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Artemisia, héroïne de l'art

Musée Jacquemart-André
du 19 mars au 3 août 2025

Artiste importante de l'ère baroque, Artemisia Gentileschi s'est imposée dans l'histoire de l'art par sa carrière exceptionnelle, à une époque où l'exercice de la peinture était presque exclusivement réservé aux hommes. Talentueuse, résiliente et puissante, elle a fait de son art un moyen d'affirmer son existence et de défier les normes de son temps. Son histoire, marquée par une combativité et une force de caractère exceptionnelles, ainsi que l'audace et la puissance dramatique de ses compositions la font voir aujourd'hui comme une véritable héroïne de l'art.

Entrée de l'exposition

Le corpus réuni dans cette exposition permet d'éclairer les multiples facettes de sa carrière et rassemble aussi bien des chefs-d'œuvre emblématiques que des peintures jusqu'ici rarement présentées au public.

Biographie

Née en 1593 à Rome, Artemisia connaît une renommée internationale importante, auprès des grandes cours européennes notamment. À l'instar de son père Orazio Gentileschi, elle reçoit de prestigieuses commandes de la part de puissants mécènes, tels que Cosme Il de Médicis, le duc de Bavière ou Philippe IV d'Espagne. Après un passage à la cour de France où il participe à la décoration du palais du Luxembourg, Orazio est nommé en 1626 peintre du roi Charles 1er d'Angleterre. Les deux artistes ne se retrouveront qu'en 1638 à Londres, au fil de leurs brillantes carrières parallèles, marquées par l'élaboration d'un style élégant qui connut un large succès et que reflètent les peintures présentées dans cette salle.

Simon Vouet :
Artemisia Gentileschi
1624
Artemisia Gentileschi :
Ulysse reconnaissant Achille
1640
Artemisia Gentileschi :
Esther et Assuérus

2 -ENTRE FILIATION ET ÉMANCIPATION

Artemisia Gentileschi se forme dans l'atelier de son père Orazio Gentileschi, peintre d'histoire renommé pour son style lyrique, héritier du dernier maniérisme. Comme les autres apprentis, elle commence par copier les œuvres de son père, élaborant des compositions d'après ses dessins et bénéficie de ses corrections. Mais, si Orazio reconnaît rapidement l'exceptionnel talent de sa fille - qu'il encourage - l'adolescente demeure confinée dans le foyer familial, privée de l'accès aux académies et aux vestiges de l'Antiquité, réservés à ses pairs masculins. Pourtant, elle progresse avec rapidité et ses premières œuvres se distinguent difficilement de celles de son père. Durant ces premières années, elle peint des portraits et de petits tableaux dévotionnels, dont la Vierge de l'Annonciation récemment découverte donne un exemple. Sa première œuvre signée et datée, Suzanne et les vieillards (1610), reflète précisément l'influence paternelle - le geste de Suzanne rappelant celui d'un David d'Orazio - tout en révélant sa sensibilité et son talent pour capturer la psychologie et les émotions de ses personnages, essentiellement féminins.

Le lien entre Artemisia et les héroïnes féminines qu'elle représente devient d'autant plus marquant au regard des épreuves personnelles ayant jalonné sa vie. En 1611, elle est victime d'un événement traumatique: elle est violée par le peintre Agostino Tassi, un ami et collaborateur de son père. La promesse de mariage de Tassi la persuade de consentir à une relation pendant près d'un an.

Orazio intente finalement un procès contre Tassi, au cours duquel Artemisia est torturée pour éprouver la véracité de ses accusations, qui aboutit à la condamnation de l'accusé (protégé par le pape, Tassi ne purgera qu'une partie de sa peine). Artemisia épouse alors Pierantonio Stiattesi et s'installe à Florence fin 1612 - début 1613, amorçant une nouvelle phase de sa carrière.

Les œuvres de cette période témoignent à la fois de la continuité de l'influence de son père, mais aussi, progressivement de son affirmation en tant qu'artiste indépendante. Sa célèbre Judith et sa servante, exposée ici à côté du modèle d'Orazio, illustre cette évolution: Artemisia s'inspire du modèle de son père mais se l'approprie et apporte une sensibilité plus marquée dans la relation entre les deux femmes. Une attention aux émotions similaire ressortait déjà du rapport tendre entre les figures de la Vierge à l'Enfant de la Galleria Spada.

3 - ARTEMISIA, PEINTRE CARAVAGESQUE

Outre l'influence de son père, le rôle de Caravage fut déterminant dans la formation artistique d'Artemisia Gentileschi. Caravage avait déjà profondément marqué la peinture d'Orazio, essentielle dans l'imaginaire juvénile d'Artemisia. Orazio emprunta au maître lombard des effets de clair-obscur vigoureux, un cadrage rapproché des figures et leur représentation à partir de modèles vivants. Cette influence est particulièrement sensible dans son Couronnement d'épines, présenté ici en regard de la version du même sujet par Caravage.

