup des forces de rappel des familles biologiques. Jane veut retrouver son père ; la rencontre aura lieu mais ce sera un échec. Mischka et Gégène, comme sortant d'un cauchemar, se retrouvent également à Blaye où Mischka rejoint son fils et sa belle-fille. Ce troisième plan de rencontre familiale se termine dans la même désolation que les deux premiers.

Le film est éminemment solaire, gentil et généreux alors que tous les personnages du film sont salement amochés par la vie. Il n'y a nulle volonté chez Stevenin de critiquer qui que ce soi et même de démontrer la bonté de certains personnages ou détriment de d'autres. Ainsi lors de la scène où Mischka, Gégène, Jane et son frère, Joli-cœur et un ami de celle-ci déjeunent au camping. Robert essaie, alors sincèrement mais à contre-cœur, de récupérer son père. L'œil goguenard et affligé de sa nouvelle famille suffit à le mettre hors-jeu. Il n'est de famille que celle que l'on se crée car il n'est d'amour que lors de rencontres improvisées et magiques.

Il met en scène des personnages cassés qui trouvent des raisons d'espérer en se confrontant les uns aux autres et qui génèrent de l'amour par la seule énergie de leurs jeux, parfois cruels et puérils. Parce que les personnages sont sans mémoire (elle les fait souffrir comme en témoignent certaines déchirures sonores du film) et sans morale (ils ont dû, trop de fois, jouer avec), ils sont poussés les uns contre les autres et prennent, comme des ultimes moments de grâce la chance, d'être parfois ensemble.

Stevenin inscrit ses personnages dans l'immense nature. Le soleil de l'été permet une très grande profondeur de champ ; la route étant très souvent présente en arrière plan des personnages sur l'aire d'autoroute ou à la station service par exemple. Et surtout les ciels, omniprésents, décuplent la liberté dont les personnages sont porteurs, leur dimension de clochards célestes ou de mythe vivant : je pense bien sur à l'apparition de Johnny (Müller ne mentait pas), pissant de dos au bout d'un champ, le ciel occupant la moitié de l'écran.

Lles séquences se déroulent dans des espaces limités pouvant se prêter à un plan séquence mais le film est très découpé. Lorsque Jane discute avec Joli-cœur, bricolant la voiture en panne de Müller intervient un jump-cut (des images retranchées dans un plan, lors du montage). On note aussi des trouées mentales : l'orangeade bien chaude, "je serai toujours ta maman", les cris qui précèdent le départ de Gégène et Mischka pour Blaye.

Ce film terrien où l'on n'aime pas le poisson (les anguilles ou les gambas) mais la bière, le saucisson, les frites et les andouillettes est ainsi parfois baigné par l'air des cimes lorsque l'on vole magiquement au-dessus des vignes en fauteuil roulant, que l'on aperçoit un coucher de soleil ou une montgolfière, lorsque l'hélicoptère de Johnny arrive où qu'est filmé son concert en contre-plongée. Ces trouées d'air, cette énergie que le film nous appelle à dépenser sont d'autant plus impératives que le film ne nous ment pas sur la fin de la route qui nous attend. Mischka se retrouvera seul : Gégène n'a plus d'yeux que pour la tante de Jane, celle-ci va retourner chez sa mère et Joli-cœur partira aussi.

Le générique final, ces plans de caméra ou de micro solitaires dans l'immense nature font écho au trajet des personnages et rappellent que le cinéma aussi est un voyage.

Jean-Luc Lacuve 10/03/2002