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(1819-1877)
Réaliste

Gustave Courbet, né le 10 juin 18193 à Ornans et mort le 31 décembre 1877 à La Tour-de-Peilz (Suisse), est un peintre et sculpteur français, chef de file du courant réaliste. Auteur d'un important corpus de peintures — plus d'un millier d'œuvres —, Courbet est l'un des artistes les plus puissants et les plus complexes du XIXe siècle.

Dès 1848-1849, ses toiles s'opposent aux critères de l'académisme, à l'idéalisme, aux outrances romantiques ; transgressant la hiérarchie des genres, il provoque le scandale chez ses contemporains, et l'attrait de quelques collectionneurs privés. Soutenu par quelques critiques, comme Charles Baudelaire et Jules-Antoine Castagnary, son œuvre, ne peut être réduite à l'épisode du réalisme pictural.

Rarement un peintre avait, de son vivant, essuyé autant d'insultes. Élu républicain, acteur de la Commune de Paris de 1871, il est accusé d'avoir fait renverser la colonne Vendôme, et condamné à la faire relever à ses propres frais. Exilé en Suisse, il entretient des contacts épistolaires suivis avec sa famille, ses amis parisiens, et continue d'exposer et vendre ses œuvres. Malade, il meurt épuisé, trois ans avant l'amnistie générale, âgé de 58 ans.

Le désespéré 1843 Collection particulière
Courbet au chien noir 1844 Paris, Musée du Petit palais
Autoportrait à la pipe 1849 Montpellier, Musée Fabre
L'après-dînée à Ornans 1849 Lille, musée des beaux-arts
Un enterrement à Ornans 1850 Paris, Orsay
Pompiers courant à un incendie 1851 Paris, Musée du Petit palais
Les baigneuses 1853 Montpellier, Musée Fabre
Les cribleuses de blé 1854 Nantes, Musée des arts
L'atelier du peintre 1855 Paris, Orsay
Les demoiselles des bords de Seine 1857 Paris, Musée du Petit palais
Le rut du printemps. Combat de cerfs 1861 Paris, Orsay
La source 1862 New York, Metropolitan
Femme au perroquet 1866 New York, Metropolitan
Le sommeil 1866 Paris, Musée du Petit palais
L’origine du monde 1866 Paris, Orsay
La dame aux bijoux 1867 Caen, Musée des Beaux arts
Femme dans les vagues 1868 New York, Metropolitan
La mer, à Etretat 1872 Caen, musée des Beaux arts

Gustave Courbet est issu d’une famille relativement aisée de propriétaires terriens. Son père Éléonor Régis Courbet (1798-1882), suffisamment riche pour devenir électeur au suffrage censitaire (1831), possède une ferme et des terres au village de Flagey, situé dans le département du Doubs. Gustave est l'aîné et le seul garçon de la famille, très inscrite dans l'espace franc-comtois où se croisent montagnards, chasseurs, pêcheurs, bûcherons, au milieu d'une nature forte, omniprésente

En 1831, Gustave entre comme élève externe au petit séminaire d’Ornans où il reçoit, entre autres, un premier enseignement artistique auprès d'un professeur de dessin, Claude-Antoine Beau, ancien élève d'Antoine-Jean Gros : en cette discipline passionnante, Gustave s'y distingue, négligeant donc ses études classiques. L'adolescent, de moins en moins assidu aux études classiques, se plait à suivre les cours de Flajoulot directement dans l'enceinte de l'école des beaux-arts : là, il y croise toute une jeunesse composée d'étudiants en art, dont Édouard Baille, plus mature, ne rêvant que de monter à Paris. Etant donnés les résultats médiocres de leur fils en mathématiques, les parenst se rabattent sur l'étude du droit.

Courbet part pour Paris en novembre 1839. Logé dans un premier temps chez François-Julien Oudot, un parent de la famille, à Versailles où se cotoient des bourgeois assez mondains et ouverts d'esprit, il commence ses études de droit, vivant d'une pension que lui versent ses parents. L'année 1839-1840 est déterminante : Courbet délaisse son droit au profit de la peinture. En effet, il passe plus de temps dans l’atelier parisien du peintre Charles de Steuben. Il écrit à ses parents qu'il abandonne le droit et qu'il veut devenir peintre : ses parents acceptent sa décision et continuent à lui verser sa pension. Élève libre, Courbet se rend, comme tout étudiant en art de son époque, au musée du Louvre pour y copier les maîtres, activité qu'il poursuivra tout au long des années 1840. Il est admiratif du clair-obscur hollandais, de la sensualité vénitienne et du réalisme espagnol. Courbet est un œil, il a un sens unique de l'alchimie visuelle. Il est aussi influencé par les œuvres de Géricault dont il copie une tête de cheval.

