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Impression, soleil levant

1872

Impression, soleil levant
Claude Monet, 13 novembre 1872
Huile sur toile, 46 x 63 cm
Paris, Musée Marmottan

Impression, soleil levant, la toile qui a donné son nom à l’impressionnisme, est l’une des peintures les plus célèbres au monde. Pourtant, avant l'exposition que lui a consacrée le Musée Marmottan en 2014, le mystère semblait toujours grandir autour de ce tableau : Quand fut-il peint ? En 1872 ou en 1873 ? Que représente-t-il véritablement ? Un soleil levant ou un soleil couchant ?

Le tableau, très mal reçu lors de la première exposition impressionniste de 1874 pour sa forme que l'on trouvait alors trop relâchée a ensuite été presque oublié avant de devenir une icone de l'art pour la modernité de son sujet autant que pour sa facture.

Lieu et date d'un tableau

La date du tableau a été longtemps controversée. Alors que Monet avait ajouté « 72 » à côté de sa signature, l’auteur du catalogue raisonné de l’œuvre de Monet, Daniel Wildenstein, en 1975, faute de documents biographiques retraçant la vie de Monet en 1872, date l’œuvre du printemps 1873, date avérée d’un séjour de Monet au Havre.

En effet c’est dans cette ville, vraisemblablement depuis sa chambre de l’hôtel de l’Amirauté, sur le Quai de Southampton, qu’il a peint ce tableau, en une seule journée, comme le montre l’étude que le restaurateur Christian Chatellier en a faite. Il faut faire preuve de beaucoup d’attention pour identifier le port, les voiliers, les bâtiments et les rapprocher des plans et photos de l’époque.

Albert Wiltz. Le Grand Quai, le musèe-bibliothèque et l'anse des Pilotes, 1870.
Photographie panoramique collée sur carton, 21 x 56 cm. Le Havre, Bibliothèque municipale

Donald W. Olson, professeur de physique et d’astronomie à la Texas State University a observé tout cela avec soin. Ensuite il a mesuré la hauteur, la taille et la position du soleil à l’horizon. Il a consulté les bulletins météorologiques de l’époque et les heures de marées pour arriver à 6 dates possibles, la plus probable étant le 13 novembre 1872 à 7h35, un jour où le vent soufflait de l’est, comme le montre un panache de fumée, où il y avait du brouillard et où la mer était clapoteuse.

Le point correspond à l'emplacement de l'hôtel de l'Amirauté sur le Grand Quai et la flèche donne la direction du soleil tel qu'il apparait dans Impression, soleil levant. Pendant les trois ou quatre heures que dure la pleine mer, les écluses (H-R) sont ouvertes, permettant aux voiliers l'accès dans les différents bassins du port. Collection Donald Olson.

 

Impression, soleil levant

Au premier plan, se détache la forme d’une barque à godille actionnée par un personnage debout à l’arrière, tandis qu’une autre silhouette se tient assise dans l’embarcation. Un peu plus loin sur la gauche on aperçoit deux autres barques, plus vaguement esquissées. Mais c'est le soleil qui est le point central de la composition. Il se distingue par ses teintes chaudes et sa netteté, au milieu de l’atmosphère froide et brumeuse du port. Les fumées des usines brouillent ainsi la lumière du soleil naissant, modifiant atmosphère et couleurs, et donnant cette impression de fog londonien. Dans la masse, on aperçoit ainsi des cheminées d’usines fumantes ou de bateaux à vapeur, les gréements de bateaux à voiles, mais aussi, sur la droite, sur la quai courbe du port, des grues typiques des docks. La scène montre ainsi un port toujours en activité, spécialement à l’aube, représentatif du développement incessant du commerce maritime lors de la deuxième moitié du XIXe siècle.

C'est ainsi la modernité de la scène, qui n'exclut pas le point de vue poétique et fragile des barques au premier plan, qui retient Monet. Dans La Tamise et le parlement (1871), il avait déjà peint le brouillard résultat de la pollution industrielle. Monet y avait réussi, comme ici, à transmettre la saleté de la ville à travers le jeu subtil des gris et des bruns, avec des tons rosés dans le ciel faisant allusion à la lumière du soleil derrière la brume. Les structures horizontales et verticales soigneusement positionnées- la jetée au premier plan, le pont de Westminster à l'horizon et le palais de Westminster - ancraient la composition brumeuse dans la modernité de la capitale londonienne en pleine transformation. Pour transmettre le flou lumineux du ciel, Monet y utilisait une technique de brouillage, en utilisant de longs coups de pinceau qui contrastaient avec les coups de pinceau cassés qui suggèrent le clapotis des vagues et des reflets dans l'eau. Dans Impression soleil levant, la touche est plus libre, davantage redevable aux inventions de La Grenouillère de 1869.

