Dans un jardin qu'on dirait éternel

2018

(Nichinichi Kore Kôjitsu). Avec : Kiki Kirin (Professeure Takeda), Haru Kuroki (Noriko), Mikako Tabe (Michiko), Mayu Harada (Tadoroko). 1h40.

Yokohama. Noriko a dix ans quand elle revient dépitée d'une séance de cinéma où ses parents l’ont entrainé. Plutôt que La strada auquel elle n’a rien compris elle aurait préféré un Disney.

Noriko  a maintenant vingt ans. Heureuse d’aller à l’université, elle ne sait néanmoins pas à quoi elle consacrera sa vie. Ses parents et sa cousine Michiko lui proposent de s’initier à la cérémonie du thé. Noriko se laisse finalement séduire par les gestes ancestraux de Madame Takeda, son exigeante professeure. Elle tente une  carrière dans l’édition, même en ayant échoué au concours qui lui aurait donné un accès autre qu’un travail en indépendante. Elle admire sa cousine qui va en Europe, travaille dans l’import-export puis préfère se marier avec un médecin qui lu assurera une vie confortable avec des enfants.

Noriko a maintenant 30 ans et pratique assidûment la cérémonie du thé auprès de Madame Takeda qui recrute de nouveaux élèves qui abandonnent lorsqu'elles se marient ou qui se révèlent bien plus douée qu’elle. Noriko encaisse sans broncher une remarque désobligeant de Madame Takeda qui trouve son geste de la main grossier et lui demande de s'impliquer davantage. Elle doit aussi faire face à l’infidélité de son fiancé et préfère alors renoncer au mariage.

Madame Takeda a bientôt 82 ans et sent sa fin prochaine, savourant d'autant plus chaque instant comme si c’était le dernier. L’avertissement ne vaut hélas pas pour Noriko qui décline une visite de son père pour se rendre à un autre rendez-vous. Or son père est bientôt hospitalisé et Noriko ne peut lui dire au revoir.

Elle continue la cérémonie du thé ; un après-midi, elle entend la pluie tomber et dans un flash mental voit son père sur la plage ; elle peut enfin lui dire adieu alors que tombe la pluie et qu'elle sait apprécier chaque jour et chaque instant

On avait tout à craindre d'une adaptation d'un essai traduit en français sous le titre La cérémonie du thé ou comment j’ai appris à vivre le moment présent (Marabout, 2019). Ce n’est cependant pas un manuel de développement personnel qu’avait publié Noriko Morishita en 2008 au Japon mais un essai autobiographique dont le cinéaste garde le titre original désignant un lieu de repli préservé des imperfections de la vie.

La dramaturgie évacuée

La cérémonie du thé n'apparaît pas comme garant d'une sagesse qui viendrait à bout de tout mais comme un rituel protecteur qui permet de trouver apaisement dans des gestes réconfortants, des valeurs simples : la cuisine, la chaleur d'une communauté et des exercices à répéter avec minutie. Noriko ne réussit pas son concours en allant prendre le thé la veille de celui-ci, pas plus qu'elle ne comprend sur le moment qu'il faut prendre le temps d'une dernière rencontre avec son père.

Dans ce film où la dramaturgie est évacuée, les instants d'émotion surgissent avec le retour tous les douze ans du bol commémorant l’année du chien, le retour des saisons, celui de la photographie du maitre et des aphorismes qui entourent le plus célèbre ; « ce jour est un bon jour ».

Tracer sa Strada

Noriko n’est pas la plus douée des élèves de la professeure Takeda mais elle tire joie d’approfondir son chemin. Le plus émouvant pourtant est de la voir changer, vieillir avec le temps tout en persévérant sur son chemin, loin encore de la minéralité qui semble éternelle du jardin ou de Takeda.

Peut-être aurait-il été plus satisfaisant pour Noriko d’aimer La Strada (Fédérico Fellini, 1954) à dix ans plutôt que d’attendre quarante ans pour ne plus pouvoir regarder le film sans pleurer en ayant, comme Zampano, pris conscience que chacun a sa place dans le monde et regretter d’avoir si mal traité Gelsomina. La cérémonie du thé ne permet pas de gagner quelque chose qui lui serait extérieur mais seulement d’intensifier le moment présent. Même si l’émotion n’a pu être vécue à un moment, il n’est pas trop tard pour la revivre dans ce jardin.

Jean-Luc Lacuve, le 4 septembre 2020