Début 1841, Courbet se sent suffisamment prêt pour présenter au jury du Salon une grande toile, Portraits d'Urbain Cuenot et Adolphe Marlet, qui est refusée. En 1842, il s’installe au Quartier latin et occupe son premier atelier. Il présente au jury du Salon de 1842 Halte de chasseurs et Un intérieur, deux petits tableaux, refusés. Il continue de se former lui-même en dessinant et copiant au Louvre des maîtres du passé qu'il affectionne tel que Diego Vélasquez, Francisco de Zurbarán, José de Ribera, en compagnie d'un nouveau camarade, François Bonvin, qu'il a rencontré à l'académie aux cours du soir, et qui lui sert de guide. Au jury du Salon de 1843, il présente Portrait de M. Ansout et un Portrait de l'auteur, refusés. En 1844, sur les recommandations de Hesse, le Salon reçoit de Courbet d'abord Loth et ses filles, un tableau de genre religieux au thème académique, une Étude de paysage, puis le Portrait de l'auteur dit Autoportrait au chien noir (1842), et finit par accepter de n'exposer que ce dernier. C'est la première fois, le jeune peintre est très fier, il l'annonce à ses parents. En 1845, Courbet propose cinq toiles pour le Salon, mais le jury n'en retient qu'une, le Guitarrero qui s'inscrit dans la lignée du style troubadour. Début 1846, son style évolue, sa palette s'obscurcit et le Salon, sur huit toiles présentées en mars, ne retient que le Portrait de M. xxx, connu aujourd'hui sous le nom de L'homme à la ceinture de cuir : sous cet anonymat, certains jurés et critiques vont reconnaître le peintre et le sanctionner en plaçant sa toile loin des yeux du public. Courbet se sent profondément blessé. Durant l'été, il part explorer la Belgique et les Pays-Bas. En 1847, toutes ses toiles sont refusées.

Peu avant fin 1848, quittant la rue de la Harpe, Courbet va s'installer dans un atelier au 32, rue Hautefeuille, non loin d'un endroit qu'il fréquente depuis déjà plusieurs années, la brasserie Andler-Keller, située au no 28 de cette rue, l'une des premières de ce genre à Paris, tenue par la « Mère Grégoire » dont il fera le portrait en 1855. Cette brasserie, Courbet en fait son annexe : s'élaborent là, au milieu d'amis, de grandes théories. Charles Baudelaire y vient en voisin, et le sculpteur Auguste Clésinger, venu de la rue Bréda, s'y sent chez lui. On y croise également la bande d'Ornans dont Max Buchon et toute une faune issue de la bohème parisienne dont Courbet reprend l'attitude (cheveux, barbe, pipe), la mode, et les idéaux. Il parle fort, et sa stature imposante, son goût pour la bière et la musique, font de lui un "chef de bande" mais il ne vend toujours rien. Le 9 janvier 1848, le maire du village de Saules, près d'Ornans, lui offre 900 francs pour une grande peinture religieuse destinée à l'église du village, un Saint Nicolas ressuscitant les petits enfants

En février 1848, la révolution les surprend, la république est proclamée. Effet immédiat : le Salon, maintenu le 15 mars 1848, lui accepte trois dessins et sept toiles d'un coup. Sauf qu'aucune ne trouve preneur, en dépit d'une mention honorable. Cependant dans Le National, Prosper Haussard (1802-1866) loue spécialement Le Violoncelliste, un nouvel autoportrait, que le critique dit inspiré de Rembrandt, tandis que Champfleury dans Le Pamphlet admire La Nuit de Walpurgis (plus tard repeinte).

