Un été brûlant

2015

Avec : Monica Bellucci (Angèle), Louis Garrel (Frédéric), Céline Sallette (Élisabeth), Jérôme Robart (Paul), Vladislav Galard (Roland), Vincent Macaigne (Achille) et Maurice Garrel (Le grand-père). 1h35.

Frédéric, debout près d'une station service, hagard. Il se souvient d'Angèle, nue sur un lit, muette, mais dont les lèvres articulent des mots lui demandant de venir vers elle. Frédéric, yeux exorbités, conduit la nuit sur une route de campagne. Dans une ligne droite, alors qu'il roule déjà vite, il accélère encore. La voiture s'est fracassée contre un arbre, les circuits électriques clignotent encore. Frédéric, inanimé, est en sang. Paul vient de perdre Frédéric, son meilleur ami. Il se souvient...

Paul avait rencontré Frédéric à Paris par un ami commun. Frédéric est peintre et s'est installé à Rome qui ne semble ne pas l'inspirer. Il est marié avec Angèle, une actrice qui fait du cinéma en Italie. Aimante, elle lui retire une écharde du pied.

Pour vivre en attendant d'être acteur, Paul fait de la figuration. Sur un plateau, Paul rencontre Elisabeth qui est aussi figurante. Ils tombent amoureux. Paul gagne peu d'argent, occupant ses week-ends à vendre le journal, L'insurrection, sur les marchés. Alors qu'il souhaite présenter Elisabeth à, Frédéric celui-ci l'invite à venir avec elle à Rome.

A Rome, les deux femmes semblent un peu réticentes face à cette nouvelle amitié entre Frédéric et Paul. Ce dernier est fasciné par son nouvel ami, sa superbe maison, ses beaux tableaux, sa richesse qui lui permet de ne pas être obligé de vendre. Frédéric propose à Paul de rester chez lui le temps qu'il lui plaira. Angèle offre l'une de ses robes à Elisabeth.

Au cours d'une fête, Angèle danse langoureusement avec un bel inconnu. Frédéric lui reproche de jouer à la putain. Angèle s'enfuit dans la nuit, rattrapée par Elisabeth à laquelle elle explique que Frédéric est devenu méchant, qu'il lui reproche ses infidélités alors que c'est lui qui commencé à coucher avec des putains. La découverte qu'elle fit de lui discutant avec l'une d'elles l'a profondément marquée.

En rentrant, elle découvre une lettre de Frédéric qui s'excuse de sa grossièreté. Le couple se réconcilie, du moins Frédéric, qui refuse obstinément qu'ils se quittent. Elisabeth fait une crise de somnambulisme. Angèle obtient une critique favorable dans un grand journal pour son dernier film. Frédéric constate, comme Elisabeth l'avait fait un peu plus tôt, que Paul est amoureux d'Angèle.

Comme Frédéric en fait le reproche à Paul, survient Roland, l'assistant metteur en scène qui avait présidé à la rencontre de Paul et Elisabeth et qui est aussi ami avec Frédéric et Angèle. En fait, Roland est l'amant d'Angèle qui le rejoint le lendemain dans un hôtel de Rome.

Un après-midi, Angèle prétexte un mal de tête pour ne pas accompagner Paul, Elisabeth, Frédéric et Achille, un autre ami. Pendant que ceux-ci discutent de choses et d'autres à la terrasse d'un café ou au restaurant, Angèle rejoint Roland à l'hôtel puis lui demande de l'accompagner prier dans une église. Au retour de Frédéric, elle lui avoue avoir vu Roland et, sans lui dire qu'elle a couché avec lui, dit être attentive à sa demande de partir avec lui.

Angèle a quitté Frédéric pour partir avec Roland qui a fait d'elle la vedette de son premier film. Fréderic pleure et Paul tente de le réconforter. Se sentant délaissée, Elisabeth fait ses bagages et s'en va. Paul réussit in extremis à l'empêcher de prendre le train. Ils décident de rester ensemble à Rome, vivant à l'hôtel alors que Paul fait de la figuration. Fréderic se rend sur le plateau de Roland pour tenter de récupérer sa femme. En vain, il assiste seulement à une dispute entre l'actrice et son metteur en scène. Il veut faire un constat d'adultère pour qu'Angèle ne lui réclame pas la moitié de sa fortune. Paul l'en dissuade. Elisabeth est enceinte. Paul accepte qu'elle garde l'enfant. Ils quittent Rome et emménagent à Paris.