Artemisia, encore enfant, a vraisemblablement rencontré Caravage, qui était un proche d'Orazio avant que les deux hommes aux tempéraments ombrageux ne s'éloignent l'un de l'autre.

Quoi qu'il en soit, ses œuvres lui étaient familières car elles étaient visibles dans les églises voisines des différentes résidences des Gentileschi à Rome. Sa Danaé démontre bien qu'elle connaissait et admirait les œuvres du maître, et ce dès ses années de formation. Le David et Goliath d'Orazio, exposé pour la première fois en France, reflète également le fort courant caravagesque régnant dans la peinture romaine des premières années du XVIIe siècle.

Jusqu'à la fin de sa carrière, Artemisia conservera des éléments empruntés au maître lombard: l'usage du clair-obscur pour créer des contrastes dramatiques, un sens aigu du pathos, ainsi que sa technique consistant à peindre à partir du modèle, travaillant ses compositions en les dessinant en grande partie directement sur la toile. Si Orazio a tempéré la puissance de Caravage par l'élégance raffinée de son style, Artemisia s'impose comme sa seule disciple féminine. Elle s'inspire de son naturalisme, de sa peinture violente, tout en intégrant cette influence à son propre langage artistique.

4 - AFFIRMATION DE SOI

Les années florentines marquent une étape décisive dans la carrière d'Artemisia Gentileschi. Arrivée à Florence fin 1612 - début 1613, elle intègre rapidement la cour des Médicis, un milieu où se côtoient nobles, poètes, érudits, artistes et musiciens. Au contact des artistes locaux, elle affine sa technique et améliore sa maîtrise de l'anatomie. En 1616, elle est inscrite en tant que membre de la guilde des peintres de l'Accademia del Disegno de Florence. Ses relations lui ouvrent les portes de cercles littéraires et académiques d'autres villes où elle s'établira ultérieurement.

Sa rencontre avec le grand-duc Cosme II s'avère cruciale. Elle réalise pour lui de nombreux tableaux, dans lesquels elle reproduit ses propres traits dans l'interprétation de divers rôles. Ces œuvres contribuent à son succès à la cour en faisant connaître son image, suscitant d'importantes commandes. Une autre de ses relations essentielles de cette époque est l'aristocrate Francesco Maria Maringhi, une liaison favorisée par son mari, qui apportera à Artemisia un soutien affectif et financier, et qui, en jouant un rôle d'intermédiaire et d'agent, l'introduira peut-être auprès de plusieurs commanditaires.

C'est dans ce contexte qu'elle peint l'Allégorie de l'Inclination, destinée au plafond de la Casa Buonarroti, résidence dédiée à la mémoire de Michel-Ange. Cette audacieuse représentation, où Artemisia associe ses propres traits à un corps à l'origine entièrement nu, tranche avec le classicisme plus académique des peintres florentins comme Francesco Bianchi Buonavita. Le réalisme saisissant de cette œuvre lui vaut une reconnaissance certaine: le cachet qu'elle perçoit pour cette commande est trois fois supérieur à celui de ses homologues masculins. Artemisia affirme pleinement son statut de peintre, et son nom est désormais reconnu et respecté.

5 - PORTRAITISTE TALENTUEUSE

Les femmes peintres à l'époque étaient souvent cantonnées aux genres du portrait et de la nature morte, perçus comme de simples imitations de la nature. Dès le début de sa carrière, Artemisia Gentileschi ambitionne de dépasser ces limites en abordant la peinture d'histoire, le domaine considéré comme le plus noble, celui des grands récits tirés de l'Antiquité, de la Bible et de la mythologie. Cependant, son talent pour le portrait, souvent jugé supérieur à celui de son père, n'en fut pas moins salué par ses contemporains.

Artemisia excelle dans l'art de restituer la personnalité de ses modèles, mêlant observation minutieuse des visages, des costumes et des broderies dans des jeux de lumière subtils conférant grandeur et majesté à ses portraits. Son style évolue entre sa période florentine et son retour à Rome en 1620, motivé par son endettement et vraisemblablement par les rumeurs embarrassantes que suscite sa liaison avec Maringhi. Elle abandonne alors une certaine linéarité d'influence florentine et adopte un modelé plus doux, en phase avec les tendances romaines de l'époque.

Les portraits d'Artemisia lui permettent d'établir des relations avec des clients fortunés, susceptibles de lui confier par la suite d'importantes commandes. Sa capacité à jouer avec son propre visage, se représentant dans des rôles variés, fascine aussi ses clients, qui lui demandent souvent des autoportraits. Le remarquable Autoportrait en joueuse de luth, peint pour le grand-duc de Toscane, en est un exemple emblématique. Son visage se reconnaît également dans le Portrait de dame tenant un éventail et sans doute dans la Tête d'héroïne. Ces œuvres permettent à Artemisia de se positionner comme une artiste indépendante et ambitieuse.

