Vivre sa vie

1962

Voir : photogrammes
Genre : Drame social
Thème : Prostitution

Avec : Anna Karina (Nana Kleinfrankenheim), Sady Rebbot (Raoul), André S. Labarthe (Paul), Guylaine Schlumberger (Yvette), Gérard Hoffman (Le chef), Monique Messine (Elisabeth), Brice Parain (Lui-même). 1h25.

Carton : "Il faut se prêter aux autres et se donner à soi même. Montaigne

1 Un bistrot - Nana veut abandonner - Paul - L'appareil à sous.

Paris. Accoudée au bistrot, Nana s'interroge sur la meilleure façon de prononcer "Qu'est ce que ça peut te faire ?" à Paul qui se dit triste alors qu'elle avoue être méchante. Mais elle est amoureuse et Il est cruel avec elle. Il ne l'aide pas à réussir à faire du théâtre. Elle a l'espoir de faire des photos. Lui continue la musique et lui reproche de ne pas être persévérante. Elle voudrait être considérée comme quelqu'un de spécial. Elle a récemment cherché du travail. Paul pense qu'elle le quitte parce qu'il n'a pas assez d'argent. Il  s'occupe de leur enfant. Nana pense que les parents de Paul sont ravis de la voir partir. Elle est vendeuse dans un magasin de disques Pathé marconi. Elle fréquente Paul, un journaliste raté, avec qui elle a eu un enfant que, d'un commun accord, ils ont placé en nourrice. Nana s'ennuie et pourtant elle éprouve toujours de la tendresse pour Paul. Ce mois-ci, il manque deux mille francs à Nana pour payer sa chambre.

Devant le flipper Paul raconte pourquoi une jeune élève de son père de huit ans a dit pourquoi elle préférait la poule: la poule est un animal qui se compose de l'extérieur et de l'intérieur. Si on enlève l'extérieur, il reste l'intérieur. Et quand on enlève l'intérieur alors on voit l'âme.

2 Le magasin de disques - Deux mille francs - Nana vit sa vie

Dans le magasin sur les Champs-Elysées, un client cherche un disque de Judy Garland ou de Raphaël Romero. Elle va chercher les disques et demande vainement 2 000 francs à une collègue. Celle-ci lui lit une histoire d'un magazine à l'eau de rose pendant que la caméra panote à 180° sur la rue saisissant des passants.

3 La concierge - Paul- La passion de Jeanne d'Arc - Un journaliste

La concierge devant son impossibilité de s'acquitter de son loyer lui interdit l'accès de l'immeuble. Nana rencontre de nouveau Paul qui lui donne des photos de leur fils. Le soir Nana va au cinéma voir La passion de Jeanne d'Arc. C'est un homme qui lui a payé la place. Elle l'abandonne devant un café où elle retrouve le photographe qui lui a donné rendez-vous là à 3h00 du matin. Il ne peut lui prêter 2000 francs et lui propose de faire des photos maintenant

4- La police - Interrogatoire de Nana

Nana Kleinfrankenheim, née le 15 avril 1940 en Moselle, est interrogée par la police. Nana a mis son pied sur un billet de 1 000 francs qu'une cliente avait laissé tombé devant un kiosque à journaux. Elle a rendu l'argent mais la femme a porté plainte ce que Nana trouve lamentable

5- Les boulevards extérieurs- Le premier homme- La chambre

Nana marche sur les boulevards extérieurs près de la porte Maillot au milieu d'autres prostituées. Un homme l'aborde. Il lui montre l'hôtel. Elle prend la chambre 27 et demande un peu au hasard 4000 francs à l'homme. Il lui laisse le billet de 5000 francs. Elle accepte de se mettre nue mais pas d'être embarrassée sur la bouche. Ce à quoi l'homme la contraint pourtant.

6- Rencontre avec Yvette - Un café de banlieue - Raoul - Mitraillade dehors

Plus tard, Nana se promène sur les boulevards où elle rencontre une amie, Yvette. Celle-ci, s'est d'abord prostituée à Brest quand son mari l'a quittée. Elle se dit pas responsable de ce qui lui arrive. Nana n'est pas d'accord : "Moi, je crois qu’on est toujours responsable de ce qu’on fait. Je lève la main, je suis responsable. Je tourne la tête à droite, je suis responsable. Je suis malheureuse, je suis responsable. Je fume une cigarette, je suis responsable. Je ferme les yeux, je suis responsable. J’oublie que je suis responsable mais je le suis. Non, c'est que je disais : vouloir s'évader c'est de la blague. Après tout, tout est beau, il n’y a qu’à s’intéresser aux choses et les trouver belles. Si, après tout, les choses sont comme elles sont, rien d'autre. Un message, c'est un message, des assiettes sont des assiettes, les hommes sont des hommes et la vie, c’est la vie".

Nana écoute Ma môme que Jean Ferrat passe au juke-box. Yvette la présente à Raoul qui l'insulte (vous avez l'air idiote, vous êtes mal coiffée) pour savoir si elle se met en colère (ce sera une pouffiasse) ou rit (ce sera une femme du mode). Nan rit. Mais une rafle interrompt brusquement cette rencontre.