La révolution grondant, Courbet est là au cœur de l’effervescence artistique et politique. Il y joue du violon, se lie avec des artistes qui veulent proposer une troisième voie, un antagonisme au romantisme et aux goûts académiques : l'ennemi déclaré c'est Paul Delaroche. Certains créateurs comme Charles Baudelaire ou Hector Berlioz, dont il fait les portraits, sont les plus brillants esprits de ce changement. Sous l’impulsion de Champfleury, Courbet jette les bases de son propre style, ce qu'il appellera lui-même « le réalisme », reprenant un terme que sa bande avait forgé, en constatant de facto que cette peinture là existait déjà sous leurs yeux. En juin, les choses dégénèrent dans Paris. Gustave participe aux évènements relativement de loin. Ses amis Champfleury, Baudelaire et Charles Toubin montent en quelques jours un journal, Le Salut public, dont la deuxième livraison porte en frontispice une vignette gravée d'après Courbet

Courbet rejoint tant bien que mal Ornans, d'abord pour assister à l'enterrement de son grand-père Oudot mort le 13 août, et aussi pour se refaire une santé. En mars 1849, devenu un mentor, Champfleury dresse pour le peintre la liste des onze œuvres proposées pour le Salon et c'est Baudelaire qui rédige les notices accompagnant l'envoi. Six toiles et un dessin sont retenus par un jury désormais élu par les artistes eux-mêmes dont L'après-dînée à Ornans, qui lui vaut une médaille d'or et son premier achat par l'État. Cette toile de grande dimension (250 × 200cm) lui assure la renommée, c'est un format que Courbet va adopter à l'avenir. De violentes manifestations ont lieu dans la capitale et le 17 juin 1849, Courbet, qui vient d'avoir 30 ans, décide de retourner à Ornans, après l'exposition, enfin autorisée, mais dont le déroulement n'a fait qu'annoncer la fureur de la critique réactionnaire et alors que plus de 30 000 soldats s'installent dans la ville. Il part le 31 août, Courbet est fêté en héros à Ornans,. Son père lui emménage un nouvel atelier. Le 26 septembre, il a déjà commencé Les Casseurs de pierres, puis, en décembre Un enterrement à Ornans.

Durant l'année 1850, après une fin d'hiver passée à chasser et à renouer avec les habitants de son vallon, il peint Les Paysans de Flagey revenant de la foire, et termien Un enterrement à Ornans, tableau ambitieux de très grand format (315 × 668 cm), où figurent plusieurs notables d'Ornans et les membres de sa famille. Dans une lettre à Champfleury, le peintre laisse entendre "que tout le monde du village voudrait être sur la toile". Voulant satisfaire la province avant la capitale, Courbet organisa même une petite exposition de ses tableaux dans la chapelle du séminaire voisin de son atelier en avril.

Au Salon de 1850, dès l'ouverture, l'exposition de Un enterrement à Ornans suscite scandale et étonnement auprès de la critique car pour la première fois un sujet de la vie quotidienne est peint dans les dimensions jusque-là réservées aux thématiques jugées « nobles » (scènes religieuses, historiques, mythologiques). Sept autres tableaux accompagnent celles-ci, dont Les Paysans de Flagey, le Portrait de M. Jean Journet, Vue et ruines du château de Scey-en-Varais, Les Bords de la Loue sur le chemin de Mazières, les portraits de M. Hector Berlioz et de M. Francis Wey, et enfin un Portrait de l'auteur (dit L'homme à la pipe), ce dernier devenant le seul tableau présenté qui recueille des louanges unanimes. Le soir des récompenses arrive le 3 mai et aucune toile de Courbet n'est citée. Devenu mesuré, Théophile Gautier finit par s'étonner d'un tel oubli : « Courbet a fait l'événement au Salon ; il mêle à ses défauts sur lesquels nous l'avons ouvertement tancé, des qualités supérieures et incontestable originalité ; il a remué le public et les artistes. On aurait dû lui donner une médaille de première classe… ». Le 18 mai, la liste des achats publics tombe et là encore, Courbet en est exclu, au prétexte de restriction budgétaire (le peintre ne voulut pas lâcher son Portrait à la pipe pour moins de 2 000 francs).

« Il m’est difficile de vous dire ce que j’ai fait cette année pour l’exposition, j’ai peur de mal m’exprimer. Vous jugeriez mieux que moi si vous voyiez mon tableau. D’abord, j’ai dévoyé mes juges, je les mets sur un terrain nouveau : j’ai fait du gracieux. Tout ce qu’ils ont pu dire jusqu’ici ne sert à rien. » Ainsi s'exprime Courbet en écrivant à Champfleury en janvier 1852 à propos du tableau Les Demoiselles de village faisant l'aumône à une gardeuse de vaches dans un vallon d'Ornans qui figure au centre ses trois sœurs, et qu'il présente en compagnie de deux toiles plus anciennes au Salon en avril.