 

Un tableau mal reçu en 1874

Le 15 avril 1874, quelques jours avant le salon officiel, eut lieu l’ouverture de la première exposition de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs (que l'on appellera plus tard la première exposition des peintres impressionnistes), dans l’ancien local du photographe Nadar, au 35 boulevard des Capucines à Paris. Monet y avait envoyé sept pastels, Impression, soleil levant et quatre autres tableaux :

Le déjeuner
Claude Monet, 1868
Les coquelicots
Claude Monet, 1873
Boulevard des capucines
Claude Monet, 1873

Les rares critiques présents s’intéressèrent plus à Degas et à Renoir qu’à Monet. De plus, pour ce dernier, ils s’attardèrent sur Le déjeuner et sur Boulevard des Capucines avant de mentionner le tableau que Monet avait nommé pour les besoins du catalogue Impression, soleil levant. Ainsi Léon de Lora, le critique du Gaulois, dans sa chronique du 18 avril

"M. Claude Monet a exposé un grand tableau, intitulé le Déjeuner, entièrement peint d’après nature, mais où le réalisme n’a rien que de fort attrayant. La table, couverte d’une nappe blanche chargée de flacons et de fruits, la mère soignant sa petite fille blonde, la figure de femme qui est adossée à la fenêtre, sont traitées avec un talent réel, et en d’autres temps une œuvre semblable ferait sensation. Des marines, des paysages, une esquisse brillante du boulevard des Capucines, et plusieurs croquis au pastel complètent l’envoi de M. Monet.

Pour autant, les critiques adressées aux artistes sont parfois féroces, particulièrement celle provenant du critique Louis Leroy. Inspiré par l'intitulé du tableau Impression, soleil levant, il forge le mot impressionniste pour se moquer du style des exposants dans son article "L'exposition des impressionnistes" dans le Charivari daté du 25 avril :

.— Ah! le voilà, le voilà! s'écria-t-il devant le no 98. Je le reconnais le favori de papa Vincent! Que représente cette toile? Voyez au livret
— «Impression, Soleil levant.»
— Impression, j'en étais sûr. Je me disais aussi, puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l'impression là-dedans... Et quelle liberté, quelle aisance dans la facture! Le papier peint à l'état embryonnaire est encore plus fait que cette marine-là!

Un autre critique écrit que « l’impression de Lever de soleil est traité par la main enfantine d’un écolier qui étale pour la première fois des couleurs sur une surface quelconque ». Bref à de rares exceptions, les critiques ne sont pas tendres avec ces œuvres « inachevées ».

 

Un tableau oublié puis devenu une icone de l'histoire de l'art

Impression soleil levant est acquis le mois suivant l’exposition par Ernest Hoschedé pour la somme de 800 francs (pour comparer, le prix d’entrée à l’exposition était de un franc). Il est revendu aux enchères en 1878 pour la somme de 210 francs à Georges de Bellio qui allait apporter un soutien vital à Monet en lui achetant un grand nombre de tableaux et en l’aidant financièrement.

A sa mort, sa collection revient à sa fille unique Victorine (1863-1958) et à son gendre, Eugène Donop de Monchy (1854-1942). Sans enfant, le couple décide de léguer sa collection au Musée Marmottan, du nom de son légataire. Celui-ci avait fait don en 1932 de son hôtel et de ses collections à l’Académie des beaux-arts. C’est ainsi qu’après la guerre, Impression entre dans ce musée avec d’autres chefs d’œuvre de Monet, beaucoup plus cotés, comme Le Pont de l’Europe-Gare Saint-Lazare, Le Train (effet de neige) et Tuileries

Entre sa première présentation en 1874 et son entrée au musée Marmottan en 1946, le tableau n’avait pas vraiment intéressé les musées et les marchands. Il n’était présenté qu’à l’initiative de Donop de Monchy, conscient de la valeur de ce tableau qui avait donné son nom à l’Impressionnisme. Le nom même du tableau n’était pas fixé. Alors que Monet l’avait nommé Impression, soleil levant, il était devenu en 1878 Impression, soleil couchant, puis Impression d’effet de brouillard ou encore d’effet de lune. Entre 1940 et 1959, l’œuvre apparaît encore dans les inventaires de l’institution – comme dans de nombreux ouvrages – sous le titre Impression ou Impression, soleil couchant. Elle n’y prend le titre d’Impression, soleil levant qu’en 1965.

Grâce à la valorisation de la modernité des années 70 et 80 et la vénération pour tout ce qui relève des écoles constituées et de ce qui leur a donné naissance, le tableau va devenir une véritable icone de l'art autant cette fois par son sujet que par sa sa forme libre, admise depuis longtemps.

 

Source : Impression soleil levant. L'histoire vraie du chef-d'oeuvre de Claude Monet DOMINIQUE LOBSTEIN, MARIANNE MATHIEU. Edition Hazan. Collection : Catalogues d'exposition, 17 septembre 2014.

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