7- La lettre - encore Raoul- Les champs Elysées

Grâce à une adresse communiquée par Yvette, Nana tente de trouver une place. Raoul la retrouve dans un café des champs -Elysées. C'est un souteneur. Elle demande quand est-ce qu'elle commence. Off : "C'est à l'heure où s'allument les lumières de la ville que commence la ronde sans espoir des filles de la rue".

8-Les après midi, l'argent, les lavabos - Le plaisir - Les hôtels

Nana vit sa première journée de prostituée. Rappel de loi du 24 avril 1946, et son obligation de contrôle médical. Une "passe" rapporte de 300 à 1 5000 francs et dure de 10' à une heure. Un "coucher" rapporte, de 10 000 à 50 000 francs pour une nuit. Taxe de 10 000 à 20 000 francs par jours à payer en fin de semaine au souteneur. 5 à 8 clients par jours entre 4 000 et 8 000 francs par jours mais parfois 60 clients les samedis ou veille de jours de fête

9- Un jeune homme - Luigi - Nana se demande si elle est heureuse

Nana suit Raoul dans un café. Elle rencontre Luigi qui lui achète des cigarettes.

10- Le trottoir - un type - Le bonheur n'est pas gai

Une passe avec Dimitri, photographe de mode, qui lui préfère Elisabeth.

11- Place du châtelet - L'inconnu -Nana fait de la philosophie sans le savoir

Portos, la première fois qu'il a pensé, il en est mort. On ne peut pas vivre sans parler. On doit arriver à bien s'exprimer. On est encore capable de comprendre Platon dont on ignore tout de la langue. Il faut penser et pour penser il faut parler, il faut communiquer. Nana revendique Une vie facile où l'on n'aurait pas besoin de parler. Brice Parain lui répond qu'on arrive à bien parler que lorsque l'on a renoncé à la vie pendant un certain temps. Parler c'est une résurrection. Parler c'est une autre vie que lorsqu'on ne parle pas pour vivre en parlant. Il faut savoir passer par la mort de vivre sans parler; regarder la vie avec détachement. La vie avec la pensée suppose que l'on a tué la vie quotidienne, la vie trop élémentaire.

Nana interroge de nouveau : "Est-ce que penser et parler, c'est pareil ?" Oui on ne peut distinguer ce qui serait penser et les mots dont on a besoin pour l'exprimer. Passer par l'erreur pour arriver à la vérité. "Qu'est-ce que vous pensez de l'amour ?" Il a fallu introduire le corps. Leibnitz parle des vérités contingentes à coté des vérités nécessaires. Dans la philosophie allemande, on pense avec les contingences de la vie réelle. "Est-ce que l'amour ne devrait pas être la seule chose vraie ?". On ne connait que des bribes de ce qui est vrai conclut Brice Parain.

12- Encore le jeune homme - Le portrait ovale - Raoul revend Nana

Luigi, avec la voix de Jean-Luc Godard, lit Le portrait ovale de Poe. "C'est notre histoire : un peintre qui fait le portrait de sa femme" explique Luigi-Godard. Des mots apparaissent à l'écran remplaçant les dialogues. Heureuse avec Luigi, Nana hésite à avouer à Raoul que c'est fini.

Celui-ci vient la chercher chez elle. Ils se disputent. Raoul a décidé de vendre Nana à deux gangsters. Ils ne veulent pas payer l'intégralité de la somme et sortent leurs revolvers. Raoul se sert de Nana comme un bouclier humain. Le gangster tire quand même. Raoul, dans sa fuite, lui tire une seconde balle à bout portant.

Présenté en douze tableaux, le film raconte l'histoire de Nana, vendeuse dans un magasin de disques qui, parce qu'il lui manque deux mille francs, sera expulsée de son appartement, se prostituera et sera tuée dans un affrontement final au moment d'être vendue par son souteneur.

Le film est dédié aux films de série B mais Godard voulait s'inspirer du style des Onze fioretti de François d'Assise de Rossellini qui renouvelait totalement la forme narrative des films à sketches. Il s’est appuyé sur le livre Où en est la prostitution ? de Marcel Sacotte, effectuant un véritable travail de recherche documentaire

Godard a toujours eu en commun avec Mizoguchi de penser que la prostitution est l'un des plus grands sujets du cinéma dans la mesure où c'est le modèle réduit et la métaphore de l'ensemble des rapports sociaux. C'est en observant la condition, la souffrance et les contradictions de ces femmes que Mizoguchi essaya de comprendre ce qui n'allait pas dans le monde et la société qui l'entouraient.

La prostitution est le motif du premier court-métrage de Godard, Une femme coquette, libre adaptation d'une nouvelle plutôt légère de Maupassant sur le sujet (Le signe) dont Godard envisagera l'adaptation pour Deux ou trois choses que je sais d'elle.

Godard a toujours défendu la thèse que l'on ne peut vivre dans nos sociétés sans se prostituer d'une façon ou d'une autre ne serait ce qu'en vendant sa force de travail à son patron, et que toute forme de prostitution en vaut une autre. Dans La Chinoise, une campagnarde interprétée par Juliet Berto se livre aussi à la prostitution occasionnelle pour arrondi les fins de mois des militants politiques où elle a trouvé sa place.

Dans ce film sur une prostituée, nous ne verrons de la nudité d'Anna Karina qu'un dos épuré.

Source : Godard au travail, Alain Bergala. Ed. Cahiers du Cinéma, 2006

Retour