Peu après, un nouveau déclic s'opère : il décide de se mettre à de grandes compositions de nus. Il s'attaque volontairement à l'un des derniers bastions de l'académisme du temps, et la critique va se déchaîner, les officiels le sanctionner. Il rend ainsi visite à l'influent Charles de Morny, le demi-frère du prince-président Louis-Napoléon, qui venait de lui acheter Les Demoiselles de village, pour solliciter des commandes publiques ; il reçoit de vagues promesses, puis se rend auprès d'Auguste Romieu, le directeur des Beaux-arts, qui déclare « que le gouvernement ne pouvait pas soutenir un homme comme [lui] » et que quand il « ferait de l’autre peinture, il verrait ce qu'il a à faire » et « que du reste [il] était posé en puissance politique et qu'on [lui] ferait voir qu'on ne [le] craignait pas. » Courbet en prend donc son parti, et promet « qu'ils avaleront tous le réalisme », au risque de se retrouver totalement isolé.

Les baigneuses présentées au Salon de 1853 va créé la controverse. On y voit deux femmes, dont une nue avec un linge qui la drape à peine alors qu'elle ne représente plus une figure mythologique idéalisée. La critique de l'époque s'empare de cette toile de façon très virulente : Courbet a réussi à obtenir ainsi un succès de scandale. Toujours plus inspiré, Théophile Gautier explose dans La Presse du 21 juillet 1853 à propos de ses Baigneuses : « Figurez-vous une sorte de Vénus hottentote sortant de l’eau, et tournant vers le spectateur une croupe monstrueuse et capitonnée de fossettes au fond desquelles il ne manque que le macaron de passementerie. » Cependant, au-delà de cette radicalité et du rejet critique, on peut voir dans ce tableau l'influence manifeste de Rubens. Acheté par le collectionneur et ami de Courbet Alfred Bruyas, cet achat permet à l'artiste de devenir indépendant financièrement et artistiquement.

Courbet déjeune avec le nouveau directeur des Beaux-arts, Émilien de Nieuwerkerke. Le peintre est sollicité pour réaliser une grande œuvre à la gloire du pays et du régime pour l'exposition universelle prévue à Paris en 1855 — de fait le Salon de 1854 fut annulé —, mais qu'il réservait son droit d'admission à l'approbation d'un jury. Courbet lui fait savoir qu'il est seul juge de sa propre peinture. Nieuwerkerke, consterné par autant d'arrogance, comprend que le peintre ne participera pas aux festivités. Il achève L'Homme blessé, autoportrait d'un homme râlant et mourant.

En mai 1854, Courbet, qui trouve en Bruyas, un véritable mécène avide de modernité, avec qui échanger des points de vue critiques et, en apparence, un même idéal, le rejoint à Montpellier, et en profite pour saisir l’âpre beauté des paysages du Languedoc durant un long séjour. L'automne venue, il tombe malade, saisi par une sorte de fièvre, et est soignée par une amie proche de Bruyas, une belle espagnole dont il peint le portrait. Durant l'été, Courbet rendra par ailleurs hommage à son protecteur, en exécutant une grande composition intitulée La Rencontre (dite Bonjour Monsieur Courbet)

En avril 1855, Courbet se voit refuser plusieurs de ses tableaux — par exemple, Un enterrement à Ornans et La Rencontre jugé trop personnel — pour le Salon qui doit ouvrir le 15 mai en même temps que l'Exposition universelle qui se tient Palais de l'Industrie. De fait, on le pousse à organiser une exposition personnelle en marge du Salon officiel. Criant au complot, il demande de l'aide d'Alfred Bruyas qui lui accorde son appui financier. Le ministère public, représenté par Achille Fould, lui donne le permis de construire. En quelques semaines, avenue Montaigne, à quelques mètres du Palais, s'élève un pavillon de briques et de bois destiné à accueillir 40 œuvres du peintre. Il fait imprimer des affiches et un petit catalogue. Ce «Pavillon du réalisme» donne ainsi l'occasion à Courbet d'exprimer publiquement ce qu'il entend par « réalisme » et couper court à certains malentendus :