Léa, la fille de Paul et Elisabeth est née. Un soir à Paris, ils croisent Frédéric qui souhaite revoir son ami le lendemain. Il repousse toutefois son rendez-vous car il doit revenir le lendemain à Rome. C'est cette nuit là qu'il est victime de son terrible accident. Paul va voir son ami mourant à l'hôpital. Frédéric a encore le temps de lui murmurer qu'il s'est suicidé. Avant de mourir, Frédéric reçoit la visite du spectre de son grand père. Celui-ci lui explique par quelle chance miraculeuse il a échappé à la mort durant la résistance. Frédéric dit ne pas vouloir de cette chance puisqu'il a perdu sa raison de vivre, sa femme. Le spectre acquiesce.

Un été brûlant est probablement l'un des films les plus ambitieux de Philippe Garrel. Il rejoue à la fois l'un des plus beaux films du cinéma, Le mépris de Godard, tout en travaillant le thème de la dégradation de la condition humaine au travers de l'histoire de la résistance et de sa propre filiation, depuis son père, Maurice, jusqu'à son fils, Louis. Des dialogues souvent trop pauvres et un repli sur les valeurs les plus conformistes ne permettent toutefois pas, à notre avis, de transformer l'essai.

Les obsessions de Philippe Garrel fondues dans le moule du Mépris

Les points de convergence avec Le mépris sont tellement nombreux qu'il est difficile de ne pas voir la référence. Le film se déroule à Rome et concerne les milieux du cinéma ; de nombreuses scènes sont des disputes ; la femme du héros s'en va si ce n'est avec le producteur, du moins avec le réalisateur; l'accident de voiture qui clôt l'aventure ; Monica Bellucci nue dans le lit au début du film comme l'était Brigitte Bardot ; la base du malentendu est liée à une image indélébile : la portière ouverte par Paul pour que sa femme s'assoie dans la voiture du producteur dans Le mépris, Frédéric discutant avec une prostituée dans Un été brûlant. Dans les deux films, la présence de la caméra magnifie le plateau de cinéma, les statues grecques sont ici remplacées par des statues romaines, l'échappé à Capri est remplacée par celle dans une église.

Si dans Le mépris l'art rétribuait les imperfections de la vie, ici il est fait appel aux valeurs de toujours de Garrel : l'enfance avec la naissance de Léa et l'amour absolu avec le personnage de Frédéric.

Frédéric aime bien davantage que Paul-Piccoli dans Le mépris. Si Angèle garde l'image de sa rencontre avec la prostituée, il n'est jamais montré dans le film qu'il ait pu coucher avec d'autres femmes comme se le permet Angèle de son côté. C'est elle qui se sert de ce prétexte, image mentale indélébile (comme un rat dans son esprit tourmenté) pour vivre sa vie comme elle l'entend. Fréderic est un personnage retenu par rien d'autre que par l'amour qu'il porte à la femme avec laquelle il est. Protégé dès son enfance par la fortune de son grand-père, peintre doué sans être obsédé par la reconnaissance, il est épris d'un besoin absolu d'aimer. Paul, autre image de l'homme immature, a aussi besoin d'Elisabeth. Les deux hommes fonctionnent en miroir.

La tragique dégradation humaine.

L'épisode de l'attaque lors du film sur la résistance illustre cette fonction de miroir entre Paul et Frédéric. Paul est appelé à tirer avec son Luger une fois que sa mitraillette s'est enrayée. Il joue au cinéma un épisode vécu sous une forme plus radicale par le grand-père de Fréderic et dont celui-ci se souvient quand il discute avec le spectre à la fin du film. La mitraillette du grand-père s'était enrayée car elle avait reçue la balle tirées par le soldat allemand et lui avait ainsi servie de bouclier, lui sauvant la vie.

Parce qu'ils ne font pas la révolution, les hommes d'aujourd'hui sont condamnés à une forme de guerre dégradée, tel est sans doute le message politique de Garrel. L'expression spectrale et générationnelle est bien plus forte que les quelques allusions simplistes à la politique de Sarkozy (arrestation de sans-papiers, commentaires d'un article du Monde ânonnés par Paul).

En attendant la révolution, Garrel ne filme pourtant pas grand chose de la beauté qu'il appelle si ce n'est les signes extérieurs de bourgeoisie : belle BMW noire, murs monochromes, piscine la nuit. La voix off de Paul qui relie les grandes scènes de confrontations souligne aussi trop éloquemment les non-dits des personnages tant est si bien que le film semble ne plus être le réceptacle d'aucun mystère jusqu'à ce que surgisse enfin, mais un peu tard, le spectre du grand-père résistant.

Jean-Luc Lacuve le 02/10/2011.