6 - ARTEMISIA, À L'ÉGAL DES HOMMES

Durant son deuxième séjour romain, Artemisia fréquente des cercles littéraires; elle est dès lors célébrée pour son talent et son savoir. Le Français Simon Vouet la représente sous les traits d'Artémise, puissante reine antique d'Halicarnasse, comme on le voit dans le portrait présenté au début de l'exposition.

Artemisia est en effet bien intégrée dans le milieu des peintres caravagesques, composé en grande partie d'étrangers. Les portraits de Leonaert Bramer présentés dans cette salle documentent les liens d'amitié entre ces artistes, chacun dans une pose spécifique ou avec un accessoire caractéristique. Claude Lorrain et David de Haen tiennent un verre, allusion aux excès auxquels ce groupe s'adonnait volontiers. Artemisia, seule femme et seule Italienne, figure ici déguisée en homme moustachu, tenant soit une pomme d'amour, soit un miroir ou un hochet. L'ironie dont fait preuve Bramer à son égard ne diffère pas de celle envers les autres membres du groupe: Artemisia est de toute évidence considérée à l'égal des hommes. Sur le plan personnel, la jeune femme a aussi un statut hors norme: elle sera bientôt recensée en tant que responsable de son propre foyer, composé de sa fille Prudenzia et de ses domestiques, quand Stiattesi, son mari, aura disparu de sa vie.

 

7 - HÉROÏNES & HÉROS

En tant que peintre d'histoire, Artemisia excelle dans la représentation des figures, surtout féminines, issues de la mythologie et des textes religieux. Bien que ces sujets soient courants à Rome, l'interprétation sensuelle et héroïque qu'elle parvient à leur donner est singulière et souvent audacieuse. Sa Vénus endormie (Virginia Museum of Fine Arts) insuffle au personnage un pouvoir de séduction maîtrisé et conscient. À une époque où les nus féminins peints par des femmes étaient rares, Artemisia se démarque de ses contemporains par sa capacité à sublimer ces figures tout en affirmant leur complexité. À travers ses contacts avec les cercles intellectuels, Artemisia Gentileschi connaissait les débats de son époque sur la condition féminine, sujets qu'elle évoque occasionnellement dans ses lettres.

Artemisia est aussi particulièrement appréciée pour ses figures isolées sur fond sombre, à la manière caravagesque, qui s'attachent à la psychologie des personnages, comme dans ses représentations de Marie-Madeleine, associée au thème de la mélancolie. Grâce à des cartons ou des calques, Artemisia pouvait décliner ses modèles pour créer différentes figures, en variant simplement leurs attributs iconographiques.

Forte de son succès, Artemisia dirige à Naples son propre atelier à partir de 1630, reprenant parfois ses compositions afin de répondre à la demande. Ainsi, son Saint Jean-Baptiste procède d'une idée initiale pour un Apollon, et présente aussi des similitudes avec sa Minerve de la Galerie des Offices.

8 - ÉROS & THANATOS

Les femmes héroïques, omniprésentes dans les peintures d'Artemisia, sont tantôt violentes, tantôt victimes de violence, telles Suzanne, Judith, Yaël, Lucrèce et Cléopâtre. Artemisia leur insuffle une puissance, une profondeur et une empathie qui prennent tout leur sens à la lumière de son expérience personnelle.

L'artiste souligne les vertus de ses héroïnes tout en accentuant leur sensualité, parfois jusqu'à une forme d'érotisme morbide. Cette association d'Éros (l'amour) et de Thanatos (la mort), thématique centrale dans l'art et la culture baroques, imprègne l'imaginaire figuratif de l'artiste. Artemisia est notamment fascinée par le potentiel érotique de l'histoire de Cléopâtre, reine d'Égypte qui choisit de se donner la mort en se laissant mordre par un serpent plutôt que devenir esclave d'Octave Auguste. Elle lui consacre plusieurs tableaux, dont une Cléopâtre très dénudée présentée dans cette salle, à la physionomie semblant évoquer celle de l'artiste elle-même.

Artemisia n'hésite pas à représenter le moment le plus sanglant de l'action, qu'il s'agisse de l'instant précédant un crime ou de la confrontation avec la mort. Elle ne recule pas non plus devant la nudité - partielle ou totale - de ses personnages qu'elle sait mettre en valeur par des gestes expressifs et des compositions théâtrales, souvent éclairées sur fond sombre ou tendues de lourds rideaux. Son exploration du sentiment féminin culmine dans des scènes où des femmes triomphent des hommes par la ruse et la violence, comme dans ses représentations de Judith et sa servante ou de Yaël et Siséra. La peinture d'Artemisia nous parle par son audace, sa singularité et sa puissance.

Source : dossier de presse

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