« Le titre de réaliste m'a été imposé comme on a imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. Les titres en aucun temps n'ont donné une idée juste des choses ; s'il en était autrement, les œuvres seraient superflues […] J'ai étudié, en dehors de tout esprit de système et sans parti pris, l'art des anciens et l'art des modernes. Je n'ai pas plus voulu imiter les uns que copier les autres ; ma pensée n'a pas davantage d'arriver au but oiseux de l'art pour l'art […] Savoir pour pouvoir, telle fut ma pensée. Être à même de traduire les mœurs, les idées, l'aspect de mon époque, selon mon appréciation, être non seulement un peintre, mais encore un homme, en un mot, faire de l'art vivant, tel est mon but. »

Ce quasi-manifeste est en partie rédigé par Jules Champfleury et l'on y retrouve également les principes de Baudelaire. Enthousiaste, Courbet a même l'idée de demander à un photographe de prendre ses tableaux pour constituer des images qu'il vendrait aux visiteurs. Les travaux vont prendre du retard. L'inauguration se produisit le 28 juin et le pavillon ferma en fin d'automne. Il est difficile de mesurer le réel succès obtenu. Le prix d'entrée, porté à un franc, fut ramené à 50 centimes. La presse publia de nombreuses caricatures des toiles et portraits charges du peintre. On a le témoignage du visiteur Eugène Delacroix qui écrit dans son Journal : « Je vais voir l’exposition de Courbet qu’il a réduite à 10 sous. J’y reste seul pendant près d’une heure et j’y découvre un chef-d’œuvre dans son tableau refusé ; je ne pouvais m’arracher à cette vue. On a rejeté là un des ouvrages les plus singuliers de ce temps, mais ce n’est pas un gaillard à se décourager pour si peu. » La pièce dont parle Delacroix c'est L'Atelier du peintre, un très grand format, que Courbet n'a même pas pu totalement achevé tant il était pressé par le temps.

L'année 1856 montre une nouvelle progression dans la manière qu'a Courbet de représenter la vie quotidienne, revisitant au passage la scène de genre et le portrait, exécutant une série de toiles qui annoncent ce que sera la peinture des modernes durant les vingt années suivantes. Les demoiselles des bords de la Seine est une toile capitale, elle est présentée au Salon de Paris en juin 1857, au milieu de trois paysages et de deux portraits, dont celui de l'acteur Louis Gueymard — Courbet va recevoir de plus en plus de commandes de cette nature.

En 1857-1858, Courbet est à Francfort durant plusieurs mois. Il produit sur place de nombreux portraits et paysages. Il y découvre les grands sous-bois de la Forêt Noire et la chasse à courre dont il s'inspirera plus tard. Il séjourne de nouveau en Belgique, où il a de nombreux acheteurs. En juin 1859, il découvre une deuxième fois les côtes normandes, cette fois en compagnie d'Alexandre Schanne et dans le cadre d'un voyage de botanistes en étude au Havre. Sur place, ils font la connaissance d'Eugène Boudin et dorment à la ferme Saint-Siméon, une auberge bon marché.

En 1861, il entre au comité de la Société nationale des beaux-arts. En juillet, il est proposé à la Légion d'honneur mais l'empereur en personne raye son nom de la liste et l'État renonce à acheter Le Rut du printemps, combat de cerfs, un grand format (3,55 × 5 m), scène de chasse là encore totalement en décalage avec les conventions

En 1862-1863, il séjourne à Saintes et participe, avec Corot, Louis-Augustin Auguin et Hippolyte Pradelles à un atelier de plein air baptisé « groupe du Port-Berteau » C'est dans cette ville qu'il peint dans le plus grand secret Le Retour de la conférence, une toile de 3,3 m par 2,3 m, inscrite dans la lignée de William Hogarth, qu'il veut anticléricale et résolument provocatrice, la cible étant l'Église catholique française, alors incarnée par l'impératrice Eugénie. Cette œuvre qui figure des curés ivres est une nouvelle provocation, orchestrée par Courbet qui écrit à l'architecte Léon Isabey (1821-1895) en février 1863 : « J’avais voulu savoir le degré de liberté que nous accorde notre temps ». La réponse, il vient de l'avoir des officiels : le tableau est successivement refusé au Salon et même au Salon des refusés. Avec cette toile exclue pour immoralité, Courbet peut donc mettre son programme en action : reproduire et diffuser l’œuvre par tous les moyens existants et s’assurer ainsi un véritable instrument politique contestataire et promotionnel de son art. Il organise alors une tournée mondiale autour de cette peinture : c'est une première, une opération dans laquelle il se donne beaucoup. La toile sera ainsi montrée à New York en 1866 grâce à son ami Jules Luquet, associé d'Alfred Cadart, le fondateur de la Société des aquafortistes qui réunit d'ailleurs de nombreux artistes ralliés au courant réaliste. Après avoir été montrée à Gand en 1868, la toile que Courbet conserva jusqu'à sa mort, disparaît vers 1900, mais il nous en reste de nombreuses reproductions photomécaniques que le peintre fit faire en son temps.

