Million dollar baby

2004

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Thème : Boxe au cinéma

(Million dollar baby). Avec : Clint Eastwood (Frankie Dunn), Hilary Swank (Maggie Fitzgerald), Morgan Freeman (Eddie Scrap), Jay Baruchel (Danger), Mike Colter (Big Willie), Lucia Rijker (L'Ourse bleue), Brian F. O'Byrne (Le père Horvak), Anthony Mackie (Shawrelle), Margo Martindale (Earline Fitzgerald). 2h12

Rejeté depuis longtemps par sa fille, l'entraîneur Frankie Dunn s'est replié sur lui-même et vit dans un désert affectif, en évitant toute relation qui pourrait accroître sa douleur et sa culpabilité. Le jour où Maggie Fitzgerald, 31 ans, pousse la porte de son gymnase à la recherche d'un coach, elle n'amène pas seulement avec elle sa jeunesse et sa force, mais aussi une histoire jalonnée d'épreuves et une exigence, vitale et urgente : monter sur le ring, entraînée par Frankie, et enfin concrétiser le rêve d'une vie. Après avoir repoussé plusieurs fois sa demande, ce dernier se laisse convaincre par l'inflexible détermination de la jeune femme. Une relation mouvementée, tour à tour stimulante et exaspérante, se noue entre eux.

Million dollar baby est une épopée de la déchéance et de la perte de l'espoir. Enveloppé par la voix d'outre-tombe de Eddie, le commentaire du film est délibérément littéraire. On ne comprend qu'à la fin qu'il s'agit d'une lettre écrite après coup.

Thématiquement et plastiquement, il poursuit le travail accompli dans Mystic river ou auparavant dans Bird. Dans ces films, tout aussi sertis dans le noir, les personnages ne pouvaient surmonter la mort de leur fille. Le film n'est qu'accessoirement un film noir avec la boxe dans le rôle du révélateur de l'être profond des individus. Plus sec, tranchant et violent qu'un mélodrame, Million dollar baby - exceptionnellement intemporel et peu situé géographiquement- fait remonter à la surface les malédictions contenues dans l'Ancien testament.

Million dollar baby trace le parcours épique d'un homme qui perd tout ; où le combat de la chair et de l'esprit se solde par un match presque nul, l'un ayant sombré et l'autre ne pouvant plus compter pour se réconcillier avec Dieu que sur la tarte au citron équivalent du grillon de Yeats.

Le poème de Yeats, lu par Frankie à Maggie durant son hospitalisation, propose le village irlandais d'Inisfree comme cadre d'un purgatoire où l'homme pourrait entendre le chant du grillon et y trouver le signe de la présence de Dieu. Ce poème ne peut manquer de faire penser à L'homme tranquille. Le film de John Ford se déroule en effet dans ce même lieu mythique et a pour personnage principal un boxeur traumatisé pour avoir involontairement tué son adversaire. Mais, autant le film de Ford, au Technicolor flamboyant, propose bien une rédemption du personnage, autant celui-ci, presque toujours charbonneux, s'en tient au texte du poète : s'il y a réconciliation, celle-ci ne viendra qu'après un dépouillement presque total.

Très sobrement, Eastwood montre par deux fois Frankie priant, au début le soir chez lui puis dans l'église. Ces scènes s'opposent à celles ou Frankie harcèle insolemment le prêtre et le met en demeure d'expliquer les mystères de la trinité et de l'immaculée conception. Ces croyances, imposées tardivement par l'Eglise catholique, John Ford n'aurait pas chercher à les affronter directement. Il se contentait de se moquer gentiment de certaines traditions d'un autre âge. Eastwood, fidèle en cela à ses westerns et policiers d'antan, en appelle à une autre conception divine, proche de l'Ancien Testament et donne ici une variation sur Le livre de Job.

La morale catholique est faite de bonne volonté et promet la récompense pour ceux qui auront accompli de bonnes œuvres. Le prêtre ne cesse de conseiller à Frankie d'écrire à sa fille pour obtenir la réconciliation. Celui-ci lui dit le faire chaque semaine sans que le prêtre (ou le spectateur) ne le croie. Puis viennent, comme le châtiment, les lettres retournées par la fille. Quels que soient les évènements qu'elle ne peut manquer de connaître, sa fille reste inflexible. On est bien loin ici de Absolute power où, comme ici, le père a dû être longtemps absent et susciter le désamour. En montrant sa présence lointaine aux moments importants (les photos) et en accomplissant sa fonction nourricière (il remplissait clandestinement son frigo) Eastwood récupérait alors l'amour de sa fille. Avec quelques plans brefs d'un bas de porte et une boite en carton, Eastwood dépouille ici Frankie de tout amour filial.

Ayant tout appris à son boxeur vedette, celui-ci le quittera pourtant. Eddie le remarque bien : Frankie est au bout du rouleau, recule sans frapper et ne veut pas prendre le risque de voir perdre son champion. La salle de sport, qui ne s'animait vraiment qu'au moment de la visite du champion, ne grouille bientôt plus que de boxeurs qui ont du cœur mais pas de technique (Danger) ou un cœur pas plus gros qu'un petit poids (Shawrelle). Le noir va alors envahir la salle, aidé en cela par Maggie qui n'arrive pour s'entraîner que la nuit, prise le jour par son job de serveuse.

L'espoir revient avec l'éclairage des combats. Maggie est toujours victorieuse mais trop rapidement. Le retour après la visite à la famille de montre Maggie et Frankie conscients que seul l'autre compte désormais pour chacun d'eux.

Relation symbolique de père et de fille, on se gardera bien ici de parler de transmission. La seule valeur que Frankie essaie de transmettre à Maggie est celle de la protection. Valeur impossible à tenir toujours, valeur de vieillard, ce que n'est évidemment pas Eastwood.

Si l'amour filial est évoqué dans le film c'est par ce plan très minutieusement mis en scène. Celui de la petite fille au chien dans la cabine du pick-up. La caméra, qui a saisi de face Maggie dans la station service, panote vers la gauche pour saisir Maggie dans l'encadrement des deux pompes à essence. Elle tourne la tête et salue la petite fille qui, dans le contre-champ lui renvoie son sourire. L'image de l'enfance heureuse, comme encadrée, qui est proposée là est celle d'un monde privilégié où le combat n'a nulle part. Monde simple, lorsqu'il n'est pas dévoyé par la misère, ce monde ne saurait être celui des adultes qui repose sur la technique et le savoir-faire dont pourtant Eastwood nous montre ici la vanité.

Jean-Luc Lacuve, le 30/04/2005

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