Vénus et Psyché en 1864 est refusé avec éclat. En 1865, il compose à titre posthume Pierre Joseph Proudhon et ses enfants en 1853 : la perte de Proudhon fut pour lui une dure épreuve. Il séjourne à Trouville et Deauville et peint des séries de marines, en compagnie de Whistler qu'il avait rencontré quelques années plus tôt.

En septembre, à Bruxelles, se tient l'exposition internationale de peintures dont il est la vedette incontestée. En fin d'année, il achève une série de nus, dans le cadre d'une commande pour le diplomate ottoman Khalil-Bey, ce sont Le Sommeil et L'Origine du monde85. En janvier 1867, il perd son « plus grand ami », Urbain Cuenot, et se rend à Ornans pour les funérailles. Là, il a l'idée de commencer à peindres des effets de neige. Le mois suivant, encore endeuillé, il s'engouffre dans le travail et esquisse L'Hallali du cerf, de très grand format. Alors qu'un procès pour impayé courre à propos de sa toile Vénus et Psyché (disparue), et que l'administration des Beaux-Arts refuse de lui payer La femme au perroquet, il décide de demander à l'architecte Léon Isabey de lui construire un pavillon pour l'Exposition universelle, comme en 1855, mais cette fois en matériaux plus résistants : de fait, le « Pavillon Courbet » resta en place jusqu'aux émeutes de 1871 mais ne constitua sa galerie personnelle qu'en mai 1868 seulement, puis un lieu d'entreposage.

Le 30 mai 1867, il ouvre enfin au public, exposant 135 œuvres cataloguées. Les caricatures pleuvent à nouveau, on y brode son embonpoint, surtout pour figurer son sens de la démesure. Dans une lettre à Alfred Bruyas, le 27 avril, il confiait que « cette exposition est définitive, [la] raison est que je deviens vieux ». De fait, si Courbet ne produira jamais autant qu'en cette année, il cummule près de 700 toiles depuis qu'il est peintre. À la fin de l'été 1868, éjecté de son pavillon-galerie de l'Alma par le propriétaire du terrain, il participe massivement au salon de peinture de Gand qui se tient du 3 septembre au 15 novembre, avec, entre autres, deux toiles profondément anticléricales, Le Retour de la conférence et La Mort de Jeanot à Ornans (Les Frais du culte),

À compter d'août, il entreprend un long séjour à Étretat, alors station peu connue : là, il s'active à répondre à de nouvelles commandes, Paul Durand-Ruel semble lui trouver des clients pour ses falaises ; il a l'idée d'une nouvelle série de paysages de mer, La Vague dont le dispositif va éblouir le Salon de 1870.

Ses idées républicaines, mais surtout son goût affirmé pour la liberté, lui font refuser la Légion d'honneur, proposée par Napoléon III, dans une lettre adressée le 23 juin 1870, envoyée peu après son séjour depuis chez son ami le peintre Jules Dupré à L'Isle-Adam, au ministre des lettres, sciences et beaux-arts, Maurice Richard, qui tentait de le courtiser après le plébiscite. La lettre, publiée dans Le Siècle, fait scandale et se termine ainsi : « J'ai cinquante ans et j'ai toujours vécu libre. Laissez-moi terminer mon existence libre : quand je serai mort, il faudra qu'on dise de moi : Celui-là n'a jamais appartenu à aucune école, à aucune église, à aucune institution, à aucune académie, surtout à aucun régime, si ce n'est le régime de la liberté ». Le 15 juillet, la France déclare la guerre à la Prusse.

Après la proclamation de la République le 4 septembre 1870, il est nommé, le 6, par une délégation représentant les artistes de Paris, « président de la surveillance générale des musées français » Déçu par le gouvernement de Défense nationale, proche de la Fédération jurassienne de Bakounine, il prend une part active à l'épisode de la Commune de Paris à partir du 18 mars 187197. Après les élections complémentaires du 16 avril 1871, il est élu au conseil de la Commune par le 6e arrondissement et délégué aux Beaux-Arts. Le 17 avril 1871, il est élu président de la Fédération des artistes. Il fait alors blinder toutes les fenêtres du palais du Louvre pour en protéger les œuvres d’art, mais aussi l’Arc de Triomphe et la fontaine des Innocents. Il prend des mesures semblables à la manufacture des Gobelins, et fait même protéger la collection du républicain Adolphe Thiers. Après la Semaine sanglante, il est arrêté le 7 juin 1871 et emprisonné à la Conciergerie puis à Mazas. Le 27 juin, est publié dans The Times de Londres une lettre ouverte signée de sa main où il affirme avoir tout fait pour protéger les musées parisiens. Dès le début de son incarcération, la presse lui reproche la destruction de la colonne ; Courbet rédige alors une série de lettres à différents élus dans lesquelles il « s'engage à la faire relever à ses frais, en vendant les 200 tableaux qui [lui] reste » : cette proposition, il va la regretter.

Le 27 juillet, il apprend, sous les verrous et deux mois trop tard, la mort de sa mère décédée le 3 juin. Son procès commence le 14 août à Versailles, en présence de quinze autres communards et deux membres du Comité central. Le 2 septembre, la sentence tombe, le 3e conseil de guerre le condamne à six mois de prison fermes et à 500 francs d'amende aux motifs suivants : « avoir provoqué comme membre de la Commune, la destruction de la colonne ». Il purge sa peine à Versailles, puis à compter du 22 septembre à Sainte-Pélagie. Il doit en outre régler 6 850 francs de frais de procédure. Comme il est malade, il est transféré le 30 décembre dans une clinique de Neuilly où il est enfin opéré par Auguste Nélaton, menacé qu'il était d'une occlusion intestinale. Le 1er mars, il est libéré

De retour à Ornans fin mai 1872, la demande de tableaux était tellement importante que Courbet ne pouvait suivre et qu'il organisa la venue de collaborateurs ou d'assistants qui préparaient ses paysages. Hélas, en mai 1873, le nouveau président de la République, le maréchal de Mac Mahon, décide de faire reconstruire la colonne Vendôme aux frais de Courbet (soit 323 092 francs selon le devis établi). La loi sur le rétablissement de la colonne Vendôme aux frais de Courbet est votée le 30 mai 1873. Il est acculé à la ruine après la chute de la Commune, ses biens mis sous séquestre, ses toiles confisquées.

Craignant un nouvel emprisonnement, Courbet passe clandestinement la frontière aux Verrières le 23 juillet 1873. Après quelques semaines passées dans le Jura (Fleurier, La Chaux-de-Fonds), à Neuchâtel, à Genève et dans le canton du Valais, Courbet se rend compte que c'est sur la Riviera lémanique, grâce aux nombreux étrangers qui y séjournent, qu'il aura le plus de chance de nouer des contacts et de trouver d'éventuels débouchés pour sa peinture112. Il loge brièvement à Veytaux (château de Chillon), puis jette son dévolu sur la petite bourgade de La Tour-de-Peilz (au bord du lac Léman) et s'installe en octobre 1873. Dès le printemps 1875, il loue une maison au bord du lac, du nom de Bon-Port, qui devient le port d'attache des dernières années de sa vie.

Il s'attaque en 1877, en prévision de l'Exposition universelle de l'année suivante, à un Grand Panorama des Alpes (The Cleveland Museum of Art) resté partiellement inachevé. Il aborde également la sculpture, les deux réalisations de ces années d'exil sont, La Liberté ou Helvetia en 1875 et La Mouette du Lac Léman, poésie, en 1876.

Par solidarité avec ses compatriotes exilés de la Commune de Paris, Courbet refusa toujours de retourner en France avant une amnistie générale. Sa volonté fut respectée, et son corps fut inhumé à La Tour-de-Peilz le 3 janvier 1878, après sa mort survenue le 31 décembre 1877, au cours du réveillon.